Dans un roman plein de légèreté et d’humour, l’auteur du „Cœur de l’Angleterre“ (Gallimard, 2020) revient avec émotion sur la vie et l’œuvre du grand cinéaste américain d’origine autrichienne Billy Wilder (1906-2002). Une histoire de rencontres et d’admiration, de temps et de vie qui passent, à chercher, à créer, à ne pas oublier les drames du passé. Aussi et surtout un hommage romanesque à un cinéma romanesque.
Cinéaste de l’élégance et de la comédie au cordeau, figure majeure de l’usine à rêves du XXe siècle, le réalisateur d’„Assurance sur la mort“, „Boulevard du crépuscule“, „Certains l’aiment chaud“ et „Sept ans de réflexion“ fait encore et toujours rêver Jonathan Coe. „Billy Wilder et moi“, son dernier roman, en est une preuve éclatante, pleine de charme et de tendresse. Il y a en tout cas quelque chose de doux et de crépusculaire à la fois dans le récit initiatique qu’entreprend Calista Frangopoulos, cette femme grecque à la maturité désœuvrée. Bouleversée par le départ de sa fille, qui s’apprête à voler de ses propres ailes et qu’elle accompagne à l’aéroport d’Heathrow pour un voyage en Australie, elle est renvoyée à son propre passé de jeune femme s’apprêtant à quitter Athènes et les siens, un beau jour de l’été 1976, pour découvrir l’Amérique: „Les jeunes gens ne remarquent pas les sentiments de leurs parents, ne se rendent même pas compte qu’ils en ont, la plupart du temps“, convient-elle, tout en essayant de ravaler ses larmes.
C’est donc par le biais d’un flash-back, qui se prolongera le temps du roman, que le lecteur (finalement beaucoup plus ému que cette toute jeune touriste qui ne s’est jamais jusque-là intéressée au cinéma et reste magnifiquement ignorante de ses grandes figures) se retrouve en sa compagnie et tout à fait par hasard attablé au Bistro, un restaurant chic de Beverly Hills aux tonalités du Paris de la Belle Epoque. Face à nous, pour ainsi dire, Monsieur Wilder et Monsieur Diamond, accompagnés de leurs épouses.
L’aventure de Calista, contrepoint de celle du cinéaste, commence à partir de ce dîner inattendu et de la rencontre entre cette jeune candide représentant la nouvelle génération et deux membres éminents de l’ancienne, réalisateur et scénariste de leur état. D’un côté la timidité, le désir et l’envie de nouveautés, de l’autre, l’âge venu, une gloire pâlissante, la volonté de durer encore un peu. Entre eux, le gouffre de la Seconde Guerre mondiale, l’exil, la Shoah. Billy Wilder, né citoyen de l’Autriche-Hongrie en 1906 et exilé aux Etats-Unis au début des années 30, le résume à sa manière: „Eh bien, comme je leur dirais plus tard, ce sont les pessimistes qui ont atterri à Beverly Hills avec une piscine dans leur jardin, et ce sont les optimistes qui ont fini en camp de concentration.“
Embarquée sur le tournage de „Fedora“ – l’avant-dernier film de Billy Wilder, une histoire tragique de scénariste sur le retour et de star déchue en exil sur une île grecque –, la jeune Calista voit son existence un peu morne, coincée dans une Grèce immobile, bouleversée par la magie hollywoodienne et les dieux du Septième art, au-dessus desquels règne le magicien Wilder.
A travers le regard de la jeune femme et sa bienveillante admiration, Jonathan Coe fait revivre tout en douceur et en mélancolie la figure du cinéaste qui, au tournant de ces années 70, peine à faire des films. Echecs commerciaux, surgissement des „barbus“, ces nouveaux cinéastes, comme Coppola ou Scorsese et son „Taxi Driver“, qui veulent en découdre avec le réel plutôt que faire rêver les spectateurs, mainmise d’un requin sur le box-office … „Les Dents de la mer“ de Steven Spielberg sort en 1975: „Plus proche de l’attraction foraine que du drame, de l’intrigue“, commente le cinéaste d’un temps où l’on n’imaginait pas qu’un poisson générerait plus d’argent que Marilyn Monroe ou Scarlett O’Hara. „Les temps ont changé. A vrai dire, je ne sais pas s’ils ont vraiment changé. Mais ils sont clairement en train de changer“, commente le maestro, rendu à l’évidence.
Suprêmement intelligent, Billy Wilder le sait: tout commence toujours par la jeunesse … Dans ce monde en effervescence, comme dans cette industrie en pleine transformation, une certaine forme d’élégance et de subtilité appartient désormais au passé. D’ailleurs, „ce que nous avions à offrir, plus personne n’en voulait vraiment“. Dans l’Amérique des années 70, Billy Wilder – dit avec émotion le romancier anglais – reste un Européen.
S’attachant au scénariste autant qu’au réalisateur, tous les deux aussi mélancoliques qu’irrésistibles, Calista aura la chance de les suivre jusqu’à la fin du tournage, un échec programmé que les grands studios américains refusent de produire. Il faudra donc passer par Munich et Paris pour en assurer le financement. C’est en Allemagne (évidemment), à l’occasion d’un dîner avec des producteurs indélicats, que Billy Wilder raconte comment, échappant au nazisme et laissant derrière lui souffrances et victimes, il est devenu le cinéaste qu’il est. Jonathan Coe a l’habileté – et le talent – d’incruster ce récit dans le récit sous la forme d’un scénario bouleversant. La scène est stupéfiante. On pourrait sans doute la tourner.
Laurent Bonzon
Jonathan Coe
„Billy Wilder et moi“
Traduit de l’anglais par Marguerite Capelle
Gallimard, 2021
304 p., 22 €
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