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La reprise

La reprise
Produzent Jun-dong Lee, die Schauspieler Steven Yeun, Jeon Jongseo und Yoo Ah-in, und Regisseur Lee Chang-dong, kommen zur Premiere des Films «Burning» im Rahmen des 71. Filmfestivals in Cannes. Foto: Arthur Mola/Invision/AP/dpa

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Cannes achève sa 71e édition, toujours (presque) sans béquilles

Parvenu presqu’au bout du festival, nous vous livrons quelques réflexions assez personnelles sur les possibilités de couverture médiatique d’un événement qui se répète, d’année en année, sur le pourquoi du cinéma et le contraste entre les salles obscures et le glamour (pas si) ensoleillé dehors, le tout mâtiné de quelques voix recueillies sur le site et aux alentours de celui-ci.

De Jeff Schinker

Dans le train pour Cannes, je finis ma lecture du dernier roman de Peter Stamm, «Die sanfte Gleichgültigkeit der Welt». C’est une œuvre étonnante, au cours de laquelle Christoph, le narrateur vieillissant, donne rendez-vous à Lena, une jeune actrice émergente, pour une promenade à travers Stockholm au cours de laquelle il lui révélera qu’il avait, jadis, aimé une jeune femme qui non seulement lui ressemblait comme deux gouttes d’eau, mais qui mena la même existence qu’elle, Lena, mène en ce moment. D’ailleurs, rajoute Christoph, elle s’appelait Magdalena. Quant au petit ami de Lena, Chris, il s’avère qu’il s’agit du sosie exact – mais d’un sosie non seulement physique mais aussi ontologique – du narrateur lui-même.

Lisant ce récit étrange, pas si surréel dans ses péripéties qu’on ne le croirait, sur la répétitivité des existences humaines, sur la similarité des vies que nous menons, je me dis que, pour cette 71e édition du festival à couvrir, le véritable défi serait d’essayer de ne pas trop marcher dans les platebandes des innombrables prédécesseurs qui ont déjà cuisiné des reportages sur le festival à toutes les sauces.

Inévitablement, finis-je par me dire, petit jeunot que je suis (encore tout juste), j’en serai voué à répéter, à faire mienne des paroles ou commentaires déjà faits et écrits. Sur le plan diachronique, l’horizon est bouché par les similitudes, les échos, les reprises des années précédentes alors que, sur le plan synchronique, s’étalent des sujets clairement annoncés par Frémeaux et la programmation en soi, sur quoi il s’agit dès lors de broder un point de vue novateur, inédit, inouï, illu.

Dans le dernier roman de Paul La Farge, «The Night Ocean», l’auteur fait dire à H.P. Lovecraft qu’on a tort de croire nos destins extraordinaires – car toute expérience humaine s’inscrit dans un sillage, dans du pré-vécu – et quand on essaie de s’en écarter, on s’en retrouve dans un autre, de sillage. Ainsi y eut-il (à titre d’exemple) à Cannes un film intitulé «The Gentle Indifference of the World», qui n’est pourtant aucunement une adaptation du roman de Stamm.

Monotonie du réel

C’est cette monotonie du réel qui fait aussi notre fascination pour le cinéma et les films projetés cette année-ci à Cannes: alors que dehors, sur le tapis rouge et aux alentours de celui-ci, le beau monde (avec l’accent tonique sur beau) prend la pose encore et toujours, comme figé dans le temps – car si les visages et les corps changent, le tapis demeure (désolé, Apollinaire) – ce sont les expériences possibles que nous font vivre les films sélectionnés qui nous permettent de dépasser cette même monotonie en nous mettant dans la peau des autres.

Je m’étonne donc de savoir combien de lignes ont, par exemple, déjà été écrites sur la hiérarchisation de tous et de toutes à Cannes, alors même que bon nombre de films projetés dans ces salles auxquelles l’accès vous est rendu ardu quand vous êtes débutant en la matière cannoise se rebellent contre la notion même de hiérarchie et de domination – ou alors la mettent en scène pour en montrer l’injustice criante, le scandale social et existentiel que ça constitue.

Comme dans le très beau «Burning», où un jeune Coréen entame une relation avec l’entreprenante Haemi, couple qui sera désintégré dès les premiers moments amoureux par le surgissement du cruel et richissime Ben, qui, par ennui, s’amuse à détériorer la vie des autres. Ou comme dans le terrible «Dogman», où c’est une relation de domination physique qui fait que le personnage principal se soumette à l’ignoble Simone (voir nos critiques d’aujourd’hui).

Car à Cannes, pour revenir des films à la vraie vie, on vous félicite pour vos accréditations comme on vous complimenterait pour un article ou un chapeau. «Ah, vous avez une accréditation rose, c’est très bien, très joli», me souffla un vigile avant de me dire que j’avais droit à une file privilégiée – «mais moins privilégiée quand même que celle où passent les badge rose-pastille-jaune», rajouta-t-il comme à regret, comme un personnage des «Douze travaux d’Astérix», aussi.

En bas, des écrans vous permettent d’obtenir des invitations pour certaines projections de films – il faut taper un code qui figure sur votre badge pour y accéder. Sauf que mon code ne m’y donna pas accès.

Un jeune homme me dit alors, ses mains flottant dans l’air comme pour invoquer une sorte de divinité nautique enfouie dans la Méditerranée, qu’il me faudrait avoir des contacts «dans les hautes sphères» pour qu’on m’en donne. Et si, dans les hautes sphères, on allait peut-être se faire foutre, avais-je sur la pointe de ma langue, ravalant pourtant ma réplique – on n’est pas dans un film (de Tarantino), on est à Cannes, tais-toi, me dis-je.

Dehors, des gens incroyablement chics font la manche en brandissent de façon incroyablement pitoyable des panneaux ornés de dessins sur lesquels ils sollicitent des invitations pour des séances. «Moi, j’ai commencé avec une accréditation jaune. Avec ça, j’avais à peine le droit d’utiliser les toilettes», affirma un journaliste allemand en ne plaisantant peut-être qu’à moitié.

Captain Obvious

Combien de lignes d’écrites aussi sur ces experts autoproclamés qui, à peine le générique de fin commencé, ânonnent à voix haute leur appréciation du film, qui se contente souvent d’être un jugement axiologique condamnant ou louant, genre «ah mais quel navet» ou bien «ah ça, très fort» quand moi, un peu plus lent de compréhension probablement, il me faut souvent un peu plus de recul pour me prononcer définitivement sur un film.

Ces petits commentaires bien utiles permettent néanmoins de donner des synopsis bien pratiques sur certains films, si ce n’est sur presque tout film qui se produit. Après la projection de «Under the Silver Lake», j’entendis quelqu’un expliquer à son ami qu’il s’agissait là «d’un film sur quelqu’un qui cherche à donner du sens à sa vie, tu vois?»
A mon avis, il doit la sortir plus ou moins après 50 pour cent des films qu’il se tape.

Ailleurs, ce sont les mêmes commentaires évidents, que je ne peux pas vous fournir faute de trop vous en dire des films. Suffit de vous imaginer, à titre d’un exemple inventé mais assez représentatif, qu’après un film Batman, votre voisin se mette à vous souffler dans l’oreille d’un air conspirateur: «ah mais en fait, Bruce Wayne, c’est Batman! Mais chut!»

A Cannes, il y a des personnages haut en couleur physiquement (il n’y a qu’à voir les défilés de mode, exportés du tapis dans tout Cannes) – et, de façon plus intéressante, des personnages haut en couleur à l’intérieur. Comme ce vieux dans le train qui me dit que le Luxembourg, il connaissait bien, il avait un ami à Metz, ils venaient souvent à Arlon (sic!) pour les bars à filles (rire gras comme si #balanceton(vieux)porc n’avait jamais eu lieu).

Ou ce photographe, un homme de petite taille, barbe grise, regard étincelant, rencontré sur le quai de la gare de Juan-les-Pins, alors que j’allais à Cannes (lui aussi, d’ailleurs), qui me parlait d’abord sans surprise des tarifs exorbitants des logis et bars, raison pour laquelle, mon fils, je me suis exilé à Juan, c’est bien moins cher (il a raison, et c’est à huit minutes en train). Après quoi il me raconta qu’il a fait 40 festivals de Cannes, qu’avant, c’était mieux, que le demi était passé à 4,50, que les serveurs, ils arnaquaient.

Ces mêmes serveurs, on leur a parlé, qui font pour la plupart d’entre eux du service non-stop en se tapant des festivaliers dont une moitié est excentrique et sympa, l’autre moitié étant excentrique et insupportable. «Moi, je suis serveur, pas valet», me confia un jeune barman sympathique.

Et le vieux photographe – retour dans le train pour Cannes – de me raconter les fêtes Canal Plus de jadis, les fêtes Première – «Vous ne travaillez pas pour Première, par hasard?» – «Non non, moi c’est le Tageblatt» – dont il sortait complètement déchiré, à quoi un autre couple de quinquagénaires se joignait, confirmant, chantant le chorus du délire que c’était alors, c’était mortel. Là, ça n’est plus que mort, s’accordent-ils à dire.
Le festival ne fêterait plus assez, même plus du tout, comparé aux temps de bacchanale d’antan. Et les chauffeurs de taxi de confirmer, l’un me disant qu’on parlait de 30 pour cent moins de clients par rapport à l’an précédent (même si, peut-être, Uber n’y est pas pour rien).

«Tu sais», me glissa le vieux photographe alors qu’on entrait en gare de Cannes. «Jadis, on dormait sur les bancs de la gare. Ou on rentrait au camping à Mougins. Mais aujourd’hui, la gare, ça ferme à minuit.»

Le quittant et pensant au livre de Stamm, je m’imagine, vieil homme, après 40 festivals de Cannes, prêcher aux jeunes journalistes le délire que c’était alors, à La Croisette. Et je me demande si vraiment on est sur un déclin continu de tout ou si, peut-être, nous ne faisons que marcher, toujours, dans le sillage de nos prédécesseurs. Et l’idée d’une telle monotonie, étrangement, a quelque chose de beau et de rassurant.