Lors du cocktail d’inauguration, certains en venaient à évoquer un festival maudit – alors qu’il y a deux ans, la pandémie se propagea en Europe pile au moment où la dixième édition du LuxFilmFest eut lieu, voilà qu’une guerre vient miner l’enthousiasme cinéphile, qui retomba encore un peu plus quand le festival annonça, mercredi soir, qu’il allait retirer du programme l’ensemble des productions russes, y inclus „Gerda“, film en compétition.
Réalisant qu’une telle décision ne faisait guère l’unanimité – quand je l’appris, je venais de découvrir aussi que les chats russes étaient retirés des expositions félines et, avec une petite pensée pour les heureux quadrupèdes qui évitaient de justesse ces exhibitions ridicules, je me disais qu’on atteignait là le comble de l’absurde –, les orateurs et oratrices se focalisaient là-dessus, l’une en suivant un argumentaire limpide qui misait sur l’empathie, l’autre en parlant d’autre chose, le dernier en suivant les balbutiements d’une rhétorique insaisissable (il faut dire qu’il avait été interrompu par une voix insolente qui l’avait interrompu pour demander des comptes relatifs à la censure des films russes au moment où le discours avançait plus ou moins que la culture, c’était le dialogue et l’échange et le débat).
Ainsi, Georges Santer, président du CA, commençait par dire qu’il aurait trouvé incongru qu’on interrompe des images de massacres et de guerre pour annoncer à la télévision ou sur la radio le couronnement d’un film russe, admettant d’un côté qu’il estimait le film russe assez fort (donc assez critique) pour remporter un prix et suggérant, d’un autre côté, qu’il fallait protéger la population, l’empêcher de se faire une opinion propre sur la chose – un protectionnisme émotionnel et esthétique très peu démocratique, surtout eu égard qu’on ne la protégeait pas, la population, des abribus où un annonceur, Satispay en l’occurrence, affiche en grosses lettres „It’s time to hit the red button“, une pub qui fait froid au dos en ces temps de menaces nucléaires.
Il avançait ensuite que le producteur du film, racheté par Gazprom Media, était problématique, ce qui n’est par ailleurs pas faux – mais on sait tous que, pour faire des films, on doit trouver des sous, que ce ne sont pas toujours les très gentils qui ont le plus d’argent (restons pragmatiques une minute), qu’au moment où la réalisatrice trouvait ce producteur, il l’était un peu moins, problématique, puisqu’il n’y avait pas de guerre et que c’est le film en soi, sa charge critique, qui importe. Pour inverser le jeu (ou pour raisonner par l’absurde): puisque l’ensemble des productions, nombreuses, made in Luxembourg, ont bénéficié du soutien financier d’un État qui, supprimant „Gerda“, pratique la censure, ne faudrait-il pas, dans un effort d’autocritique, retirer aussi toutes les productions luxembourgeoises du festival?
Choisir, c’est renoncer?
La maire Lydie Polfer (DP) quant à elle soulignait qu’il était important de ne pas devenir intolérants de notre côté, s’en référant à ce témoignage d’une mère russe dont le gamin est harcelé à l’école, acte qu’elle condamnait fortement et à juste titre, même si je n’ai pas compris s’il n’y avait pas une allégorie involontaire enfouie sous l’anecdote – car retirer un film d’une compétition à cause de la nationalité de la réalisatrice, n’est-ce pas l’équivalent d’un harcèlement esthétique injuste?
Enfin, plus sereine et plus limpide, Sam Tanson joua la carte de la transparence, déroulant la chronologie des événements, expliquant que l’Académie du cinéma ukrainien avait appelé à ce que les festivals retirent les productions russes, arguant que si partout dans le monde on imposait des sanctions économiques, le monde artistique ne devait pas être en reste et que bien des films russes promouvaient la propagande et la culture de l’agresseur. Une telle affirmation résonne étrangement, puisque, d’un, elle suggère que le comité de sélection du festival ne serait pas capable de faire la différence entre un film de propagande et un film à charge critique et que, de deux (au risque de me répéter), quiconque a vu „Petrov’s Flu“ de Kyrill Serebrennikov, dont la sortie luxembourgeoise est programmée pour fin mars, comprendra qu’il faut peut-être un artiste russe pour dénoncer de manière fondée, en s’appuyant sur un ressenti, un vécu, les travers de la société russe.
De cet appel de l’Académie, que d’autres festivals ont suivi, on aurait, continuait Tanson, longuement débattu, soupesant le pour et le contre, finissant par se dire que, face à des morts, il fallait soit dire oui, soit dire non à l’Ukraine – et qu’on avait choisi de dire oui à l’Ukraine et non à la guerre, chaque action et assertion ayant un impact terrible sur notre positionnement. Enfin, arguait la ministre de la Culture, si on avait gardé le film en sélection, il aurait été impossible d’ignorer les flux d’argent liés au film, ce qui, si je suis d’accord sur le principe, paraît un peu exagéré – on voit mal comment les quelques sous récoltés par un film russe indépendant soutiendraient le gouffre financier que constitue une guerre. S’il est vrai qu’il n’y avait pas de bonne décision à prendre, il y en avait quand même une de moins mauvaise – une qui ne pénalisait, ne censurait pas les voix critiques à cause de leur appartenance nationale.
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