Ça joue sans doute, dans la décision étonnante à l’origine de cette cavalcade aussi romantique que morbide (mais les deux sont souvent synonymes, dans l’histoire littéraire) entreprise par la narratrice, qui décide, parce qu’elle refuse de lâcher prise, parce que déclarer la mort de son amant en reviendrait à rendre son corps à l’épouse alors qu’elle, femme de l’ombre sans statut officiel dans sa vie, n’a aucun droit sur lui, de partir en emportant avec elle le corps de son amant pour un road-trip des plus incongrus, au cours duquel elle se rappellera non seulement sa vie avec M., mais toute sa vie amoureuse, le roman faisant ainsi s’emmêler trois couches narratives et temporelles – la cavale, le présent dans lequel elle s’interroge sur ce qui l’a poussée à procéder à ce cadavre-napping et les épisodes passés de sa vie amoureuse avant qu’elle ne fasse la rencontre de M.
Ces derniers la poussent à s’interroger sur la place de la femme au sein du couple, sur la façon qu’elle a eue, pendant longtemps, de se soumettre aux désirs des hommes, comme dans ce chapitre – l’un des plus forts du livre – où elle se rend compte après coup que sa première fois avec un homme qui allait devenir son partenaire fut, de fait, un viol, lui ayant refusé de se plier à sa demande de mettre un préservatif, elle n’ayant osé le repousser de peur de réveiller sa petite fille, alors encore un bébé.
C’est donc à la fois le récit d’une femme qui, lentement, s’émancipe du désir des hommes pour l’affirmer, le sien, dont elle raconte conjointement la perte, puisque son grand amour, c’était M. qu’elle a vécu dans la clandestinité, certes, mais avec une intensité et une simplicité qu’elle n’a jamais connues avant. En même temps, elle raconte donc la lente emprise de la mort sur le corps de celui qu’elle n’appellera jamais que M., corps qu’elle transporte du chalet dans sa voiture, l’emmenant pour une dernière cavale folle, au cours de laquelle elle décrira méticuleusement ses états d’esprit et ses rencontres avec des personnages plus ou moins excentriques, dernière odyssée sans but autre que celui de rester encore un peu avec lui, de faire des obsèques privées, puisqu’elle sait qu’elle n’aura pas le droit d’être aux premières loges des officielles.
Troisième roman d’Adeline Dieudonné après le succès de „La vraie vie“ et „Kérozène“, où elle racontait le récit de plusieurs existences se croisant à une station-service, „Reste“, au titre polysémique, est un road-novel sur le deuil et le lent déconditionnement d’une narratrice qui finit par affirmer ses besoins et désirs, dont les pages les plus impressionnantes sont celles sur le rôle qu’une société patriarcale a donné à une femme au sein d’un couple là où d’autres forcent un peu les traits, montrant le souci de l’autrice à pratiquer une écriture relâchée, orale, dont les nombreux „Fait chier“ et autres exemples de mimésis formelle de notre parler quotidien lassent assez vite.
Qui plus est, elle n’évite pas toujours les lieux communs, ni dans sa façon de dessiner ses personnages secondaires, trop souvent réduits à leur fonction narrative, ni dans certaines réflexions, assez banales (quand elle essaie de creuser une tombe, elle constate que c’est plus dur que dans les films et se demande pourquoi l’on nous ment, au cinéma) et donne parfois l’impression de trop essayer d’imiter le style relâché d’une Virginie Despentes sans avoir l’esprit subversif ni l’intelligence du propos qui va avec, de sorte que l’on se retrouve avec un roman divertissant, qui se lit d’une traite, mais dont le style déçoit d’autant plus que l’autrice n’exploite pas assez la dramaturgie ni les tensions de la situation d’énonciation qu’auraient pu lui inspirer le recours à la situation épistolaire.
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können