Avec „Café Neon et autres îles“, Jean-Christophe Bailly propose un choix de textes „grecs“ en forme d’archipel. Entre 1974 – date qui est aussi celle de la chute des colonels – et 2008 – année de la crise dont le pays peine encore à se remettre –, l’auteur de „Panoramiques“ et de „Beau fixe“ a voyagé, en zigzag ou en boucle, d’Athènes à Athènes, en passant par Naxos, Amorgos, Donoussa, Schinoussa, Koufonissia, Astypalea, Paros, Syros, Tynos, Délos, Mykonos, Igoumenitsa, Salonique, Kavala (et même … Téhéran). Aujourd’hui, il recolle les fragments grâce à un florilège de „cartes postales“ résumant son rapport à „ce qu’on peut appeler la matière de la Grèce, qui est cette poussière antique presque partout répandue dans la Grèce moderne, de la capitale aux confins, et du continent aux îles“.
Les impressions recueillies renvoient, pour la plupart, à un passé révolu symbolisé par la fermeture du café Neon, cet „endroit magique“ de la place Omonia, remplacé par un établissement de luxe dont les travaux s’achèvent, gommant ainsi le souvenir des petites tables envahies de joueurs de tavli et de dominos. Contrastant avec la „mykonisation“ galopante des îles et des villes, il existe encore des sentiers muletiers, de petits ports de pêche et des falaises ocre qui brillent dans le jour finissant, comme autant d’éléments d’une même skènè identique à elle-même, au fil des siècles et des randonnées. Plongeons, baignades, lectures, enquêtes sur les crabes et les étoiles de mer, le tout enveloppé par ces cinquante nuances de bleu qui font de la Grèce „un extrait du paradis“. Vitesse de croquis, attention à l’immédiat, plaisir réitéré de constater à quel point le souvenir est mêlé d’oubli et les images alternent avec le vide: „L’oubli fait partie du souvenir et le conserve comme une couche protectrice qui saute dès qu’on revient sur place.“
En septembre 1974, une promenade dans les montagnes d’Amorgos en quête de vestiges minoens débouche sur cette lecture du paysage – et du dépaysement – dont Jean-Christophe Bailly a fait sa marque de fabrique: „La mer, loin en bas, champs et maisons, chapelles, un chemin avec un âne, image impossible à oublier, correspondant à une rêverie ancienne. Il faut lire un paysage par ses chemins. Ici chemins de pierre dans les montagnes, vues changeantes, sentiment de l’île, toit du monde, naufrage.“ Deux pages et deux ans plus loin, du côté de Katapola, „[l]e cri antédiluvien des ânes rend l’essence du sol méditerranéen dans une pureté étrange et lourde, où la Sybille pourrait encore parler, au détour d’un chemin entre les murs de pierre. C’est pourquoi ce pays ne sonne jamais creux pour ceux qui viennent du Nord.“
C.C.
Jean-Christophe Bailly
„Café Neon et autres îles: chemins grecs“
Arléa, 2021
144 p., 17 €
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