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Chère Marguerite,

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Je vous admire. Vous avez su défendre votre point de vue contre le premier de vos collègues qui, finalement, a cédé, quitte à ne pas se rallier à vos arguments.

Il faut dire que le renvoi à la grotte de Lascaux peut paraître tiré par les cheveux, car cet endroit mythique surpasse de loin ce que peut imaginer le commun des mortels courants. Comment sauraient-ils, ces accros du multimédia dévoreur de leurs jours, que le berceau de l’homo sapiens, capable de relations sociales et d’un langage structuré, d’abstraction et d’introspection, a révélé ses dons artistiques là-bas, en Dordogne, il y a dix-sept mille ans?

Quinze mille ans avant notre ère sophistiquée mais en somme barbare, les gens de l’endroit nommé Lascaux vers le XVe siècle peignaient et gravaient sur les parois de leur refuge enfoui des taureaux, des cerfs, des félins, des rhinocéros et, dans le lieu dit puits, un homme à tête d’oiseau et au sexe érigé, étendu sous un bison éventré. On se donnait le temps et les moyens de réaliser quelque chose de beau, des oeuvres destinées à plaire, à raconter, à traverser les temps et les générations. On a découvert, et ce fut par pur hasard, les grottes de Lascaux qu’en 1940, alors que les nations les plus civilisées du monde moderne se lançaient dans la plus meurtrière des guerres.

Oui chère Marguerite, l’art, les arts dont vous êtes la défenderesse suprême en ce pays épris de sécurité et donc de l’argent, ont pris racine en Dordogne et ailleurs, bien avant l’Histoire connue et célébrée de l’antiquité européenne, méditerranéenne et asiatique. La femme érudite que vous êtes a sans doute obéi à ses réflexes innés lorsque vous avez opposé un refus catégorique à la demande de vos amis Xavier et Pierre.

Que ces deux brillants gestionnaires agissent comme leurs pairs ne vous a surpris guère: ils cherchent à réduire les frais de fonctionnement de l’Etat, ce qui est sans doute nécessaire. Mais comment osaient-ils vous approcher, vous la ministre de la Culture, avec l’idée saugrenue de diminuer de dix pour cent les budgets alloués aux différents départements?

N’ont-ils pas conscience d’un fait élémentaire: c’est par sa culture que l’homme se distingue, depuis Lascaux, des autres êtres vivants qui peuplent la planète?! Qu’il faut donc, en bonne logique, promouvoir la marche vers la culture même quand les milieux d’affaires et d’affairistes excités par mille et un experts et conseilleurs tentent d’imposer aux Etats une austérité générale!

Ah! grande dame, vous méritez plus que notre reconnaissance; nous vous devons un soutien politique sans faille. Si vous n’aviez pas eu la force d’imposer au chef du gouvernement un plus dix en lieu et place de son moins, de nombreuses associations culturelles, regroupant des milliers de bénévoles, ne pourraient plus financer leurs activités, certes modestes par rapport aux prestations des musiciens, choristes et solistes, danseurs, peintres, sculpteurs, écrivains, acteurs et comédiens, mais indispensables dans une société évoluée.

Eh! Marguerite, vous aurais-je mal compris? Seriez-vous une adepte du moins dix, comme les autres? La culture devrait-elle rentrer dans le rang, sous votre oeil sévère, votre main tenant le stylo à l’encre rouge?

Quelle déception, Marguerite.

Je vous salue poliment, en gardant un espoir: si votre char ministériel faisait un jour un petit tour par Lascaux, vous nous reviendriez différente. En amie.
Alvin Sold
(Kulturissimo, 10.04.2014)