ForumTa liberté – ma liberté, Ma dictature – ta démocratie?

Je vous écris cette lettre avec une sérénité totale, un trait de comportement dont vous avez des difficultés à faire preuve, souvent guidés par trop de préjugés, de désinformations, de mensonges, de mauvaise foi, voire de la haine. Sans parler des manipulations dont vous êtes victimes de la part de gourous, d’escrocs, des fois même en blouse blanche, de tireurs de ficelle politiques et autres marchands d’illusions, restant dans l’ombre, en deuxième ligne ou se manifestant par des discours doubles comme ne peuvent le faire que des agents doubles professionnels, suivez mon regard …

Certes, depuis des semaines j’observe vos efforts, et votre présence régulière sur la voie publique, par moments, force le respect. Mais à part cette appréciation plutôt positive, je me dois de vous interpeler sur des aspects de votre action qui me laissent pantois et qui m’interrogent, qui forcent mon désaccord profond.

C’est au niveau du vocabulaire, voire des mots d’ordre de votre „mouvement“ que je ne puis que manifester ma désapprobation la plus totale. Dans toute action publique, donc politique, le vocabulaire utilisé est important, il trahit les pensées profondes, il situe le mouvement sur une carte géographique de la philosophie politique. Vous êtes en train de défigurer, de dévoyer ou de vider de leur sens un certain nombre de termes politiques qui sont caractéristiques de nos sociétés occidentales, et qui font consensus entre des mouvements ou partis politiques de toutes les couleurs ou presque, méritant la dénomination de démocratiques depuis des décennies, souvent arrachés grâce à des luttes ou autres mouvements sociaux. En ce faisant vous positionnez votre mouvement sur la marge très très à droite de l’échiquier politique, je parle bien-sûr de l’extrême-droite.

Ce terme que vous utilisez régulièrement, dans vos cortèges, pour qualifier notre société, s’oppose en fait à un autre terme, celui de démocratie que vous utilisez plus rarement. C’est vrai que „dictature“, ça fait tiquer, ça interpelle, ça ne possède que des connotations négatives. Mais franchement, utiliser ce mot pour désigner nos sociétés occidentales, dont la nôtre, c’est se foutre de la gueule des gens, des citoyens, de ceux qui nous ont précédés et auxquels nous devons tant, c’est faire preuve de mauvaise foi, et, surtout, c’est manquer de respect face aux millions de gens qui vivent véritablement sous un régime dictatorial, des fois à seulement quelques encablures de notre pays.

Allez poser la question aux citoyens russes, biélorusses, kasakhstans, turques, chinois, africains ou sud-américains (pour certains pays), aux Ouïghours, aux Algériens, aux Marocains ou à leurs voisins tunisiens, et j’en passe. Mais peut-être que vous pouvez compléter la liste.

S’il vous plaît, ne nous mettez pas dans le même sac, même si je suis persuadé que tout système démocratique, dont le nôtre, doit se renouveler en permanence, se remettre en question pour se redéfinir, se régénérer, pour se repositionner, pour gagner en qualité.

Il y a du boulot, certes …

Mais parlons-en plus longuement du terme „démocratie“, toujours par opposition à „dictature“. Et analysons, par après, si les pratiques du (ou des) mouvements antivax correspondent à des pratiques démocratiques ou non.

Dans un dictionnaire politique, on définit la démocratie comme „tout système politique dans lequel le peuple est souverain.“ Mais la définition va plus loin. En effet, par extension, la démocratie peut également qualifier une forme de société, la manière de gouverner qu’adopte une organisation. Et le dictionnaire de conclure que „La démocratie peut donner lieu à des interprétations différentes“. Donc il n’y a pas un système démocratique, mais des systèmes démocratiques. Gageons que pour le terme de „dictature“, aucune nuance de ce type ne s’impose.

Mais la portée du terme de „démocratie“ va plus loin lorsqu’on analyse les valeurs inhérentes à la démocratie. Ces valeurs comprennent notamment le respect de la Constitution, un élément fondateur de toute démocratie, tout comme la primauté du droit, donc de l’Etat de droit.

Les moyens d’action disponibles sont des éléments importants de la manifestation de la démocratie et font également partie intégrante de ce système politique, citons le droit de protester contre une réforme, un projet de loi, contre une fermeture d’usine ou des licenciements, contre le racisme, etc.

Il m’est déjà arrivé de comparer le mouvement antivax au Luxembourg au mouvement des gilets jaunes en France, que j’ai pu observer in vivo il y a quelques années. Pluralité maximale, donc absence d’homogénéité, donc illisibilité totale des revendications, absence d’interlocuteurs pour les pouvoirs publics, trois manifestants ayant quatre revendications prioritaires différentes, absence de représentation dotée ne serait-ce que d’une once de légitimité démocratique ou représentative, élue de préférence. Leaders auto-proclamés, sans mandat de la base, et ne devant rendre des comptes à personne. Recours à la violence physique et verbale.

Aucune charte, aucun dossier de revendications, de préférence écrites, approuvées par des manifestants ou une base de militants quelconque. Même pas une feuille, que dis-je, même pas une ligne qui tienne la route, que des slogans usés et abusés, creux. Non-respect des lois sur l’organisation d’une manifestation sur la voie publique, non-respect des réglementations sur le port du masque à l’occasion de rassemblements de personnes, etc. En fait, vous transformez, tel un prestidigitateur, votre loi en LA loi. Vous me rappelez Billy the Kid au Far-Ouest, où le plus fort et le mieux armé imposait sa loi.

Contrairement aux syndicats, au mouvement ouvrier ou autre, toute négociation ou discussion sur la base de revendications concrètes vous est étrangère, donc impossible. Le compromis, vous ne connaissez pas. Le mouvement antivax se plaît à se nourrir d’anathèmes, de condamnations rapides, de réprobations, de fake-news, de manipulations, il fait fi de la notion de progrès, ignore la science et les Lumières qui ont guidé et précédé beaucoup de formes de démocratie et de progrès pour l’humanité.

Je suis au bord des larmes de colère quand j’entends les antivax usurper l’utilisation du mot „liberté“. Ce terme s’applique à des personnes qui ne sont pas sous la dépendance d’une autre personne, par exemple par opposition à l’esclavage, à la servitude. Ou qui ne sont pas enfermées, par opposition à captivité. L’esclavage a été pendant longtemps l’archétype de ce qui est contraire à la liberté, la servitude. Voilà un excellent exemple de non-liberté!

Il faut admettre, même si c’est pas toujours évident, que tout le monde a un droit égal à la liberté, que ma liberté est limitée par celle des autres et la leur par la mienne. Notre liberté n’est donc pas absolue. Au cas où ma liberté empêche, limite, porte atteinte à la sécurité des autres, je risque d’être poursuivi et puni par la loi. Au cas où une personne porte atteinte à ma sécurité, à ma liberté, la loi est susceptible de me protéger. Déjà la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, le texte fondateur de la Révolution française, énonce un ensemble de droits naturels, individuels et communs, ainsi que les conditions de leur mise en œuvre. Il y est notamment précisé que „la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui (…) La loi fixe des limites pour permettre à chacun de bénéficier des mêmes droits (…) Les bornes à la liberté ne peuvent être déterminées que par la loi“.

Il faut rendre à César ce qui appartient à César. La diminution des libertés à laquelle nous sommes assujettis depuis maintenant deux ans, les restrictions diverses qui nous sont imposées, à juste titre, pour lutter contre la pandémie, les libertés diverses dont nous sommes privées vont perdurer encore longtemps justement à cause de vous, les antivax, qui refusent la vaccination et nous empêchent, nous les vaccinés, à retrouver une vie à peu près normale, notre liberté. Au nom de sa liberté une minorité empêche donc une majorité de personnes de retrouver leur(s) liberté(s).

Elle est où la liberté? Elle est où la démocratie?

Voilà une forme de dictature qui ne dit pas son nom.

A titre de clin d’oeil à mes amis antivax, je ne peux m’empêcher de leur faire partager la citation suivante, entendue récemment:

„Dans nos pays démocratiques les manifestants sont à la télé.

Ailleurs ils sont en prison“…

Bons baisers de Russie (salutations de 007) et comment ne pas penser notamment à l’opposant russe Alexei Navalny, emprisonné, principal opposant à Poutine, qui est lui un vrai dictateur, contrairement à Xavier Bettel …

Peut-être faut-il déjà avoir été privé de liberté pour bien en connaître la signification exacte et apprécier les libertés dont nous jouissons, ici et maintenant.

Pour finir je ne peux résister à la tentation de citer un extrait d’un poème intitulé „Liberté“ de Paul Eluard, écrit en 1942, pendant la Seconde Guerre Mondiale. Ce poème sonne encore de nos jours comme une ode à la liberté face à la dictature. En fait il s’agit d’une longue énumération de tous les lieux, réels ou imaginaires, sur lesquels le poète écrit le nom de liberté. Eluard a connu les geôles de Hitler et il savait donc très bien apprécier la vraie liberté pour avoir connu l’absence totale de liberté:

Sur mes cahiers d’écolier

Sur mon pupitre et les arbres

Sur le sable sur la neige

J’écris ton nom

Ce poème, dont la lecture est à recommander, a été illustré par le peintre Fernand Léger en 1953. Le tableau est exposé au Musée éponyme de Biot (Alpes maritimes).

D’ailleurs, ce serait très intéressant de connaître l’avis de Paul Eluard, s’il avait la possibilité et le triste privilège de déguster vos pancartes, calicots ou autres où vous galvaudez le terme de Liberté …

J’ai peur que son diagnostic soit terrible … pour vous.

Sans parler du reste …