Headlines

Forum„L’écologie punitive“: médaille d’or de l’expression la plus stupide de l’année

Forum / „L’écologie punitive“: médaille d’or de l’expression la plus stupide de l’année
  Photo: dpa/Jens Büttner

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

En politique comme ailleurs, il y a des expressions, des noms ou des adjectifs, qui sont up to date, qui sont à la mode, mais qui ont la vie courte et puis disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. 

D’autres perdurent plus longtemps. Un exemple parmi d’autres: le terme „durable“, un terme tellement usé qu’il est souvent vidé de son sens premier, qui est utilisé à tort et à travers, qui est mis à toutes les sauces, dans tous les secteurs de la politique ou ailleurs. Sorry, je ne peux plus l’entendre. Un autre terme, plus récent, utilisé plutôt dans la langue luxembourgeoise ou allemande, est en train de s’imposer, surtout dans le domaine de la culture: le terme de „spannend“ (plein de suspense? captivant?). Trouvez-moi une personne capable de donner une définition tant soit peu précise de ce mot.

Impossible! Et tout le monde s’y adonne quand même!

Depuis peu, un autre terme, dans un contexte légèrement différent, est en train de s’imposer dans le monde politique et dans son discours, je veux parler de ce que certains appellent „l’écologie punitive“. Il n’existe pas de définition claire et nette, généralement admise, de cette expression. Personne n’est capable de définir la frontière entre écologie acceptable, consensuelle, et écologie punitive voire liberticide.

Aujourd’hui, chaque fois qu’une réglementation forte est instaurée au nom de l’écologie, de plus en plus d’acteurs, hommes politiques (le plus souvent de droite) ou des représentants du patronat, montent systématiquement au créneau pour dénoncer une écologie dite „punitive“.

Or, dans une société développée comme la nôtre, toute loi, régulation ou norme dans un domaine quelconque est en fait une privation de liberté, synonyme de punition. Aujourd’hui, pour faire fonctionner tant soit peu une société, une ribambelle de règles, admises, adoptées et votées, si possible suite à un processus démocratique, sont indispensables, dans n’importe quel domaine de cette société. En cas de transgression, vous êtes sanctionnés. On pourrait se faciliter la réflexion et simplement se poser la question ce qui est si mal à ce qu’une politique écologique soit „punitive“?

Oui à des règles claires, suivies de punitions claires!

Sans règle, tout serait permis, vous auriez le droit de traverser un village à 130 km/h, nonobstant les dangers ou dégâts potentiels ou réels que vous pourriez occasionner. Il est également admis dans une démocratie évoluée de payer des impôts et des taxes pour, notamment, financer la transition énergétique.

Les défis écologiques, notamment globaux ou autres, auxquels nous sommes confrontés, justement, ne nécessitent-ils pas une approche plus globale, plus déterminée, avec des règles contraignantes, voire punitives?

On pourrait continuer la liste jusqu’à l’infini.

En fait, il s’agit de mesures dites „punitives“, dans la mesure où elles limitent les libertés individuelles et sont accompagnées de sanctions. On peut les considérer comme des règles collectives décidées dans l’intérêt général et, pour cette raison, acceptées collectivement.

Certes, on peut les discuter, les contester, débattre de leur bien-fondé, de leur utilité ou de leur faisabilité. Mais avancer l’argument „punitif“ pour les vouer aux gémonies est un peu court, insuffisant et mal à propos. Là il y a anguille sous roche!

Finalement, n’est-ce pas ainsi que doit fonctionner normalement et essentiellement une société évoluée: elle se fixe des règles collectives, des fois contraignantes voire punitives, des fois non, quand il s’agit d’encadrer des comportements individuels quand ils sont nocifs pour la collectivité. Ce qui est valable pour d’autres secteurs politiques l’est également pour l’écologie. Pourquoi cette dernière échapperait-elle à ce fonctionnement appliqué systématiquement à d’autres secteurs?

Le mouvement „contre“ a été initié notamment par Nicolas Sarkozy, qui, après avoir organisé le „Grenelle de l’environnement“ seulement quelques semaines après son élection en 2007, se proposait d’adopter des solutions pour endiguer la crise écologique et pour manifester son attachement à la défense de l’environnement. Une première pour un homme politique de droite voire du centre.

Quelques années plus tard, le même, dans une sorte de volte-face de 180 degrés, a déclaré, dos au mur face à des revendications environnementales, face aux agriculteurs du Salon éponyme: „L’environnement, ça commence à bien faire!“ En relativisant le poids des objectifs environnementaux, il a inconsciemment (?) donné le coup d’envoi d’un „green-bashing“ généralisé (d’après le dictionnaire: terme anglo-saxon qui consiste à tourner en dérision les pratiques et les thèses écologistes) qui perdure encore aujourd’hui et qui va s’accentuant, même en Allemagne, et, forcément après, au Luxembourg. Peut-être que certains partis „écologistes“, par leur comportement, des fois arrogant et opportuniste, de moins en moins en phase avec leurs positionnements politiques antérieurs, sont co-responsables de cet état de fait. Toujours est-il que cela correspond à une réalité d’aujourd’hui. D’ailleurs, ils seraient bien avisés de mettre sur pied une riposte stratégique pour contrecarrer cette offensive anti-environnementale à laquelle nous assistons. En sont-ils capables au stade actuel? Il est permis d’en douter.

Précision: s’il m’est arrivé de critiquer les Verts dans le passé, ces critiques ne visaient jamais un „trop-disant“ écologique, mais, hélas, plutôt un „moins-disant“ …

Et au Luxembourg ?

Ainsi, de plus en plus souvent, c’est l’argument de l’écologie punitive qui est avancé systématiquement quand il s’agit de marquer son refus face à une mesure à visée écologique. Au Luxembourg, les responsables des organisations patronales s’en donnent à cœur joie. Ils profitent de la conjoncture légèrement favorable aux adversaires de l’écologie, pour changer le rapport de forces en leur faveur, pour faire bouger le curseur.

La tête de liste du CSV pour les élections législatives, en bon gregario du patronat, ne rate plus une occasion pour se joindre à ce credo. „Nous sommes pour une politique environnementale, mais responsable, mais pas punitive“ est-il en train de crier sur tous les toits. On est donc pour et contre à la fois. Un „en même temps“ cher au président Macron. Le célèbre „oui mais“ des années soixante-dix refait surface. Est-ce un hasard si l’ADR est sur la même longueur d’ondes? Et même le DP qui change de positionnements comme d’autres changent de chemise, entonne la même chanson. Tous, en chœur, expriment régulièrement leur rejet de l’écologie punitive et demandent qu’elle soit remplacée par un des adjectifs suivants: incitative, le plus souvent, ou positive.

Leur discours, à première vue, est tout en rondeur. Au lieu de contraindre les citoyens, il faudrait les „inciter“ à prendre leurs responsabilités individuelles et à agir sans que l’Etat s’en mêle. Leur objectif est de faire dans le domaine de l’écologie ce qui n’est appliqué dans aucun autre domaine: inciter sans contraindre, sans punir, sans sanctionner. On attendrait des citoyens qu’ils fassent preuve d’eux-mêmes d’un comportement „correct“, qu’ils se comportent volontairement „comme il faut“ pour l’intérêt général, sans contrainte légale ou autre.

Cette approche est plus que naïve et ne correspond à aucune réalité, elle fait preuve d’une méconnaissance grave du comportement des êtres humains. En effet, les situations où les comportements humains sont spontanément en phase avec les objectifs sociétaux sont très rares. Ceci est doublement vrai quand il s’agit de s’attendre de la part des citoyens à un comportement exemplaire et volontaire à la fois, pour une cause qui ne confère pas un bénéfice immédiat ou direct, qu’on peut identifier.

Il nous faut donc, n’en déplaise à certains, des régulateurs, des arbitrages, des normes, des lois, des contraintes qui, forcément, doivent être accompagnés de punitions, de sanctions.

Si nous voulons notamment atteindre nos objectifs climatiques, définis et admis par une grande majorité, nous sommes obligés de prendre des mesures, pour la plupart contraignantes. Certes, des voix discordantes, pour semer la zizanie, se font régulièrement entendre, même dans le cadre de la rubrique présente de mon journal favori, encore début août. Des énergumènes (d’après le dictionnaire: personne exaltée qui se livre à des cris, à des gestes excessifs dans l’enthousiasme ou la fureur) s’y font l’écho de messages climatosceptiques ou d’un greenbashing systématique ou d’un „anti-écologisme“ primaire, souvent truffés de chiffres, rarement avec indication de sources, sachant que des grands groupes multinationaux, notamment pétroliers, ont mis sur pied une armada de cellules stratégiques ou de think tanks qui inondent l’opinion publique, la presse et les politiques, has been et autres, de chiffres trafiqués et d’analyses tronquées.

Comment le citoyen lambda s’y retrouve-t-il encore? Le but recherché est évident. Il s’agit de dénigrer, de déstabiliser ou de tirer le tapis sous les pieds (d’après le dictionnaire: gêner quelqu’un, le mettre en difficulté) des thèses environnementales pour favoriser l’inaction au lieu de l’action.

A la longue, de toute façon, ce n’est pas l’écologie qui est punitive, mais justement l’inaction. L’écologie punitive est seulement l’arbre qui cache la forêt, pour certains il s’agit de trouver des justifications pour ne rien faire, ou faire du moins-disant. Ou de caresser des citoyens ignorants et sceptiques dans le sens du poil. Ou de déguster les louanges des organisations patronales et de leurs serviteurs.

Le renard libre dans le poulailler ?

En fait, nous assistons à une attaque orchestrée, sous une fausse bannière, qui revendique une forme imprécisée de „liberté“ et qui a dans son viseur, non seulement les mesures en faveur de l’environnement, mais vilipende d’une façon générale tout ce qui a trait à une réglementation de quelque nature que ce soit. Pour décrire le phénomène, on pourrait ressortir le vieil adage de „la liberté du renard dans le poulailler“, qui plaît tellement aux ultralibéraux de toutes les couleurs, au CSV, au DP, à l’ADR et à certains nostalgiques socialistes, sans parler du patronat, bien sûr, qui ne regarde, pour sa plus grande partie, jamais plus loin que le bout de son nez et la santé de son portefeuille personnel.

De quelle liberté parlent-ils? De celle qui permet de tuer, d’emmerder le voisinage avec du bruit ou des odeurs, d’imposer des contraintes inadmissibles à des travailleurs en termes d’horaire, de pénibilité au travail, de rouler à tombeau ouvert dans leurs bolides, de consommer de la drogue à gogo, de ne plus devoir choisir entre boire et conduire, de refuser la vaccination en cas de pandémie, de faire des constructions n’importe où et n’importe comment, etc, etc.

Pour revenir au sujet qui nous (pré)occupe aujourd’hui, il faut clamer haut et fort que les interdits, les réglementations, les limites vont devenir de plus en plus justifiés, voire nécessaires, dans un monde où les grands équilibres écologiques ont été bouleversés, où les seuils critiques en matière de climat et de biodiversité sont franchis, où certaines matières premières et énergies non renouvelables connaissent des records de production ou d’extraction, et où, au niveau global, l’explosion démographique est venue requestionner totalement les notions d’habitat, de consommation d’espace, de mobilité et autres.

N’en déplaise à certains: dans le monde d’aujourd’hui et encore plus dans celui de demain, il est nécessaire, voire indispensable de définir et d’appliquer, suite à un processus démocratique, des règles suffisamment contraignantes et des limites clairement posées qui sont incontournables pour que la liberté, mal comprise, égoïste, des uns, ne vienne écraser la liberté des autres.

N’en déplaise: dans un monde fini, limité en ressources, on ne peut laisser à certains la liberté de prendre la part qu’ils veulent du gâteau, même si ce sont eux qui ont les moyens, même si ce sont eux qui sont toujours du côté du soleil. Limites et réglementations doivent pouvoir assurer la sage consommation de nos ressources communes à l’Humanité, qui nous appartiennent à tous et non à une minorité privilégiée. Dans cette logique, par exemple, il faut ajouter une production d’émissions de gaz à effet de serre qui doit être compatible avec la viabilité de notre planète, dont la consommation n’est pas illimitée, dans le respect des générations futures.

En fait, il s’agit tout simplement (?) d’assurer une juste répartition des ressources, de l’espace et de tout ce qui n’est pas infini.

Un autre danger imminent nous guette!

Attention, une autre contre-attaque est en train de s’organiser pour abolir un autre bastion de la législation de l’environnement. Récemment, un concept déjà assez vieux a refait surface dans le domaine de l’environnement, et ce dans le cadre général de la discussion autour d’un soi-disant trop-plein de réglementations environnementales, et synthétisé par l’expression: „le silence de l’Administration vaut accord“. En 1999, le soussigné, à la Chambre des députés, était le rapporteur de la réforme de la procédure commodo-incommodo qui régit l’octroi et le suivi des autorisations d’exploitation de tout établissement, commercial ou artisanal, public ou privé de même que toute activité connexe et tout procédé dont l’existence, l’exploitation ou la mise en œuvre peuvent engendrer des causes de danger ou des inconvénients à l’égard de la protection de la sécurité, de la salubrité ou de la commodité par rapport au public, au voisinage ou au personnel de ces établissements, de la santé et de la sécurité des travailleurs au travail ainsi qu’à l’égard de l’environnement humain et naturel.

A l’époque, votre serviteur s’est opposé violemment à ce que la maxime citée plus haut soit inscrite dans la loi. Certains, notamment le président du groupe DP, y voyaient un argument fort pour réduire de manière drastique les délais de traitement d’un dossier de la part de l’Administration, sans évaluer les pertes et profits d’une telle démarche. Ce qui à première vue semble être une évidence est en fait une manière vicieuse de contourner la loi ad hoc, de se départir de toute réglementation, donc de toute sanction. En effet, l’application de cette approche risquerait, selon le cas, d’avoir des répercussions catastrophiques et mettrait directement en danger certains ouvriers/employés ou de simples riverains d’établissements classés.

Conclusion

Cette conclusion n’en est pas une. Il s’agit seulement d’un avertissement.

Méfiez-vous de ceux qui vous promettent une société sans interdits, sans punitions.

Soyez conscients que, dans une telle société, seuls les privilégiés, les classes supérieures, les nantis, les riches et certains nouveaux riches se sentiront comme les poissons dans l’eau.

Tous les autres en prendront plein la figure.

Pensez-y quand vous allez voter prochainement!

PS: L’auteur était président de la Commission de l’environnement de la Chambre des députés pendant 15 ans et auteur de nombreux rapports parlementaires ad hoc, et, surtout, co-auteur, avec Dulli Fruehauf (+), du bestseller „Umweltatlas für Luxemburg“, RTL-Editions, 1987.


René Kollwelter est un ancien conseiller communal et ancien député
René Kollwelter est un ancien conseiller communal et ancien député Photo: Editpress/Alain Rischard