François Truffaut (1932-1984) a fait du cinéma, lu des livres et écrit des lettres. Mort beaucoup trop tôt, il est peut-être l’un des derniers grands artistes épistoliers, car on se demande qui cultive encore aujourd’hui l’art d’une correspondance „durable“ et accessible aux générations futures … En tout cas, à la lecture de cette magnifique sélection de lettres adressées à/reçus par des écrivains, le talent d’écriture du cinéaste apparaît simplement époustouflant.
Dès les premières missives, nous sommes entre 1948 et 1951, le jeune homme pressé s’adresse à Jean Cocteau comme à Jean Genet avec la plus vive sincérité. L’un et l’autre devinent la puissance de l’urgence qui habite ce garçon d’à peine vingt ans, sa personnalité hors du commun, les rêves qui l’habitent. Leurs mots sont à la hauteur de cette rencontre inattendue: „Ne soyez pas blessé mais quand je vous ai vu entrer dans ma chambre, j’ai cru me voir – presque d’une façon hallucinante – quand j’avais 19 ans. J’espère que vous garderez longtemps cette gravité du regard et cette façon simple et un peu malheureuse de vous exprimer“, écrit Genet à celui qui a pris la plume pour lui parler de la lecture bouleversante qu’il vient de faire du „Journal du voleur“.
Quant à Cocteau, il est et restera jusqu’à sa mort, en 1963, celui qui accompagne les premiers pas de ce cinéaste timide et maladroit dans la jungle du festival de Cannes, où, dès 1959, Truffaut triomphe de manière inattendue avec „Les Quatre cents coups“. Pétri d’admiration pour l’auteur du „Sang d’un poète“, Truffaut lui rendra ce soutien indéfectible en se battant pour que Cocteau parvienne à financer son dernier film, „Le Testament d’Orphée“. Il contribuera d’ailleurs lui-même à la production grâce au succès populaire de son tout premier film. Les lettres entre les deux hommes sont saisissantes d’amitié et d’admiration réciproque, et témoignent aussi d’une forme de réconfort qu’ils éprouvent dans la relation qui les unit, dépourvue de faux-semblants. Comme un lieu protégé au milieu d’un monde où le succès suscite les jalousies, et la reconnaissance, les demandes plus ou moins intéressées.
Sur plus de cinq cents pages, la correspondance de François Truffaut avec les écrivains permet d’entrer pleinement dans les coulisses du formidable travail de lecteur accompli par ce cinéaste qui adapta notamment Henri Pierre Roché („Jules et Jim“, „Les Deux Anglaises et le continent“), David Goodis („Tirez sur le pianiste“), Ray Bradbury („Fahrenheit 451“), William Irish („La Mariée était en noir“, „La Sirène du Mississippi“), Henry Farrell („Une belle fille comme moi“), Charles Williams („Vivement dimanche !“). Elle ouvre l’espace des possibles comme des impossibles, en révélant les nombreux projets d’adaptation avortés, la déception, voire l’aigreur des auteurs. Mais on découvre tout autant les relations d’amitié au long cours, comme celle entretenue jusqu’à sa mort avec l’écrivain et poète Jean Mambrino, auquel François Truffaut, malade, adressa sa dernière missive en janvier 1984: „Je remonte la pente, je lis vos poèmes, ils m’aident et vos signes d’amitié me touchent beaucoup.“
Parmi les plus beaux échanges de cette sublime collection, les lettres adressées à l’écrivain et critique Jean-Louis Bory au milieu des années 70. Ce dernier, lauréat du prix Goncourt pour son premier roman („Mon village à l’heure allemande“), n’a pourtant pas épargné les dernières productions de Truffaut et de la Nouvelle Vague: „… Truffaut, Chabrol, Demy, Rohmer, se sont fait ramasser par le système“, écrit-il. Venue d’un auteur qu’il respecte, l’exécution publique ne laisse pas Truffaut tranquille. Il prend la peine de lui répondre par une longue lettre, le 11 décembre 1974, dans laquelle il retrace son parcours cinématographique et argumente, film par film, en faveur de la sincérité qui les porte. „Cette manière de procéder non par choix ou par adoption, mais par un envahissement progressif, un critique peut ne pas l’accepter comme sincère, par contre un écrivain ne peut pas ne pas l’avoir ressentie“, écrit Truffaut, qui, après sa cause, plaidera aussi, dans la même lettre, celle de ses amis de la Nouvelle Vague.
Et puis, quatre ans plus tard, alors que Jean-Louis Bory traverse un épisode dépressif, François Truffaut s’adresse à lui dans une lettre particulièrement touchante: „Ces déchirements qui sont comme des morts, la sensation du trou noir, du je n’existe plus, cette irréalité des visages croisés dans la rue, tout cela je l’ai connu et aussi la certitude qu’on ne peut pas faire comprendre aux autres ce qui se passe en soi, le concret qui se dérobe, ce vide hébété.“
Même s’il juge „immoral le pillage de la littérature par le cinéma“, François Truffaut, qui admire tant les écrivains, le pratiquera avec profondeur et élégance. On croisera, dans le passionnant travelling littéraire de sa correspondance, Serge Rezvani et Georges Simenon, François Weyergans et Graham Greene, Robert Sabatier et Jacques Audiberti, Maurice Pons et René-Jean Clot … Bien d’autres encore. „Il suffit d’avoir quelque chose à dire pour le bien dire“, écrit François Truffaut à propos du cinéma et du travail de scénario. Une phrase qui vaut pour son œuvre d’épistolier, ou plutôt d’écrivain.
Laurent Bonzon
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