On trépignait un peu d’impatience ce jeudi soir et on avait du mal à rester en place pendant la cérémonie d’ouverture, lors de laquelle s’enchaînaient les discours officiels, tant on nous avait mis l’eau à la bouche pour le film d’ouverture – „Promising Young Women“, une sorte de „revenge movie“ féministe avec une Carey Mulligan qu’on disait phénoménale.
La cérémonie d’ouverture de cette dixième édition du LuxFilmFest allait donc s’inscrire très précisément aux antipodes de la remise des Césars, où le couronnement de Polanski a suscité (entre autres) l’ire d’Adèle Haenel et de Virginie Despentes, puisque non seulement le film d’ouverture allait avoir des airs de pamphlet féministe, mais que les trois premières oratrices de la soirée étaient, comme vous l’avez deviné à cause de l’ingénieuse morphologie de la langue française, des femmes.
Une programmation de qualité
Pour éprouver votre mal en patience – puisque vous aussi, cher lecteur, vous ne cherchez probablement qu’à savoir ce qu’il en était de ce film d’ouverture – on va donc retarder le moment de vous parler de ce film pour vous imposer, à vous aussi, le passage par les discours officiels, qui commencèrent donc par une Colette Flesch (présidente du festival) très émue, puisqu’elle annonçait que cela allait être sa dernière participation au festival en tant que présidente, décrétant qu’elle comptait remettre le flambeau à plus jeune qu’elle. Elle expliqua ensuite que cette édition avait été l’occasion de procéder à une restructuration à tous les niveaux organisationnels et d’introduire les „Industry Days“, lors desquels l’accent allait être mis sur la promotion des films luxembourgeois à l’étranger.
La bourgmestre de la ville Lydie Polfer (DP) souligna, quant à elle, le nombre important de tickets vendus aux jeunes (plus de 6.000) et la qualité de la programmation: „J’ai carrément envie d’aller voir tous les films, ce qui ne va pas être possible.“ Alexis Juncosa (directeur artistique) et Gladys Lazareff (coordinatrice générale) introduisirent les différents membres des jurys, présents ou absents, et Juncosa ne put s’empêcher de préciser, narquois, que Davide Oberto, du jury documentaire, venait d’Italie mais avait été testé avant de venir.
La ministre de la culture Sam Tanson („déi gréng“) répéta ensuite ce qu’elle avait déjà précisé lors de la conférence de presse il y a un mois, à savoir que le LuxFilmFest était un festival pionnier, créatif, pédagogique, engagé, émotionnel et féministe.
Engagé, féministe, émotionnel
Après un hommage à Alejandro Jodorowsky (avec qui une rencontre figurait au programme du festival) en images, avec une sorte de best-of visuel, et en mots, avec un discours vibrant de Philippe Rouyer, critique au mensuel Positif (1), le film d’ouverture confirma quelques-uns des adjectifs qualificatifs énumérés par Sam Tanson, puisqu’on aurait difficilement pu trouver un film plus féministe, plus engagé, plus émotionnel et plus pionnier (dans le contenu plus que dans la forme) pour entamer cette dixième mouture.
„Promising Young Women“ commence fort: une jeune femme, très soûle, est affalée sur un banc dans un club. Trois mecs la reluquent, commentent son état, puis son physique. Pour des types pour qui un club n’est rien qu’un terrain de chasse dont la fréquentation doit aboutir à des coïts faciles, le calcul est vite fait – elle est belle, elle est inconsciente, c’est donc une proie facile.
L’un d’eux (Adrien Brody, découvert jadis dans la série „O.C. California“) se rapproche de la jeune femme, prétend jouer au bon samaritain, appelle un taxi pour la ramener chez elle, découvre avec surprise que son appartement à lui est bien plus près de là où ils se trouvent, ce qu’il précise alors à un chauffeur de taxi indifférent (qui doit vivre de telles scènes tous les soirs). Ils finissent chez lui et, après une scène à la fois grotesque, ridicule et révoltante, au bout de laquelle le jeune ogre fait maladroitement glisser la culotte de la jeune fille le long de ses jambes, celle-ci, d’un coup, lui demande, d’une voix étonnamment sobre, ce que diable il est en train de faire.
A la chasse
Enter Cassie (Carey Mulligan), jeune fille de 29 ans qui passe sa vie à faire le tour des clubs pour partir à la chasse de violeurs en herbe et pour faire la peau à ces jeunes hommes bien mis qui se disent être des types bien mais qui, une fois seuls avec une fille, mettent à jour des stratégies extraordinaires pour finir au pieu avec la dulcinée en question, selon ce sophisme du rapace mâle qu’une femme qui dit non ne peut pas vraiment avoir voulu dire non. Dans une séquence extraordinaire, un jeune homme particulièrement relou et insistant sniffe de la cocaïne tout en évoquant „Consider the Lobster“ de David Foster Wallace, raconte ses projets d’écriture, force Cassie à prendre de la coke puis essaie de coucher avec elle. Le pire, c’est que ce type est loin d’être le pire de sa collection.
Son occupation diurne, Cassie la partage entre des parents inquiets – leur fille unique a abandonné ses études en médecine et refuse ne serait-ce que d’aller prendre un café avec un garçon – et un job pourri dans un bar à café, où elle finit par rencontrer un ancien camarade d’études qui lui demande de sortir avec elle et qui, contrairement aux pourritures qu’elle a l’habitude de croiser dans les clubs, a l’air charmant, attachant, poli, attentionné et drôle. Le seul hic, c’est qu’il réveille en Cassie des souvenirs de ses études, qu’elle a abandonnées après que sa meilleure amie eut été violée par un sale type en présence d’autres étudiants. Sa copine ne s’en est jamais remise, et Cassie non plus, qui depuis ne fait plus confiance à personne et passe ses nuits, infatigable, à jouer à une sorte de Buffy qui ne massacre non pas des vampires mais bien plutôt des violeurs.
Jeunes violeurs
Parallèlement donc à une romance naissante, Cassie se décide à renouer le contact avec tous ceux qui étaient alors impliqués dans cette sombre histoire et qui sont essentiellement coupables de n’avoir rien fait, de n’avoir pas cru la victime, d’avoir pensé que ce viol n’était qu’une bêtise perpétuée par des gamins innocents et bébêtes, d’avoir affirmé que de tels incidents se produisaient alors tous les jours, comme si la répétition d’un fait criminel suffisait à émousser sa gravité, voire à le légitimer. Lors de ses péripéties, elle rencontrera une directrice de fac hypocrite, un avocat (Alfred Molina) ravagé par la mauvaise conscience d’avoir gâché sa carrière à défendre de pauvres types inaptes à garder leur bite dans leur slip, des camarades condescendantes, pour qui une femme ivre est responsable de tout ce qui lui arrive, des jeunes hommes élégants au caractère de cochons.
Si le film s’inspire des codes génériques du „revenge movie“, il s’arrête (quasiment) toujours au seuil de la véritable revanche physique, un peu comme si Tarantino retenait tout au long d’un film les explosions de violence qui caractérisent ses long-métrages. Si cela avait été plus jouissif de voir Cassie s’en prendre concrètement aux jeunes hommes tout d’un coup apeurés de voir une fille non pas ivre, mais en pleine possession de ses moyens, le film aurait gagné en exutoire cathartique ce qu’il aurait perdu en réalisme: de nos jours, ce sont encore bien trop souvent les prédateurs qui s’en sortent.
Malgré quelques écueils (formellement, ça reste un peu sage; l’esthétique est très soignée mais la bande-son ironique, qui fait référence à des teen movies comme „American Pie“, aurait gagné à être plus subtile, certains personnages manquent de profondeur), il y a une colère très saine qui suinte de ce film, une colère qui contamine le spectateur, qui sort de ce film l’estomac serré et la rage aux poings. Et si le recours au film de genre pour faire un film engagé – au cours de la projection, j’ai pas mal pensé à „Get Out“ de Jordan Peele, qui utilisait les codes du film d’horreur pour parler de racisme – n’est pas follement novateur, „Pretty Young Women“ est un film qui fera parler de lui quand il sortira officiellement en salles. Et c’est urgent.
(1) Ce qui me rappela que l’intégralité de la rédaction de l’autre grand mensuel cinématographique français, les „Cahiers du cinéma“, vient de démissionner après que le journal eut été repris par des producteurs et d’hommes d’affaires du monde du cinéma, actionnaires dont la rédaction pressentait qu’ils seraient à l’origine de conflits d’intérêt et n’allaient plus permettre aux „Cahiers“ de poursuivre leur missions d’objectivité et d’engagement politique.
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