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De l’impuissance politique

De l’impuissance politique

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L’impossible est devenu chose tellement courante qu’on n’en parle pas ou peu. Tenez: le chômage par exemple.

Qui eût cru que l’économie de marché, source de profits colossaux pour les oligarques et leurs activités tentaculaires, pût se passer souverainement, arrogamment, sans rendre des comptes à qui que ce soit, de la capacité de travail offerte par des dizaines de millions d’hommes et de femmes dans les pays de l’Union européenne?

La violence de l’économie libérale s’exerce sans frein ni pitié. Au nom du droit de posséder, je possède le droit de rationaliser, de réduire, de licencier à ma guise, même quand l’affaire rapporte bien, la finalité n’étant pas le bénéfice raisonnable mais maximum, quel que soit le coût social. Pendant quelques décennies, les processus de concentration, de „consolidation“ comme il est dit pudiquement, étaient rampants, sans dégâts scandaleux. Au nom de la sacro-sainte compétitivité, l’Europe a promu la création de conglomérats financiers et industriels gigantesques, lesquels sont désormais pilotés par une nouvelle classe, celle des dirigeants qui ne trouvent répréhensible que ce qui est interdit.

Ce qui ne l’est pas, comme la recherche de la rentabilité la plus haute possible, fût-ce au prix d’énormes dégâts collatéraux, est à leurs yeux autorisé. Ils sont très légalistes, les Schreibtischtäter qui vous détruisent des milliers d’existences par un simple paraphe au bas d’un ordre d’exécution. L’usine, l’entreprise, qui gagnait bien mais pas assez selon tel consultant, est fermée, vendue, délocalisée, restructurée, amputée, démembrée; que le personnel, ou une partie du personnel se retrouve à la rue, sans emploi, bientôt sans revenu, ne les empêche pas de dormir, ces gens-là et leurs commanditaires.

En fait, ils ont, en droite ligne d’une formation qui a négligé l’éthique et la morale, la conviction d’être dans leur droit, pis, qu’ils fauteraient par rapport aux actionnaires s’ils ne cherchaient pas par tous les moyens (légaux) à fructifier le capital investi.

Surpris en 2009 par les effets et les conséquences de la crise dite financière, les politiques, conseillés par ceux-là même qui avaient feint de ne pas voir les jeux de casino, se sont attachés à sauver le système pourri en y injectant des montants inimaginables, prélevés sur les capacités de financement des Etats dès lors réduits à imposer l’austérité.

L’Union européenne a timidement osé le plafonnement des bonus des „grands patrons“, mais cette mesure tape-à-l’oeil est adroitement contournée par l’ingénierie financière. Il fallait calmer l’opinion publique, révoltée par l’enrichissement sans gêne de ces gens qui paraissaient respectables. Mais l’Union européenne n’a pas un seul instant pensé à saisir l’occasion pour recadrer les relations hiérarchiques entre la Politique et l’économie. Qui aurait pu l’empêcher d’augmenter la pression fiscale sur les profits à partir d’un seuil moralement défendable? Pour couper l’envie de surgains de productivité destinés uniquement au capital? Pour rendre aux Etats les moyens de remplir leur contrat social avec les citoyens?

Ah! je vous entends, les politiciens: „L’Europe ne saurait avancer seule dans cette direction, les Américains ne suivront jamais, et de toute façon, LuxLeaks prouve que ça ne marchera jamais.“

Si, ça marchera un jour. Par ce qu’il le faudra. Parce que tout a une fin, même l’impuissance politique.

Alvin Sold