Après „Good Girls“ (au théâtre) et „Annie Colère“ (au cinéma) sur l’avortement (et son acronyme français IVG – la France a des acronymes pour tout), il semble que la fiction contemporaine se penche à présent sur la naissance, puisqu’une semaine après que „Sage-Homme“, long-métrage français assez mièvre et grand-public sur un jeune homme qui devient sage-femme malgré lui, eut atterri dans nos salles obscures, Renelde Pierlot dévoile, dans le studio du Grand Théâtre, son nouveau projet „Mettre au monde“.
Ceux et celles qui connaissent l’univers théâtral de Renelde Pierlot savent déjà que ses projets détonnent au milieu de productions locales de facture souvent assez classique: l’entrée en fiction (documentaire) s’y fait de façon active, les spectateurs et spectatrices franchissant un seuil, s’immergeant de façon concrète dans un univers façonné avec soin, suivant tantôt, comme cela fut le cas pour „Voir la feuille à l’envers“, une sorte de parcours à travers des lieux souvent fermés au public, celui-ci découvrant, précisément, l’envers du décor, se trouvant alors au plus près de la production.
La proximité, on le verra, jouera à nouveau un rôle primordial dans „Mettre au monde“. Cette fois-ci, le public, après avoir longé les dédales qui habituellement l’amènent au studio du Grand Théâtre puis emprunté un ascenseur, arrive dans une sorte d’antichambre où on le prie de bien vouloir, s’il le désire, enlever ses chaussures avant de découvrir le dispositif scénique, qui n’est autre qu’un utérus dans lequel le public, limité à une vingtaine de personnes, prend place – un utérus dont la reconstruction rappelle partiellement „Déi rout Drëps – Wat kucks du?“, le parcours le plus féministe parmi les six qui constituaient le projet MASKéNADA „Ee roude Fuedem duerch de roude Buedem“.
Une voix nous encourage alors à nous allonger, nous invite à „voyager“, à „fermer les yeux“, bref à entrer en méditation, à faire appel à notre mémoire corporelle, de laisser affluer nos souvenirs de liquide amniotique. C’est un début quelque peu ésotérique, qui ne prépare pas vraiment au flot d’informations et à l’enchevêtrement des récits, voix et témoignages qui suivront.
Bouffer de la GPA
Tout commence avec le dix-huitième anniversaire de Nicolas (Stéphane Robles), qui découvre un cadeau pour le moins inhabituel – un dictaphone et des cassettes qui lui racontent l’histoire de sa naissance et lui dévoilent que ses parents ont fait appel à une mère porteuse pour l’avoir, bref qu’il n’est pas né de sa mère. Ça sera un moment choc pour le jeune homme, qui l’amènera à lire des bouquins, des études, des publications médicales sur le sujet, à rencontrer des parents ayant vécu une GPA (gestation pour autrui – comme je le disais, la France a des acronymes pour tout) et des enfants nés, comme lui, d’une GPA. „J’ai bouffé de la GPA frénétiquement“, dira-t-il.
C’est le récit-cadre qui permettra à la metteure en scène non pas de nous donner à bouffer de la GPA, mais d’entrecroiser les histoires, réellement vécues, de plusieurs couples, mères porteuses, donneuses d’ovocytes, ces textes étant le résultat d’un entrecroisement, d’un mélange des témoignages recueillis – comme s’entrecroisent et s’emmêlent d’ailleurs, à des degrés variés, les destins lors de toute GPA: il y a ce couple homosexuel (Stéphane Robles et Francesco Mormino) qui pensait que le monde n’était pas prêt pour les voir avoir un enfant et que ce serait pour la prochaine génération, jusqu’à ce que l’un d’eux ait une sorte d’épiphanie et demande à son partenaire s’il serait d’accord pour qu’ils tentent l’aventure.
Il y a cette femme née sans utérus (Marianne Bourg); il y a cette autre femme qui subit une ablation d’utérus après des complications liées à la naissance de son premier enfant et dont le couple finira par être rattrapé par l’actualité belliqueuse, la mère porteuse se trouvant à Kiev au début de l’invasion russe; il y a cette femme hyper fertile (Nora Zrika) qui, pour aider ceux qui le sont moins, voire pas du tout, se renseigne sur le don d’ovocytes; il y a cette cousine qui, face au désarroi d’un couple sans enfants et dont la femme ne veut pas d’une mère porteuse issue d’un pays économiquement faible – elle l’aurait porté par nécessité, ce bébé, et non par altruisme –, propose de porter le bébé; il y a, encore, cette femme porteuse qui fait tout pour ne pas avoir de relation affectueuse avec un enfant qu’elle devra abandonner à d’autres, mais qui finira par échouer dans son projet d’indifférence à cause de la pandémie, qui la force à rester un peu plus longtemps que prévu avec l’enfant.
Au cours de leurs péripéties, le public découvre conjointement avec les différents personnages, qui se trouvent à côté d’eux, dans l’utérus, tout un monde encore très peu défraîchi, pour lequel la législation reste tâtonnante, voire inexistante, qui change pas de pays en pays, voire, comme aux Etats-Unis, d’Etat en Etat. Et qui en dit souvent long sur l’homophobie d’un pays, puisqu’il y en a beaucoup, dont l’Ukraine, qui interdisent la GPA aux homosexuels.
Entre altruisme et mercantilisme
On découvre sans surprise que le Luxembourg est à la bourre – un constat déjà fait pour l’IVG par Larisa Faber et son équipe de „Good Girls“, dont on retrouve ici Nora Zrika – et que là où la juridiction est lente, le néolibéralisme, lui, ne l’est jamais, qui a créé, là où on le laisse faire, où on le laisse pousser comme une plante sauvage et omnivore (bref aux Etats-Unis, notamment), tout un micromarché avec des tarifs allant jusqu’à 200.000 euros, dont seuls 40.000 reviennent à la mère porteuse, qui fait pourtant tout le travail. Ce marché fleurit pourtant aussi dans d’autres pays: l’agence ukrainienne BioTexCom propose notamment un forfait à 60.000 euros, sorte de GPA Prime, avec l’assurance que le couple reviendra au bercail avec un enfant et un chauffeur qui vient vous chercher à l’aéroport.
Démantelant ces discours honteux que favorise bien évidemment une certaine extrême droite dont le discours s’appuie sur des mensonges déguisés en semi-vérités – en gros, comme la GPA serait principalement réservée aux homosexuels (ce qui est faux), elle serait une offense au lien biologique-sacré entre une mère – et dont quelques discours haineux nous parviendront à travers le collage sonore nappé de synthés de Malika Fankha, „Mettre au monde“ remet aussi les pendules à l’heure, non pas en recourant à un ton courroucé ou pamphlétaire, mais en tablant, avec clarté et concision, sur les faits, les désenchevêtrant du tissu de préjugés liés à la méconnaissance, à l’incompréhension ou au refus de vouloir savoir.
„Mettre au monde“ parvient ainsi à exposer simplement un procédé pourtant complexe, auquel sont liés des questions non seulement médicales, mais aussi éthiques, sociétales, féministes et mercantiles, entre autres parce que, on l’a vu, les lois, sauf celle du marché, sont lentes à se mettre en place. Ainsi, aux Etats-Unis, la donneuse d’ovocytes est payée mieux „quand elle est étudiante à Harvard“ et qu’elle a le „bon phénotype“: ça s’appelle de l’eugénisme et c’est un des risques de la GPA, que les futurs parents adoptifs veuillent se fabriquer un enfant sur mesure – „tes défauts à toi, t’es prêt à les transmettre à ton enfant, quoique … mais ceux des autres …“
Les ravis de la vie
Vers la fin de cette courte pièce dense, avant que le récit-cadre autour de Nicolas ne vienne la clôturer, un pan de l’utérus s’ouvre pour découvrir un plateau de télévision sur lequel se déroulera l’émission L’avis de la vie, au cours de laquelle des experts disposent de dix minutes pour éclaircir le public sur un sujet, pour répondre à des questions et pour éblouir. Sous la modération d’un Francesco Mormino en grande forme, drôlissime dans ces rares interventions, un juriste, un médecin et une féministe débattent des implications morales du sujet – c’est une manière ludique, jouissive, à laquelle avait recouru aussi Sophie Langevin à la fin de ses „Frontalières“, pour associer pédagogie, débat philosophique et un peu de jeu.
Si on aurait aimé que l’équipe pousse encore un peu plus loin le jeu, si on a l’impression que l’immersion dans ce monde à part se fait d’abord de façon un peu trop hésitante, recourant ainsi à un récit-cadre un peu trop pédagogique, style le petit Nicolas découvre le monde de la GPA, et si on regrette parfois le côté un tantinet ostentatoire de la mise en scène (les costumes, notamment), son côté un peu feel-good qui est pourtant inhérent au sujet, „Mettre au monde“ réussit, grâce à l’intelligence du dispositif scénique, grâce au travail, impressionnant, de compilation, de structuration et de mise en narration des témoignages, grâce enfin à la mutabilité des acteurs dont la proximité avec le public renforce l’intimité du propos, rendant encore plus touchants l’entrecroisement des destins individuels.
Info
Prochaines représentations: aujourd’hui à 18.30 et 20.00 heures, demain à 19.30 et 21.00 heures et dimanche à 17.00, 18.30 et 20.00 heures au studio du Grand Théâtre. Durée: 70 minutes.
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