Ecrire sur la musique, c’est comme danser sur l’architecture, disait jadis quelqu’un d’assez intelligent pour savoir que toute tentative de saisir par des mots ce que des harmonies et de la rythmique suscitaient en vous était, en fin de compte, vaine.
Ce constat très instructif me permettrait de m’en sortir par une pirouette verbale et de clore cet article sans aller plus loin – car voir Battles en live, peu importe où (hier soir, c’était aux Rotondes que cela se passait, dans le cadre des toujours merveilleux Congés annulés alors que je les avais découverts, il y a trois ans, en tête d’affiche à l’ArcTangent), c’est, en effet, un peu comme danser sur l’architecture, tant les abstractions sonores que déploient le guitariste Ian Williams et le batteur John Stanier sont à la fois accueillantes, abstraites et chaleureuses.
Oublier le monde
Si on veut pourtant aller plus loin, il faudrait dire que, plutôt que des chansons, les morceaux de Battles sont des invitations, des propositions – à danser, à ruminer et à oublier le désastre qu’est devenu le monde. Que ce soit l’ouverture fulminante, avec un „The Yabba“ diaboliquement inventif, où des synthés déjantés glougloutent avant que la batterie de Stanier, sorte de frère jumeau de Jo Kox muni, dirait-on, d’au moins six bras, et la guitare abrasive de Williams ne viennent créer de l’ordre, ou qu’on se laisse emporter par la suite des choses, où des pépites des trois premiers albums alternent avec des extraits du dernier album en date, qu’on croirait, à l’entendre sur scène, qu’il ne fut écrit que pour servir d’arrière-fond aux déchaînements folichons du duo: le set entier fit preuve de cet art du déchaînement contrôlé dans lequel les deux excellent – j’en veux pour preuve „A Loop So Nice“, où les deux musiciens se dépassent en inventivité sur fond d’un riff de synthé déconstruit au fur et à mesure que progresse le titre.
Car Williams et Stanier savent faire patienter leur public, comme ils l’ont montré avec leur version longue d’„Atlas“, ils savent alterner entre retenue et déchaînement, entre suspense et force brute. Ecouter Battles, c’est aller très loin de ces concerts téléphonés où l’on sait d’avance quels titres seront joués et où on se prépare à des mélodies qui ne viennent que confirmer notre besoin d’harmonies et de rythmes convenus – pendant la petite heure que durait le concert (et c’est peut-être là le seul petit regret: que le groupe ait quitté la scène si tôt et que, malgré les acclamations, il n’ait pas voulu revenir), tout ce qu’on pensait savoir sur le mathrock, le postrock et le jazz, le duo nous l’envoya en plein dans la figure, comme s’il voulait danser sur les décombres des styles musicaux qu’il se complaisait à déconstruire.
Battles en live, c’est un peu de l’art abstrait – on y décèle des motifs, des lignes, des schémas, de la technique – mais on n’arrive pas vraiment à comprendre comment, à partir de tant de maîtrise, arrive à naître de la beauté.
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