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Festival de Cannes (17)Anatomie d’un palmarès

Festival de Cannes (17) / Anatomie d’un palmarès
„Anatomie d’une chute“ a eu, comme on aurait pu s’y attendre, la Palme d’or

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La presse française l’avait dit et répété, qu’elle aimerait une Palme d’Or pour „Anatomie d’une chute“ de Justine Triet – un vœu que le jury de Ruben Ostlund lui aura exaucé, attribuant ainsi, après celle qui revenait en 2021 à Julia Ducournau pour son „Titane“ un peu trop facilement provocateur, une deuxième Palme à une réalisatrice française en deux ans.

Et c’est là la tête d’un palmarès qui, à première vue, paraît judicieux: il y a, hormis peut-être le prix de la mise en scène, peu de choix contestables, et si on compare les gagnants à nos pronostics du samedi, on constate qu’on s’était peu trompé, tout du moins en ce qui concerne les prix les plus importants.

A deuxième vue, on pourra cependant lui reprocher, au jury, d’avoir un peu trop voulu satisfaire tout le monde, diagnostic qui ne vise nullement le film de Justine Triet, maîtrisé, haletant, beau – et merveilleusement incarné par une Sandra Hüller dont on ne comprend pas pourquoi elle n’a pas eu le prix de l’interprétation tant elle excellait à la fois dans le rôle de Hedwig Höss (dans „The Zone of Interest“) et dans celui de l’écrivaine Sandra (dans „Anatomie d’une chute“).

Mais on constate qu’en général, l’on ne veut plus donner deux prix à un seul et même film, préférant désormais couronner un peu de tout et à doses homéopathiques, mais sans véritable fil rouge: c’est, fort probablement, pour cette raison que, parce que „The Zone of Interest“ a eu le Grand Prix et „Anatomie d’une chute“ la Palme d’Or, on a donné le prix de la meilleure interprétation féminine à Merve Dizdar, certes excellente mais qui n’apparaît qu’assez peu dans l’excellent „Les herbes sèches“ de Nuri Bilge Ceylan qui, sans cela, n’aurait rien eu, ce qui aurait été proprement scandaleux.

Les mains vides

Tout comme l’a été, scandaleux, le choix de ne rien donner à certains films – et l’on ne parle pas de Ken Loach, Mario Bellocchio, Wes Anderson, Nanni Moretti, qui tous rentrent les mains vides, à juste titre pour certains, parfois simplement parce qu’on considérait qu’ils n’en avaient pas besoin, mais plutôt au très beau et osé „Les filles d’Olfa“ de Kaouther Ben Hania ou au saisissant et poétique „La chimera“ d’Alice Rohrwacher, deux long-métrages qui auraient permis, sans discrimination positive à la noix, de féminiser encore plus et de façon organique le palmarès.

Cela est d’autant plus révoltant qu’on a du mal à comprendre pourquoi le prix de la mise en scène devait aller à „La passion de Dodin Bouffant“: certes, c’est proprement réalisé. Mais quel ennui que ce film, quel vide, quel désengagement par rapport aux questions qui mettent à mal notre vivre ensemble là où on aurait pu donner ce prix aux „Filles d’Olfa“, inventif et touchant dans son dispositif hybride, ou encore à „La Chimera“, qui fourmille d’inventions formelles.

Et si on peut se montrer content que le trio des prix les plus importants – la Palme d’Or, le Grand Prix et le prix du Jury – aille aux films de Justine Triet, de Jonathan Glazer et d‘Aki Kaurismäki – le seul, parmi les vieux maîtres, à avoir vraiment contribué un nouveau chef-d’œuvre –, leur répartition fait état d’une certaine lâcheté.

Car si le Grand Prix est décerné à „The Zone of Interest“ de Jonathan Glazer, c’est qu’on n’osait pas donner la Palme d’Or à ce long-métrage bien plus révoltant, par exemple, que le dernier Ostlund, ostentatoirement provoc, qui voulait choquer à grands coups de vomis là où, chez Glazer, ce vide que vomit Höss, à la fin du film, est exemplaire de la nausée sans fin et sans contenu que provoque „The Zone of Interest“, exploration infiniment courageuse du pire moment de l’humanité.