C’est une vraie question: Europe fut-elle heureuse avec Zeus?
L’affaire remonte bien loin dans l’histoire, mais elle reste d’une grande actualité. Voilà une jeune femme, fille de roi comme par hasard, partie à la cueillette de fleurs à Sidon: un beau taureau blanc croise son chemin, se fait caresser le museau et la laisse monter sur son large dos, et puis le couple fonce vers la plage, traverse la mer et les airs, et à Cortyne en Crête sous un platane verdoyant depuis lors ils font l’amour car l’animal s’est métamorphosé en nul autre que le plus puissant des dieux, et ils auront trois enfants qu’ils appelèrent Minos, Rhadamante et Sarpédon; puis un jour Zeus-le-volage retourna en repenti sous les yeux et entre les bras de Madame Héra, et Europe se fit épouser par le roi de l’île, laquelle fait aujourd’hui partie de notre mère nourricière la Grèce, maltraitée et laissée exsangue par l’Europe avide d’argent.
Europe, vénérée par l’immense Zeus, a connu le bonheur. Qui, sauf le Saint Père en douterait? – Mais l’Europe, cette entité géographique culturellement, socialement et politiquement si désunie, est tristounette en mai 2014, alors qu’elle disposait, il y a 25 ans, de toutes les chances plus une pour devenir un paradis sur terre.
Que s’est-il donc passé depuis la chute du Mur de Berlin et de l’implosion de l’URSS?
Ah! Les historiens le diront un jour, quand les forces qui ont poussé les politiques à l’Osterweiterung précipitée seront dévoilées par les archives. En attendant, l’on peut affirmer, au risque de se faire agresser par les défenseurs de l’hégémonie américaine, que le projet des pères fondateurs a été abandonné. Sachant que la Paix se construit à la fin des comptes sur la justice sociale, ils souhaitaient un partage aussi équitable que possible des richesses créées par l’économie de marché. La liberté de circulation pour les hommes, l’argent et les marchandises devait s’inscrire dans le cadre d’un idéal social-démocrate progressif. Or, cet idéal a été écarté au profit d’un double objectif: repousser les frontières de l’Union européenne et de l’OTAN loin vers l’est, jusqu’aux frontières de la Russie, et créer toutes les conditions pour l’épanouissement des marchés financiers rendus ivres par les perspectives de gain résultant de la mondialisation.
Cette politique, voulue sinon imposée par les USA agacés par le nouveau monde multipolaire (Chine, Russie, Inde, Amérique du Sud sont autant de puissances en montée rapide), est à l’origine de la montée effrayante du chômage, de la pauvreté et des nationalismes. Ceux qui sont coupables du désastre, ceux qui ont enlevé l’Europe pour en abuser impunément, sont la plupart des chefs de gouvernement depuis, disons, l’an 2000, et bien-sûr, les Commissions Barroso I et II, serviles à souhait.
Il s’ouvre maintenant, pour un bref instant, une fenêtre sur le chantier d’une Europe indépendante, capable de réaliser son modèle politique, culturel et social. Cette fenêtre sera brutalement fermée si les mêmes acteurs restent en place. Un illustre Luxembourgeois fait partie du clan des conservateurs-casseurs: l’homme de main de Merkel, Jean-Claude Juncker, qui se bat pour sa carrière et pour le fameux Parti populaire européen des Berlusconi, Orban et autres individus peu recommandables.
Oh! Le Luxembourg est petit, tellement petit! Mais il peut envoyer un message fort à Berlin en faisant perdre des voix aux chrétiens-sociaux locaux, qui avaient raflé la moitié des mandats il y a cinq ans.
Sachant qu’Europe, en symbiose avec Zeus là-haut sur l’Olympe, voit et entend tout, faisons-lui l’offrande d’un nouveau départ pour l’Europe, avec des hommes et des femmes nouveaux.
Alvin Sold
(Kulturissimo, no 8, 8 mai 2014)
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