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Psycho-philosophie du football

Psycho-philosophie du football
Les Diables rouges contre les Samouraïs du Japon: une descente aux enfers puis la remontée au ciel.

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Ainsi l’équipe belge de football – les Diables rouges – affrontera-t-elle, en quart de finale de la coupe du monde, le Brésil: le Brésil de Neymar et Cie. Il s’en est fallu de peu, pourtant, pour que ces Diables, longtemps dominés par les Samouraïs japonais, ne finissent, éliminés après une heure de jeu, en enfer. Exit, Belgium, from Russia!

De Daniel Salvatore Schiffer*

Mais voilà, le miracle, après l’entrée de deux remplaçants de première classe – Marouane Fellaini et Nacer Chadli – s’est produit: les Diables ont réussi à renverser la vapeur du cratère où ils avaient dangereusement sombré pour l’emporter finalement, in extremis, par le score, sans appel, de 3 à 2. Inespérée, cette envolée au paradis! Autant dire que ces deux-là – Fellaini et Chadli – furent alors perçus par la nation tout entière, bien plus que comme des «Diables rouges», les anges gardiens de la Belgique footballistique, où, avant cette résurrection inopinée, même le mythique trio d’attaque – De Bruyne, Eden Hazard, Lukaku – s’était momentanément égaré dans les limbes d’un purgatoire en forme de mort subite. Oui, ce fut là, cette descente aux enfers puis la remontée au ciel, le mariage de ce qu’un grand poète anglais du préromantisme, William Blake, aurait appelé, pour paraphraser le titre de l’un de ses plus beaux textes, «Le mariage du ciel et de l’enfer». Paradoxal!

A moins qu’il ne faille plutôt s’en référer, pour expliquer ce type de sursaut, où la survie finit par l’emporter sur l’adversité, à ce célèbre aphorisme d’un philosophe tel que Friedrich Nietzsche dans un livre portant l’emblématique titre de «Crépuscule des idoles»: «Ce qui ne me tue pas me fortifie.»

Un destin: de la quête à la conquête

Cette immense et surtout précieuse leçon de courage, Nietzsche, par ailleurs, y affirme encore, en ces mêmes lignes, l’avoir «apprise à l’école de guerre de la vie», qu’il nomme en définitive, d’une expression latine autrefois chère aux Stoïciens, l’»amor fati», autrement dit, en élargissant la notion d’»amour», la rencontre, loin de tout fatalisme, avec le destin.
Cet intitulé, «Crépuscule des idoles», n’aura jamais été aussi significatif, du reste, au vu de la manière, parfois aussi tragique que pathétique, dont les actuelles stars du foot, payées à coups de millions de dollars ou d’euros, auront été expédiées, sans ménagement, hors de cette arène internationale: Lionel Messi ou Cristiano Ronaldo n’y auront finalement été, après leurs trois petits tours, que l’ombre d’eux-mêmes.

D’où, après cette victoire à l’arraché de la Belgique contre le Japon, pour en revenir à ce qui deviendra sans nul doute un match, sinon de référence par sa qualité, du moins historique par son déroulement, cette question: ces satanés «Diables rouges» se seraient-ils donc forgé ainsi, après ce formidable combat contre eux-mêmes plus encore que contre leurs adversaires, une sorte de destin, aussi grandiose qu’inéluctable?

Avec, au bout de la quête, la conquête: la conquête du graal, cette sacrée coupe du monde? La première étape à semblable réponse, aura lieu vendredi, après le match, probablement de légende lui aussi (mais, espérons-le, dans un autre sens), contre le Brésil!

Psychologie de la résilience

Cette nietzschéenne philosophie du football moderne ne saurait toutefois suffire à expliquer le mobile ultime de pareille victoire, certes inattendue au vu de la dynamique de cette bataille titanesque, des Diables rouges sur les Samouraïs du Japon.
C’est donc la psychologie contemporaine qui, de ce match énigmatique, mais surtout hautement symbolique, nous fournira, en dernière analyse, la l’intelligible et salutaire clé d’interprétation.

Car, oui, à ce prodigieux dépassement de la souffrance (tant physique que psychique), et donc de soi en ses plus profondes abîmes de détresse, à cette définitive victoire de la vie sur l’adversité, sinon la mort elle-même, les psychologues d’aujourd’hui ont donné, dans le sillage de la dialectique socratique puis hégélienne, un nom: la «résilience», par où la négativité des faits se transforme finalement, pour qui en a la force mentale ou le courage moral, en positivité de l’esprit. Sublimation de la douleur, du mal ou de la laideur! Transcendance de la conscience en ce qu’elle a de plus noble et magique tout à la fois!
Se surmonter, en allant puiser le meilleur de son âme au tréfonds de son désespoir le plus noir, telle est, en effet, l’impérieuse leçon de vie que ces Diables rouges, qui ne furent pas là que de simples footballeurs mais bien plutôt de vrais hommes, auront donné, à titre d’exemples pour les générations présentes et à venir, en ce beau soir d’été du 2 juillet 2018. Honneur, à défaut de gloire, à eux!

Il est vrai que ces «Diables rouges» ont l’habitude, à présent, de côtoyer les hautes sphères de la critique psycho-philosophique. N’est-ce pas, en effet, à Kaliningrad, jadis appelée, sous le règne prussien, Königsberg, ville natale et professionnelle du grand Emmanuel Kant, immortel auteur de la majestueuse «Critique de la raison pure» et autres «Fondements de la métaphysique des mœurs», que ces diables de Belges battirent il y a quelques jours seulement, lors de cette même coupe du monde, les Anglais, dont le légendaire flegme ne leur aura guère servi, en l’occurrence, d’existentiel viatique? Un autre exploit, même si moins spectaculaire tant dans son fond que dans sa forme!
Morale de ce beau conte philosophique en forme de ballon rond? God save Belgium and the King!

* Philosophe, professeur à l’Ecole supérieure de l’Académie royale des beaux-arts de Liège et professeur invité au Collège Belgique, auteur notamment du «Traité de la mort sublime – L’art de mourir de Socrate à David Bowie» (Alma Editeur, Paris, 2018). A paraître: «Léonard de Vinci ou la vie comme œuvre d’art».