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Festival(Presque) sans limites: 33,7 heures de musique nouvelle à la Kulturfabrik

Festival / (Presque) sans limites: 33,7 heures de musique nouvelle à la Kulturfabrik
L’installation „All Limits“ d’Igor C Silva à la galerie de la Kulturfabrik (C) Marco Pavone

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Projet ambitieux qui avait pour but de cartographier la richesse de la musique contemporaine au Luxembourg et dans les régions limitrophes tout en soulignant l’internationalité du territoire, le festival 33,7 constituait aussi l’occasion pour Kultur | lx de rejoindre le fonds Impuls Neue Musik, donnant aux compositeurs luxembourgeois une opportunité de faire circuler leur musique à l’étranger et de multiplier les coproductions avec l’Allemagne, la France et la Suisse.

Cela s’annonçait d’entrée de jeu comme l’un des projets les plus ambitieux et les plus aboutis de cette capitale européenne de la culture qui, lentement, s’achemine déjà vers sa fin sans que la programmation ne fasse un recours trop inflationnaire aux coups de cœur et autres événements indispensables: lors de tout un weekend, l’ensemble de Lucilin, rejoint par des musiciens invités, donnait à entendre, à voir, à vivre et à sentir, dans une logique synesthésique, une cartographie précise et généreuse représentant „la mixité de population caractéristique du sud du Luxembourg et de sa région voisine française“, le tout en pas moins de 33,7 heures.

33,7 heures de musique (contemporaine), parce que 33,7 équivaut à 2022 minutes, il fallait oser – et si l’on est curieux de connaître l’étendue d’un éventuel programme d’une ECOC luxembourgeoise en l’année 3033 (si tant est que l’humanité arpente encore cette planète dans un futur aussi lointain), force est d’admettre que la variété stylistique et l’étendue de ce qu’on offrait (gratuitement) aux spectateurs de la Kufa lors du weekend passé constituait un panorama audacieux, un état des lieux de tout ce qu’une certaine musique contemporaine (pas uniquement) luxembourgeoise désentravée, qui n’hésitait pas à saccager les conventions ou à se renouveler en implémentant qui du théâtre, qui du cinéma, qui de la typographie, qui des arts digitaux, pouvait offrir – avec, comme apogée, la clôture du festival avec un remix récapitulatif de 33,7 minutes par Francesco Tristano.

Comme le temps nous a manqué de tout voir – et comme la place aurait de toute évidence manqué pour tout évoquer ici –, la sélection présentée ici, purement subjective, est due à une histoire de créneaux plus qu’à un tri qualitatif. Au moment d’arriver à la Kulturfabrik lors d’un samedi qui inaugurait officieusement l’automne et la saison des pulls, impossible de ne pas être attiré par „All Limits“, une installation audiovisuelle conçue par le compositeur portugais Igor C Silva. Après qu’on nous a prévenus, au moment d’entrer dans la galerie au centre de la cour de l’ancien abattoir, qu’il y aurait nombre d’effets stroboscopiques, on pénètre dans une galerie transformée en une sorte de hangar qui n’est pas sans rappeler une certaine scène de l’underground berlinois, où le jeu saccadé des lumières révèle des silhouettes fantomatiques qui slaloment entre les piliers alors que, disséminés aux quatre coins de l’endroit, un claviériste, un guitariste, un bassiste et un batteur viennent régulièrement perturber le son ambient par de courts soubresauts bruitistes qui illuminaient alors le béton défraîchi de la salle à la manière dont un éclair d’orage viendrait zébrer le ciel.

Plus interactive, „Ce qu’on entend sur la montagne“, l’installation de Roby Steinmetzer confronte le spectateur à une réinterprétation assez radicale du poème symphonique éponyme de Franz Liszt, avec l’injonction de participer à cette réinterprétation en gesticulant, dansant, sautillant, bref: en se faisant, l’espace d’un moment ludique, une sorte de chef d’orchestre amateur d’une pièce qui se (re)compose sous nos yeux. Alors que l’écran est décomposé en carrés qui correspondent chacun à un instrument différent, une caméra capture le mouvement des corps pour reconstituer alors, avec la grâce ou au contraire la maladresse du public, une composition à plusieurs mains, bras et jambes.

Ensuite, „Ctrl Variations“, une collaboration entre le compositeur Pascal Schumacher, le graphiste Michel Welfringer et l’auteur Ian Monk, accueillait le spectateur au Lino Jaune, un des espaces de répétition de la Kulturfabrik transformé pour l’occasion en salle de home cinéma, avec des canapés et fauteuils où s’affaler pendant qu’une sorte d’hommage au film muet, avec des mots et des lettres qui prenaient le rôle des acteurs, fut projeté: sur fond d’une composition envoûtante, défilaient des mots-vortex qui happaient le spectateur, l’immergeaient dans un monde où l’ingénieux enchâssement de l’inventivité typographique de Michel Welfringer dans un étau de questionnements intempestifs aboutissait à une œuvre-hybride à la fois drôle et légèrement inquiétante, où pointait toujours, de manière mordante et ironique, le voyeurisme du monde digital.

Enfin, au Lino Gris, l’on pouvait assister au premier concert de l’Orchestre philharmonique d’Esch-sur-Alzette (je propose l’acronyme OPESA) dans une sorte de mise en scène théâtrale aussi loufoque que grinçante, chacun des musiciens admettant, à un moment ou l’autre, qu’il aurait quand même préféré devenir qui banquier, qui pécheur, affirmations qui ponctuent un monologue évoquant l’épuisement du monde du travail, son esclavagisme sournois. Alors qu’on se pose à juste titre la question de ce qu’une version un peu plus foutraque de la fameuse table de dissection de Lautréamont (en lieu de parapluie et de machine à coudre, un brocoli y côtoie un chou-fleur et un écrin à bague) vient faire par là, voilà que le chef d’orchestre, qui cherche à mettre en scène une sorte d’opéra classique avec péripéties classiques et vaillant héros, est lentement délesté de son autorité dans un souci de déconstruction des structures narratives édifiantes assez hilarant.

De nouvelles impulsions

Afin de pérenniser l’événement – rappelons que c’est là l’un des critères de sélection pour qu’une ville puisse être éligible pour le label ECOC: que les projets aident au développement culturel d’une région en ne se limitant pas à de simples festivités annuelles –, Kultur | lx a annoncé, la veille du début du festival, rejoindre le fonds Impuls Neue Musik, ce qui permettra, à partir du mois de janvier de l’année prochaine, de mettre en relation „la scène luxembourgeoise avec des partenaires de pays limitrophes et proches“ (dixit le communiqué de presse de Kultur | lx) comme la France, l’Allemagne et la Suisse, mais aussi de favoriser, grâce à la logique de l’échange qui est au centre de ce fonds, la circulation des œuvres de compositeurs et compositrices luxembourgeois(es) à l’étranger.

Créé à l’initiative de la SACEM, l’Impuls Neue Musik a commencé par favoriser les échanges et synergies entre compositeurs de musique contemporaine en France et en Allemagne. „À l’époque, Olivier Bernard, le directeur de l’Action culturelle à la SACEM, croyait beaucoup à l’échange et considérait que l’export des artistes français, favorisé par le Bureau Export, ne suffisait pas, que ça n’aidait pas les artistes assez, qu’il fallait de l’échange – il a donc essayé de créer des structures bilatérales“, explique Sophie Aumüller, la directrice du fonds.

„Nos partenaires d’alors, c’étaient l’Institut français d’Allemagne et le Bureau Export de la musique française – mais il n’y avait aucun partenaire allemand, abstraction faite du Goethe Institut à Paris. Parce qu’en Allemagne, la culture est financée par les Länder, il était difficile de trouver une structure plus grande qui pouvait nous financer.“ Les choses se résolvent au fil du temps, puisque le BKM (acronyme derrière lequel se cache le Beauftragter der Bundesregierung für Kultur und Medien (les Allemands savent faire court)) les rejoint en 2012, ce qui débouchera à un partenariat avec le Musikfonds en 2019.

En 2018, un premier élargissement fait que Pro Helvetia, sorte de pendant suisse de Kultur | lx, pour aller vite, rejoigne l’Impuls. „Il fut ensuite logique de penser à d’autres pays francophones et germanophones et il y eut, au moment où la Suisse nous rejoignit, l’entrée de Bernhard Günther en tant que membre du CA, qui m’a fait remarquer qu’il y avait des liens possibles avec le Luxembourg. Si la suite des choses a duré un peu à cause de la pandémie, il y a un an, j’ai rencontré Jo Kox, qui m’a parlé de la création de Kultur | lx – et on a très vite trouvé un accord. Il serait logique de penser aussi, dans un avenir proche, à la Belgique et à l’Autriche – mais dans des pays plus grands, il est souvent plus difficile de convaincre les ministères, ce qui est d’autant plus dommage qu’on ne peut pas accepter, par exemple, des dossiers autrichiens tant qu’il n’y a pas de participation de l’État autrichien“, regrette la directrice, qui se montre cependant très enchantée par le partenariat avec le Luxembourg.

Aumüller se réjouissait par ailleurs, la veille du festival, d’une première opportunité de découvrir de futurs porteurs de projets et des interlocuteurs à la Kufa, puisqu’elle dit ne commencer qu’à faire connaissance de la scène luxembourgeoise. Enfin, conclut-elle, elle se montre curieuse de découvrir, à partir de l’année prochaine, de premiers dossiers luxembourgeois, tout en précisant que la date-limite est toujours le premier mai – à bon entendeur.

Catherine Decker, Valérie Quilez, Jo Kox, Clémence Creff, Giovanni Trono, Sophie Aumüller, Mathilde Bezart et Diane Tobes lors de l’annonce officielle, vendredi dernier, que Kultur | lx rejoignait le fonds Impuls Neue Musik.
Catherine Decker, Valérie Quilez, Jo Kox, Clémence Creff, Giovanni Trono, Sophie Aumüller, Mathilde Bezart et Diane Tobes lors de l’annonce officielle, vendredi dernier, que Kultur | lx rejoignait le fonds Impuls Neue Musik. (C) Marco Pavone