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L’accord

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(AFP)

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Patrick Modiano est donc le lauréat 2014 du prix Nobel de littérature et ce n’est pas anodin.

Non seulement parce qu’il suit les traces de Le Clézio, Simon, Sartre, Saint-John Perse, Camus, Mauriac, Gide, Roger Martin du Gard, Bergson, Anatole France, Rolland, Mistral, ou Sully Prudhomme, premier auteur tout court à avoir reçu le Nobel de littérature, mais parce que le jury couronne ainsi une oeuvre gigantesque et des meilleurs.

Danièle Fonck dfonck@tageblatt.lu

A son propos, le secrétaire perpétuel de l’Académie suédoise a expliqué hier qu’il était „le Marcel Proust de notre temps“. La mémoire est, il est vrai, un fil conducteur chez cet écrivain au style sobre qui a réussi à se faire aimer du grand public.
Modiano est un homme simple. Lui qui a eu tous les prix – du Nimier au Goncourt – et qui a refusé d’entrer à l’Académie française préfère démêler dans la sérénité que confère la discrétion, la subtilité de la mémoire et la complexité de l’identité (dixit François Hollande, cf. tweet de l’Elysée). Rien d’étonnant pour ce fils qui n’eut jamais de foyer familial chaleureux, sa mère d’origine flamande ayant „le coeur si sec que son chow-chow, brisé par son indifférence, se serait suicidé en se jetant par la fenêtre“ (citation de PM) et le passé de son père, Alberto Modiano, juif italien proche de la Gestapo, ne pouvant laisser que des traces chez un garçon solitaire.

Pourtant Modiano qui prétend que sa mémoire précédait sa naissance, aime le cinéma, la chanson. Sans oublier la presse. Car l’écrivain publiait régulièrement des chroniques dans les journaux, répondait volontiers aux interviews, voire se prêtait au jeu du dialogue croisé, lui, le protégé de Raymond Queneau qui avait pourtant arrêté ses études après le baccalauréat.

Deux mondes

Quel pourrait donc être un point commun entre un écrivain nobelisé et un futur président d’exécutif bruxellois?
Le sens de la mémoire, pardi.

Jean-Claude Juncker aime à se souvenir et prendre à son compte les leçons de l’histoire. Mais un homme politique peut-il, a fortiori quand il est exposé constamment et manque durablement de ces grands pans de silence qui permettent aux écrivains et philosophes de réfléchir, faire passer les messages que l’auteur parvient à transmettre par le biais du livre? Peut-il, parce que constamment dans un carcan technocratique, parce que systématiquement confronté à des groupes d’intérêts tantôt économiques tantôt idéologiques tantôt géopolitiques, se libérer pour façonner une Europe différente, à échelle humaine?

La réponse est évidemment négative.

Qu’on nous comprenne bien: ce n’est pas un reproche, tout juste un constat. Il suffit de regarder comment se construit une Commission européenne.

Les gouvernements „proposent“. Le Parlement européen ausculte, puis, sur la base d’un accord entre ses deux principales composantes politiques, valide ou rejette. Et ce n’est pas parce qu’on oblige une Slovène qui s’est autodésignée à jeter l’éponge que cela change quoi que ce soit sur le fond. Car un autre Slovène de la même appartenance va prendre le relais.

Le Hongrois, ex-ministre solidaire d’un premier ministre du nom d’Orban, inspirateur d’une Constitution muselière de la liberté de la presse, n’est pas inadmissible si on lui enlève une partie des compétences. Il fera partie du collège des commissaires et cette présence contribuera à détériorer l’image générale.

Enfin, le président, oui humain, oui social, aura-t-il les moyens de convaincre Mme Merkel de mettre un terme à cette politique d’austérité qui jette dans le fossé des millions d’hommes, de sommer la même de dépasser sa propre mémoire pour se souvenir du rôle de la Russie face au nazi et de celui, plus récent en termes d’histoire, de bouclier contre les islamistes?

Non, il sera obligé de faire fi „des destinées humaines“ probables qui résulteront des erreurs politiques commises à grande échelle.

(Danièle Fonck)