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LuxFilmFestPasser sous silence: la cérémonie de remise des prix

LuxFilmFest / Passer sous silence: la cérémonie de remise des prix
Elia Suleiman, le président du jury de cette année Anne Lommel

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Après le boycott assez scandaleux des films russes, la cérémonie de remise des prix snobe la contribution ukrainienne. Ce faisant, le jury choisit de faire valoir la forme au détriment du fond. Un choix discutable.

Alors que le festival se termine avec „Incroyable mais vrai“, le nouveau délire de Quentin Dupieux, qui nous permet de voir ce que le vieux sujet de la machine à remonter le temps devient sous la caméra du plus loufoque des réalisateurs français, la cérémonie de remise des prix vient clore un festival dont l’ouverture s’était déroulée en demi-teinte à la suite de l’annonce du festival, dont le CA avait décidé, en accord avec le gouvernement, de retirer les contributions russes de la programmation.

Un choix d’autant plus étrange que l’indépendance du festival y semblait menacée, puisque c’est une décision gouvernementale qui a impacté le programme et la compétition du festival – à titre de comparaison, on voit mal un Macron imposer à Thierry Frémaux de déprogrammer des films à Cannes. A ce propos, le choix pris par ce dernier, qui n’interdit pas les artistes russes mais n’accueillera pas, cette année, de délégation russe, est bien plus cohérent, comme l’explique aussi Yann Tonnar, le président de la „Lëtzebuerger Filmakademie“, qui s’oppose elle aussi à la décision de pénaliser des artistes à cause de leur appartenance nationale.

Il semblait donc étrange de voir, hier soir, après donc l’exclusion de „Gerda“ par la réalisatrice Natalya Kudryashova, de n’avoir à aucun moment entendu parler de „Reflection“, la contribution ukrainienne, pourtant l’un des longs-métrages les plus forts de la compétition officielle et qui évoquait ou plutôt annonçait de façon remontante la guerre entre la Russie et l’Ukraine.

Avec „Atlantide“, un film sur des jeunes qui vivent à la marge de Venise et dont la passion est la course de bateaux illégale, le jury couronne un long-métrage formellement intéressant, dont les images sont de toute beauté et dont la séquence finale, qui se la pète un brin, marquera les esprits. Mais il évite de se confronter à l’actualité, alors qu’il y en avait, des films politiques, qui parlaient de la disparition de personnes au Mexique („Prayers for the Stolen“, qui a obtenu le prix de la Critique), d’émigration („Jack’s Ride“), de réfugiés (le très réussi „Silent Land“ et le très beau „Hit the Road“, couronné aussi par le prix de la Critique) ou encore, comme on vient de le dire, le film de Valentyn Vasyanovych sur la guerre en Ukraine.

Pour la compétition documentaire, le choix paraît là encore assez décousu: alors qu’il y avait, là aussi, des films passionnants, qui parlaient d’insurrection ouvrière („1970“), du traitement que nous infligeons aux animaux („Cow“), du clivage de la population chinoise („Ascension“), le jury a couronné „What Will Summer Bring“, un documentaire aux prémisses intéressantes mais qui est, au final, plus une rêverie sur la vie des autres qu’un grand documentaire.

Le prix de la critique, distribué sur deux productions – le très beau roadmovie de Panah Panahi et „Prayers for the Stolen“, qui rappelle „Robe of Gems“, un autre film sur les cartels mexicains couronné à la Berlinale – paraît plus politique, mais assez consensuel, tout se passant, là encore, comme si le film de Valentyn Vasyanovych avait été trop dur, trop vrai, trop réel pour qu’on ose s’y frotter.

Car le couronner aurait été une piqûre de rappel douloureuse mais nécessaire, un renvoi urgent à ce qui se passe dans le monde, mais aussi une façon de commenter, plutôt que de la passer sous silence, la décision de censurer des propos artistiques – car c’est cela, en fin de compte, plus que les belles images de Venise, qui restera de cette mouture.

Un peu moins glamour que Cannes: le jury du LuxFilmFest, des éminences politiques et un chien cinéphile qui a vu tous les films en compétition (sauf la contribution russe, évidemment)
Un peu moins glamour que Cannes: le jury du LuxFilmFest, des éminences politiques et un chien cinéphile qui a vu tous les films en compétition (sauf la contribution russe, évidemment) Photo: Editpress/Anne Lommel

Le palmarès

– Grand prix: „Atlantide“ de Yuri Ancarani
– Prix du documentaire: „What Will Summer Bring“ d’Ignacio Ceroi
– Prix de la critique (ex aequo): „Hit the Road“ de Panah Panahi et „Prayers for the Stolen“ de Tatiana Huezo
– Prix VR: „Goliath: Playing with Reality“ de Barry Gene Murphu et May Abdalla, et „We are at Home“ de Michelle et Uri Kranot
– Prix 2030 Award by Luxembourg Aid & Development: „Aya“ de Simon Coulibaly Gillard. Mention spéciale pour „Prayers for the Stolen“ de Tatiaa Huezo.
– Prix du public: „Hit the Road“ de Panah Panahi
– Prix du jury jeune: „Shadow Game“ de Eefje Blankevoort et Els Van Driel. Mention spéciale pour „You Resemble Me“ de Dina Amer.