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La fin du monde d’hier

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Ce qui se joue ces jours-ci au Moyen-Orient, des deux côtés de la frontière entre la Syrie et l’Irak, c’est l’enterrement définitif de tout ce que le XXe siècle a imposé à la région, après la Première Guerre mondiale.

Dès 1916, en effet, les vainqueurs du moment, c’est-à-dire surtout la Grande-Bretagne et la France, avaient dessiné les frontières des Etats, tels que nous les connaissons aujourd’hui.

Danièle Fonck dfonck@tageblatt.lu

Ce découpage, issu des accords Sykes-Picot, qui s’était fait sur le dos de l’Empire ottoman, a cependant fini par départager d’une manière arbitraire les territoires, semant dans l’ensemble du Moyen-Orient de multiples bombes à retardement qui, maintenant qu’aucune grande puissance n’arrive plus à y exercer un contrôle efficace, explosent l’une après l’autre.

La dernière en date est le résultat de l’incroyable maladresse occidentale – c’est-à-dire avant tout américaine – dès le lendemain du renversement du shah d’Iran, par l’ayatollah Khomeiny en 1979 et de l’instauration d’une première république islamique de la région. Soudain, il fallait nouer de nouvelles alliances pour garantir l’accès stratégique au pétrole. Ceci, en veillant qu’aucun des Etats ne devienne trop puissant et ne bombe trop le torse. Sans oublier que l’empire soviétique entendait lui aussi s’approprier la part du lion.

La diplomatie occidentale a, dès lors, misé – et ceci d’autant plus qu’à l’implosion de l’Union soviétique elle était momentanément seule sur le terrain – sur les divisions internes, mettant a profit les frontières religieuses, plus floues que celles qui séparaient les différents Etats, misant tantôt sur les uns, tantôt sur les autres pour rester maître de la situation. C’est ainsi que Washington a armé Saddam Hussein contre l’Iran dans la première guerre du Golfe, puis a retourné sa puissance de feu contre l’Irak lors de la deuxième, pour enfin mettre à genoux Bagdad avec la troisième.

Une poudrière à nos portes

Cela a permis que, de part et d’autre de l’Irak, deux puissances régionales se consolident, l’Iran chiite d’un côté, l’Arabie saoudite sunnite de l’autre, se faisant face en chiens de faïence. Dans la stratégie de la Maison Blanche, chiites et sunnites étaient censés se mettre mutuellement en échec. Mais chaque fois que les uns étaient affaiblis, les autres profitaient de l’avantage. Ainsi, la chute du sunnite Saddam Hussein a permis au chiisme de s’installer aux commandes de l’Irak, à la grande joie de l’Iran.

En Syrie, en revanche, l’Arabie saoudite a su profiter de l’insurrection contre l’alaouite (et donc chiite) Bachar el-Assad, pour armer les djihadistes sunnites et gagner du terrain.

Et ce sont ces derniers qui, aujourd’hui, sont passés à l’offensive. Regroupés au sein de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), effaçant la frontière entre la Syrie et l’Irak, ils sont en passe de créer un califat menaçant désormais l’ensemble du Moyen-Orient. Nourris par tous les ressentiments et toutes les humiliations infligées au sunnisme après l’exécution de Saddam Hussein, rejoints par des djihadistes venus, comme au temps des croisades, de partout leur prêter main forte, financés par les monarchies sunnites, les combattants de l’EIIL entendent bien mettre fin à ce qui reste de l’héritage colonial du XXe siècle, à savoir les frontières établies par les accords Sykes-Picot.

Les voilà aux portes de Bagdad. Les voilà qui menacent le Liban, la Jordanie. Les voilà qui absorbent en Syrie tous les djihadistes, y compris le front Al-Nosra, branche régionale d’Al-Qaïda, menant la guerre sainte contre le chiisme.

Et voilà que de l’Iran à la Méditerranée, les Etats tremblent.

Mais voilà, surtout, que l’Occident qui, tout au long du XXe siècle, a voulu mener la danse, ne sait plus à quel saint se vouer. Il a tiré à peu près toutes ses cartouches, en Libye, en Irak, en Syrie et ailleurs, sans réussir à reprendre la main. Et voici que l’Arabie saoudite entre dans la tourmente.

C’est la fin du monde d’hier qui s’annonce. Avec une poudrière à nos portes dont la mèche n’est plus à notre portée.