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(Dis)grâce et métamorphoses – „Roulez Jeunesse“ au Théâtre des Capucins

(Dis)grâce et métamorphoses – „Roulez Jeunesse“ au Théâtre des Capucins

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Souvent, l’adolescence est considérée comme cette étape ingrate entre l’émerveillement de l’enfance et la stabilité de l’âge adulte. „Roulez Jeunesse“ parvient, malgré quelques passages poussifs, à trouver grâce et nostalgie pour un âge où les choses étaient moins solidifiées – et où la possibilité du jeu se mêlait à la découverte des corps.

Comment mettre en poésie théâtrale des souvenirs – premières règles, premiers boutons, honte du corps et des poils qui poussent, autoinitiation à la branlette, esquisses d’attouchements maladroits – dont le souvenir nous fait grincer des dents? Comment enrober de nostalgie cet âge souvent appelé ingrat et qui, de fait, nous enduit les faces du gras de l’acné et fait pousser nos corps de façon incongrue, comme si la biologie voulait faire de nous le centre d’expérimentations morphologiques étranges? Comment teinter de nonchalance cette époque de nos vies où le seul élément harmonique découle d’une parfaite (més)entente entre corps et âme (car l’ado se sent à la fois mal dans sa peau et mal dans sa psyché)?

Ce sont ces défis multiples que décide d’affronter Pascale Noé Adam dans sa première mise en scène, pour laquelle elle se fait accompagner par le danseur Gianfranco Celestino pour la mise en mouvement des acteurs – choix judicieux puisque c’est le corps, son changement, le lent cheminement vers une acceptance de cette mutation physique et l’éclosion des désirs qui est au centre des 37 vignettes dont est tissé le texte de Luc Tartar et qui dépeignent de courtes situations de la vie adolescente.

Ces vignettes ont souvent pour sujet la découverte de la sexualité, la fascination pour l’autre. Un jeune homme se met à désirer sa dentiste au point de vouloir lui lancer un sensuel „oui, baguez-moi“, deux jeunes garçons s’émerveillent de ce que leur corps commence à puer alors que les filles s’en horripilent, un autre garçon découvre les plaisirs érotiques solitaires alors que la maison familiale devient soudain trop peuplée en bruits. Et toujours revient la description de la beauté des corps, la fascination pour ces courbes et protubérances qui surgissent, comme pour montrer aux jeunes ados qui, lors de la matinale de ce lundi, se comportaient en ados typiques et rigolaient (en rougissant peut-être dans la pénombre) quand ça parlait sexe, que leur maladresse est légitime, touchante.

Fraîcheur des débuts

De façon assez intelligente, le très bon jeu des quatre jeunes acteurs oscille entre singeries puériles et mimésis de vie adulte – comme quand un des ados lance à son amie qu’il compte s’éclater jusqu’à l’âge de trente ans, après quoi il se rangerait, à la suite de quoi l’amie, dubitative, dit que l’expression „se ranger“ lui paraît dénuée de sens. L’angoisse, mais aussi la liberté du corps conquise se lit dans le ballet des acteurs, le surjeu faisant ici partie d’une ère où la vie est plus intense, plus fluctuante, plus survoltée aussi. C’est ce qui se manifeste aussi dans la scénographie, signée par la sœur de la réalisatrice, et qui crée un espace scénique où les résidus de l’enfance – balançoire, jouets divers – se transforment en objets de désirs, en espaces d’intimité.

Parfois, le texte paraît un peu trop lourd, un brin trop pédagogique – c’est là un risque récurrent de textes écrits pour les ados, de vouloir contenir la fougue de cet âge en moralisant, en schématisant – et passe trop vite sur des sujets comme ces ados qui se mutilent, qui picolent à l’excès, bref dessine une image trop rassurante d’un âge qui demeure celui des premières angoisses existentielles, des premières déconvenues. Malgré tout, la pièce parvient à peindre un portrait nuancé de l’adolescent quand elle met en scène une ado qui vomit aux chiottes ou un jeune qui devient la risée à cause de son homosexualité.

Et la pièce, dans ses meilleurs moments, parvient à montrer que ce soi-disant âge ingrat, où les flux de désirs étaient intacts, où l’on se sentait attiré par maint corps, constitue de fait notre malhabile entrée en amour, nos premières et innocentes expériences. Sans ses moments un peu poussifs, „Roulez Jeunesse“ bouscule quelque peu la lourdeur de l’âge adulte, ses convictions déguisées en préceptes immuables, ses carcans relationnels et sociétaux, son esprit de sérieux un peu rance.

A voir ce soir au Théâtre des Capucins à 20 heures.