Vous en avez marre des éternels thrillers façon Dan Brown au cours desquels un membre du clergé se trouve des vocations d’enquêteur pour tirer au clair un complot mondial? Vous n’en pouvez plus des ébats pseudo-érotiques façon 50 nuances de gris clair ou foncé? Marc Lévy et Guillaume Musso déclenchent chez vous une légère nausée? Nous savons comment remédier à cette flemme du best-seller. Au cours de cette série estivale, que l’on inaugure aujourd’hui avec «Massif central» de Christian Oster, nous chercherons à vous présenter dix lectures d’été un peu décalées, qui vous donneront l’impression, tout en vous distrayant, de ne pas avoir perdu votre temps en les lisant sur la plage.
Ça fait un temps maintenant – depuis deux romans, en fait – que Christian Oster semble tourner en rond. En quoi il imite fort bien ses personnages. Car depuis toujours, Oster met en scène des narrateurs perdus, qui ne savent plus vraiment où aller. Cette indécision est d’abord physique – ils ne savent plus quels espaces habiter, raison pour laquelle le narrateur de «La vie automatique», son précédent roman, avait mis le feu à sa maison.
Elle est ensuite métaphysique: ses narrateurs sont des nomades en quête de recontres, d’espaces et de quiétude par quoi ils veulent remplir le sentiment accru d’absurdité et de vide de leurs existences tout comme ils espèrent apprendre comment négocier l’aridité qui gouverne leur vie sentimentale, qu’il s’agisse d’amitié, d’amour ou de passion. C’est pour cette raison que les récents romans d’Oster sont tous des road novels, des récits en mouvance perpétuelle – comme pour contrecarrer la stagnation existentielle de leurs personnages.
Or, les derniers romans d’Oster, quoique toujours emprunts de cette grâce stylistique de phrases bien tournées, aux circonvolutions parfois délicieusement fumeuses, avaient donné l’impression de ne plus trop savoir où aller, eux non plus. Si cela signifiait qu’ils embrassaient parfaitement, dans leur structuration, l’état d’âme de leurs narrateurs, cela n’en avait pas moins pour conséquence, pour le lecteur, une certaine morosité.
Pour pimenter un peu les choses, Oster, à la façon de certains auteurs des Editions de Minuit (chez qui il a publié ses 14 premiers romans), a décidé d’inviter une intrigue criminelle dans son nouveau roman. Cette intrigue criminelle est tout entière contenue dans le nom de Carl Denver, qui apparaît dès l’incipit du roman, et qui sera toujours lié à une angoisse un peu floue: «Je ne dis pas que Carl Denver avait l’intention de me tuer. Je dis que de mon côté il s’agissait d’une crainte diffuse, née de la connaissance que j’avais de Carl Denver et du passé de notre relation.»
Un monde muet
Car en effet, Paul, le narrateur, a pris Maud à Carl Denver. Et cette Maud, par épuisement de ses capacités d’aimer, Paul vient de la quitter. Or, depuis lors, des signes se manifestent, qui indiquent que l’amant déchu le traque. En témoignent d’abord les dires d’un certain Cyrille Vex, une connaissance commune à Paul et à Carl, figure fantomatique qui n’apparaîtra jamais vraiment dans le roman. Ces dires sont corroborés par des lettres qui parviendront à Paul à des endroits où il a trouvé refuge sans qu’il soit rationnellement possible que quiconque ait pu le traquer dans ses errances.
L’impression d’un étau qui se resserre, d’un cadrage, d’un scénario bien ficelé se confirme par le fait que Carl Denver est critique de cinéma. Et cette façon de concevoir sa propre vie comme un film, Paul la doit aussi à l’aliénation dont il est victime et qui explique peut-être, si elle n’en découle pas, l’aridité sentimentale et existentielle dans quoi il est tombé.
Quant à l’onomastique de ce personnage quasiment cinématographique du méchant invisible, elle trahit déjà le décalage, le jeu entre fausses pistes et menace réelle qui fait la qualité du roman. Carl Denver: le nom du personnage pointe vers un de ces thrillers américains sans temps morts et sans ménagements stylistiques là où le roman d’Oster est tout en lenteurs, en résignation, en tension palpable quoiqu’insaisissable. Car dans cette fuite en avant du narrateur, qui trahit aussi une volonté de trouver des espaces qui conviennent à sa nouvelle situation, de découvrir des lieux et des hommes qui ne le gênent pas dans sa résignation à une aliénation dans laquelle il cherche à condenser la mortalité et la solitude, dans cette fuite se lit aussi et surtout un désemparement métaphysique, une incertitude face au monde et à la réalité. C’est cela aussi que condense le personnage invisible et impitoyable, presque métaphysique – un peu comme les frères Coen savent en fabriquer – de Carl Denver.
Comme le dira Paul à Hermione, grande solitaire qu’il rencontrera dans un hôtel vers la fin du roman: «Nous ignorions trop, elle comme moi, de quoi le monde est fait, et elle a rétorqué que c’était au monde d’être plus loquace, que c’était à lui de s’exprimer, aux gens, aussi, qu’elle ne voulait plus se battre avec l’opacité et le mystère.» Si Oster n’élucidera pas ce mystère-là, il aura le mérite de nous y confronter. Tout comme Paul finira, à la fin, par devoir affronter Denver.
Pourquoi l’emmener en vacances
- Parce que le bouquin est construit comme un thriller, une course-poursuite haletante, avec un sentiment de menace permanent, sans que l’on sache pendant longtemps, à cause de la quiétude de Paul et du sentiment d’incertitude qui gouverne son univers mental, si cette menace provient des élucubrations du narrateur ou d’un stratagème bien réel et fort perfide.
- Parce que, au contraire des thrillers que vous avez l’habitude d’amener sur la plage, „Massif central“ est empreint d’un sens de l’observation accru – la façon dont son narrateur décrit les paysages, le vide des bâtiments, le comportement de ses congénères tout comme ce qui le (ne) lie (pas) à eux est jouissive, intelligente et prête à réflexion.
- Parce que, mine de rien, les narrateurs de Christian Oster sont des nomades, qui partent à la recherche d’espaces à habiter alors qu’ils paraissent ne plus attendre grand-chose d’une vie marquée par les déceptions. Et que, du coup, le roman vous fait voir du pays – d’une plage de Tardinghen à une maison dans les arbres aux abords de Limoges – en questionnant la façon dont nous habitons des lieux. Et en interrogeant ce que ces lieux font de nous.
- Parce que l’écriture, outre d’être très belle, est d’un laconisme et d’un décalage tel qu’il en résulte une œuvre étonnamment drôle et légère pour un roman dont la trame, en soi, est sombre.
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