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Tant de langues à cultiver!

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Editorial de kulturissimo, mensuel socio-politique encarté dans Tageblatt.

Saudade. Duende. Bérézina. Snjör. Spam. Tartle. Koselig. Lagom. Jaksaa. Hyggelig. Voorpret. Dépaysement. Schadenfreude. S’encoubler. Gattara. Vedriti. Torschlusspanik. Litost. Preznovit’. Formacja. Knygnesys. Kaapshljmurslis. Leiliviskaja. Talaka. Holodomor. Dor. Vic. Bolan. Házisárkány. Inat. Petchalba. Covece. Klloshar. Chuzhbinia. Filotimo.

Rien compris? Normal. Ces 35 mots, extraits de 33 langues européennes, sont intraduisibles dans une autre langue. Il faut, pour chacun, plusieurs lignes pour en donner le sens approximatif. Schadenfreude (allemand): sensation de plaisir ressentie par le fait de voir le malheur de l’autre, particulièrement lorsqu’on n’aime pas la personne concernée. Saudade (portugais): état d’esprit de profonde nostalgie pour quelque chose ou quelqu’un que l’on regrette et qui est perdu. Le lecteur s’amusera à trouver les autres explications.

Une langue (il y en aurait encore 6.000) est infiniment précieuse parce qu’elle exprime, au delà du factuel, le vécu, le ressenti d’une communauté, sa perception du monde et la vie. Une langue ne se partage jamais totalement, même dans l’hypothèse du partage total d’un même vocabulaire. Les Luxembourgeois qui se donnent tant de mal à apprendre la langue haute de leurs voisins allemands et français se font mille fois piéger par les poètes et les romanciers. Bien que comprenant les vocables: le sens qui découle du contexte ou de la tournure peut si facilement les tromper …

Il est dommage que le débat sur le rôle du luxembourgeois au Luxembourg ait été politisé avant même l’étude linguistique du problème posé. Car le luxembourgeois qui fait partie de la vaste famille des dialectes allemands est un cas bien particulier, du fait des emprunts nombreux dans la très grande région qui a vu arriver, partir ou rester tant de soldats et de migrants.

Il serait amusant, par exemple, de discuter d’une possible évolution du luxembourgeois vers une véritable langue mixte, pidgin, voire créole. Selon Jean-Paul Demoule, ce type de langues s’est créé et se crée encore pour les nécessités de la communication, le plus souvent sur la base d’un parler dominant. Pidgin désigne le premier état du processus, avec une grammaire très simplifiée, puis viendrait la „créolisation“, qui fait naître une langue totalement formée … A ceux qui se vexeraient de voir le luxembourgeois étiqueté pidgin, l’on peut signaler, en guise de consolation, que l’anglais lui-même est parfois classé dans cette catégorie!

Mais à l’heure actuelle, le sujet de la langue nationale n’est pas abordé sous cet aspect, trop aride sans doute. Beaucoup préfèrent le confiner à la dimension politico-polémique, pour des raisons qui vont des craintes ancrées dans le subconscient aux manipulations électoralistes.

Il n’est peut-être pas superflu de rappeler que la question des langues peut pousser les hommes à la folie. Au 19e et au 20e siècles, Ursprache, Urvolk et Urheimat (intraduisibles!) n’étaient pas simplement les axiômes canoniques des férus d’un arbre linguistique indo-européen, mais aussi la base des théories racistes qui ont abouti aux guerres, aux massacres et au génocide le plus effroyable de l’histoire humaine.

Amis, parlons des langues avec modération. Sinon, nous courons à la bérézina. Voir supra.

asold@tageblatt.lu