Certes, il ne m’appartient pas de douter de la bonne intention du ministre, mais il y a une différence entre „bien intentionné“ et „bien“ („gutt gemengt a gutt ass zweeërlee!“). Et en politique, reconnaître qu’on fait fausse route est un signe d’intelligence. L’obstination est mauvaise conseillère et un signe contraire.
Les arguments du ministre
Quels sont les arguments développés par le ministre, et qu’est-ce qu’il faut en penser?
L’argument majeur avancé consiste à harmoniser l’âge de la scolarité obligatoire avec l’âge de la majorité civile qui est de 18 ans. Aurait-il méconnu le sens de l’histoire dans la mesure où on peut parier sur le fait que prochainement, tôt ou tard, c’est plutôt l’inverse qui va se passer : l’âge de la majorité civile, c’est-à-dire l’âge où un individu est juridiquement considéré comme civilement responsable et capable de s’engager par les liens d’un contrat ou d’un autre acte juridique, sera abaissé à 16 ans, ce qui entraînera notamment une baisse de l’âge du droit de vote. Avec son ami Marc Zanussi (+), en 1992 (!), le soussigné avait déjà déposé une proposition de loi dans ce sens à la Chambre des députés! J’avais d’ailleurs fait de même, à l’époque, comme membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Avec un peu de courage politique, cette mesure devrait déjà être en application depuis longtemps, sans nécessairement entraîner le recours à un référendum, où d’ailleurs, la majorité des participants peuvent être classés dans la catégorie seniors, généralement plutôt sceptiques voire hostiles à toute forme d’innovation ou de changement. Pour compléter ce tableau, on pourrait encore citer le Code du Travail qui autorise le jeune à aller travailler à partir de l’âge de 15 ans.
Le ministre se dit persuadé, sans convaincre, que la mesure évoquée contribuera à réduire le taux de décrochage scolaire et à assurer une meilleure insertion dans le monde professionnel. Même si l’intention, c’est-à-dire s’occuper des décrocheurs scolaires, est louable, le remède repose sur un diagnostic erroné. Le médicament n’est pas approprié pour guérir ce type de maladie.
Prolongement volontaire ou obligatoire?
Est-ce qu’il ne faudrait pas plutôt se poser la question pourquoi ces jeunes gens, entre 16 et 18 ans, tournent le dos à toute forme d’enseignement ou de formation? Peut-être que l’offre scolaire n’est pas en phase avec la demande ? On pourrait recommander, surtout à un ministre libéral, de privilégier et d’adapter l’offre plutôt que de recourir à l’obligation ou à la coercition. Serait-il sous influence communiste alors qu’il habite à un jet de pierre du président à vie du parti communiste luxembourgeois (attention : deuxième degré!). Convaincre plutôt que contraindre devrait être le mot d’ordre. Il faudrait donc insister pour convaincre, mais en cas d’insuccès, faudrait-il pour autant les obliger par la loi de ce faire ? Ma réponse est non.
Pour s’en convaincre, il vaut mieux partir de la „réalité réelle“ que de s’imaginer sa propre réalité. Dans des documents du Ministère il est question de vouloir faire bénéficier les jeunes concernés d’une scolarisation plus longue et plus efficiente, augmentant ainsi les chances de réussite pour l’avenir. Malheureusement, j’ai l’impression que les auteurs de ce type d’arguments ignorent une réalité, le „sens“ que tout jeune demande de voir avant de s’engager dans une voie de formation ou autre. Alors obliger un jeune, qui s’est éloigné souvent déjà de l’autorité parentale ou de l’autorité scolaire, par la loi, de fréquenter l’école dans laquelle il ne reconnaît pas de sens, le pourquoi avant le comment, n’est pas lui rendre service. Cette dernière remarque est également valable pour l’institution scolaire elle-même, sans parler de la situation peu enviable des formateurs/enseignants qui se trouvent aux avant-postes pour essuyer les plâtres.
Dans son programme électoral pour les présidentielles françaises en 2002, Lionel Jospin, qui avait malheureusement échoué, avait proposé de faire du „lifelong learning“ un élément central de sa politique éducative. Personnellement, je pense que la bonne solution pour les problèmes évoqués, qui sont réels, réside dans cette stratégie. Au risque d’être mal compris ou mal interprété, j’ose affirmer que beaucoup de jeunes, malheureusement, ne voient pas de sens dans le fait de „glander“ dans une structure éducative entre 16 et 18 ans, alors que des années plus tard, ils voient peut-être le monde différemment. Peut-être faut-il les laisser glander quelque peu, le temps qu’ils décident d’eux-mêmes de retourner dans une voie de formation leur permettant de mieux se retrouver sur le marché de l’emploi. En plus, les jeunes entre 16 et 18 ans ne peuvent pas tous être supposés pareils, n’en déplaise à notre système éducatif qui loge tous les jeunes à la même enseigne alors qu’en réalité ils sont trop différents, surtout ce type de public.
Je me permets de lancer le bouchon encore plus loin. Des fois, il vaut mieux „laisser galérer“ un jeune quelque peu, en attendant qu’il retrouve un autre goût à la vie, une autre motivation pour reprendre pied, pour reprendre un parcours de formation. C’est à ce moment-là que le Ministère de l’Education nationale doit répondre „présent“ et proposer quelque chose qui tienne la route et qui soit accepté par le jeune.
Il y a certes d’autres possibilités pour convaincre, et non obliger, un jeune à continuer un parcours de formation, mais surtout pas avec les moyens, notamment pédagogiques, d’aujourd’hui. Il faudrait dès lors proposer des pédagogies innovatives, de nouveaux parcours de formation, d’autres formations des formateurs, etc. On en est loin, malheureusement, malgré les belles paroles „emberlificotrices“ du ministre. Et je ne suis pas sûr qu’il faille augmenter l’âge de la scolarité pour introduire des alternatives didactiques. On peut le faire dès demain matin si on veut! Et que faire des jeunes qui ont un contrat de travail avant leurs 18 ans? On les obligerait à cirer les bancs de l’école, alors que leur état d’esprit et leurs intérêts sont ailleurs? Non merci!
Carton jaune ou carton rouge?
Le ministre serait bien avisé de placardiser ce projet de loi dont personne ne veut! Pourquoi d’ailleurs définir, comme il l’a déclaré, le contenant trois ans avant le contenu? Et que faire si l’intendance ne suit pas, comme il est permis de penser? La Chambre des salariés, qui est une autorité reconnue et un partenaire voire un voisin de table dans le domaine de la formation, surtout professionnelle, a raison de fustiger le projet de loi sous rubrique.
Alors pourquoi attendre de le mettre au placard, ou, mieux, au réfrigérateur? Il n’est pas déshonorant pour un ministre de faire marche arrière, alors que continuer dans la mauvaise voie, dans l’erreur, nonobstant les oppositions massives, est une erreur politique grave!
Monsieur le ministre, à vous de choisir entre un carton jaune et un carton rouge!
Tout en sachant que deux cartons jaunes sont synonymes de carton rouge.
Même en politique!
* René Kollwelter est ancien député et ancien conseiller d’Etat
Bravo Monsieur Meisch pour les 9 oppositions formelles. C'est une brillante rédaction en provenance de votre ministère.
J'espère que le POSL ne votera pas un tel texte qui n'est pas une nécessité.