Sous l’impulsion du ministère de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse (MENJE) et en prélude à un rapport sur la situation de la jeunesse au Luxembourg, secouée ici comme partout ailleurs par le confinement et la pandémie, qui ont accentué une inquiétude souvent déjà naturelle à cet âge, les Rotondes avaient demandé à la metteure en scène et chorégraphie Nathalie Moyen de créer un spectacle autour du bien- ou du mal-être des jeunes. Pour ce faire, Moyen a puisé dans quelque 160 témoignages obtenus dans le cadre d’ateliers menés dans plusieurs lycées du pays par les pédagogues de théâtre des Rotondes.
Cette matière documentaire brute émaille par moments la pièce: des jeunes, tantôt masqués, tantôt non, apparaissant sur l’écran pour faire part de leurs peurs et inquiétudes, de leurs rêves et espoirs. Un jeune dira qu’une fois qu’on commence à aller au fond des choses, on regrette de l’avoir fait tant on réaliserait alors que la plupart des choses sont compliquées et moches et tristes, un autre parle de la mort de son père et du gouffre dans lequel cela l’a jeté, une autre encore s’excuse auprès de sa mère décédée d’avoir essayé de se suicider afin de la rejoindre au plus vite.
Ces images brutes, touchantes, émergent au milieu d’une bande son de toute beauté, qui rappelle tantôt le rock indé progressif d’Archive, tantôt, quand les trois acteurs font la fête dans un cube au fond de la scène, les excursions techno d’un groupe comme 65daysofstatic.
Afin de donner forme et structure à ces témoignages, trois acteur·rice·s guideront les spectateurs à travers un récit morcelé en chapitres thématiques, chapitres qui sont à chaque fois émaillés par de courts commentaires du psychopédagogue Bruno Humbeeck, dont le caractère didactique peut par moments plus énerver qu’autre chose, qui colle sa grille et son vocabulaire sur le malaise des jeunes comme pour les encager dans son jargon.
La scénographie de Lynn Scheidweiler, qui ressemble à un paysage onirique imaginé par un descendant de Dali, est décorée par diverses figures géométriques qui peuvent tantôt symboliser le confinement, l’écrasement, l’étouffement, tantôt la liberté, l’émancipation: ainsi, un cube représente d’abord l’impression d’impuissance et d’enfermement là où, plus tard, il sera l’occasion, pour les jeunes, de faire la fête avant qu’une trappe s’ouvre en haut et qu’il devient le support même d’un envol final vers des lendemains meilleurs. Pareillement, un rectangle percé d’un trou paraît d’abord figurer ces abîmes de tristesse dans lesquels on tombe avant que le spectateur se rende compte que le trou est, de fait, un tremplin qui invite à toutes sortes de jeux et de chorégraphies.
Un psychogramme fragmenté et complexe
Au cours de la pièce, Thomas Faber (plus connu sous le nom de Maz), Benoît Callens et Calypso Kerschen incarnent et condensent les soucis des 160 jeunes interviewés – entre inquiétudes face à l’avenir, manque d’estime de soi, pression d’autrui et un nombre faramineux de peurs, dont la peur d’échouer, de ne pas plaire, la pièce esquisse un psychogramme fragmenté de ces jeunes qui broient de plus en plus de noir et qui sont dépassés par un monde saturé en images et en bruit.
Dans une des meilleures séquences, une jeune fille répond avec lassitude aux inquiétudes de sa mère tandis que circulent, à une vitesse hallucinante, des pubs mâtinées d’injonctions, des reportages avec des bâtiments qui explosent, mimant ce ballet de bruit et de fureur qui jamais ne tarit, qui nous dépasse déjà, nous adultes et qui doit être terrifiant pour les jeunes.
Et toujours surgissent les litanies des adultes, qui disent de ne pas consacrer tant de temps à se ronger le sang, et dont les platitudes (qui travaille bien à l’école devra moins travailler par après) sont de bien piètres conseils, quand ça n’est pas tout simplement des mensonges. Malheureusement, nombreux sont les situations où les acteurs se contentent de ruminer des inquiétudes qui, parce que le contexte, le récit de vie manquent, sonnent un peu creuses et ne parviennent pas à faire ressentir leurs angoisses véritables, à quoi s’ajoute le fait que certains sujets plus délicats, comme l’addiction à la drogue ou encore la montée en flèches des situations de violence domestique pendant la pandémie sont quasiment passés sous silence.
Ce qui n’aide en rien, c’est le fait que la performance des trois montre un peu trop clairement qu’il ne s’agit pas d’acteurs professionnels, raison pour laquelle certains mots sonnent creux, forcés, manquent de panache et de naturel, un fait qui entre en contraste avec les enregistrements vidéos des jeunes qui, on l’a dit, touchent vraiment.
Vers la fin, alors que la narration prend une tournure plus optimiste, les trois jeunes se retrouvent pour paresser, pour parler à bâtons rompus. La pièce perd alors en rythme et structure – c’est assez décousu – ce qu’elle gagne en qualité actancielle, les trois fonctionnant bien mieux en équipe qu’isolément. Notons encore que Benoît Callens convainc bien plus dans ses chorégraphies tantôt burlesques, tantôt simulant l’anxiété que dans son jeu d’acteur et que Maz nous livre, vers le milieu de la pièce, quelques minutes de rap qui nous rappellent qu’il est un des meilleurs musiciens de hip-hop du pays, avec son débit de Mike Skinner enragé.
Au final, „Wellbeing“ ose s’en prendre à un sujet délicat qu’il parvient, hormis quelques écueils dans le jeu et l’écriture, à traiter de manière poétique et sensible.
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