Il était une fois un pas si preux chevalier féru de chasse qui, dans les environs de l’Ellergronn, sema la terreur parmi les animaux. Quand ce chevalier, qui répondit au nom de Heenz Jacoby, rencontra la belle Marguerite de la Navette, il sembla qu’on eut là le couple parfait, puisqu’elle était tout aussi passionnée par la chasse et que tous deux s’amusèrent donc à tirer plus ou moins sur tout ce qui bouge.
Une fois enceinte pourtant, Marguerite dut garder l’enfant, le chevalier ne maîtrisant que très sommairement, à cette époque lointaine et donc barbare, les principes de l’égalité des sexes et de la coparentalité.
Atterrée de ne plus pouvoir s’adonner aux plaisirs sanguins de la chasse, Marguerite se trouva un passe-temps très peu féministe: elle se mit à tisser. Pourtant, elle transforma cette pratique quotidienne un tantinet morose d’abord en art, puis en sorcellerie – ainsi, ses couettes magiques permirent aux dormeurs de trouver un sommeil profond et réparateur. Si elle parvint à transcender l’artisanat en magie, ce fut grâce à une colombe qui d’abord lui procura de l’inspiration, puis un livre de sortilèges.
Peu à peu, mari et femme s’adaptèrent à cette vie conjugale tout ce qu’il y a de plus normale pour un conte mythologique: elle brodant, tissant de la draperie magique, lui revenant de ses tueries englué de sang, d’entrailles, puant la mort.
Un jour pourtant, son chasseur de mari alla trop loin et tira, dans un accès de frénésie meurtrière, sur la colombe. Le gardien de la forêt, un petit homme trapu qui connaissait l’Ellergronn mieux que le fond de ses poches, s’en offusqua, et la rencontre des deux hommes provoqua l’ire du ciel qui, frappant non pas une, non pas deux, mais trois fois, fit s’engloutir le château, sa chapelle et tua Heenz.
C’est là, au fond du Hénzebiergweier, première des neuf étapes que constitue cette promenade sonore, que se trouverait le domaine ainsi disparu. Pour l’ouverture de „E roude Fuedem duerch de roude Buedem“, grand projet Esch2022 de MASKéNADA, „De sëlwer roude Rack“ („La robe rouge argentée“), dont l’histoire est adaptée et écrite par Annick Sinner, propose une déambulation sonore et visuelle au Centre nature et forêt Ellergronn: le flâneur effectue son parcours sur fond de pépiement d’oiseaux dans cette enclave idyllique et pourra, à chacune des neuf bobines qui parsèment le parcours, écouter (ou voir) un nouveau chapitre de l’histoire, qui réécrit et déconstruit une légende luxembourgeoise.
Des légendes féministes
Car pour leur projet, MASKéNADA a demandé à ses auteurs et autrices de réécrire six légendes du sud luxembourgeois. Inspirés par „Eiser Soen“, le gros pavé de Mil Goerens, l’idée est de recentrer ses légendes plus ou moins (souvent moins, d’ailleurs) connues autour des personnages de femmes – car souvent, celles-ci sont vues, dans de tels récits, comme de simples objets de convoitise ou comme des sorcières malveillantes. Pour le chapitre inaugural, le récit luxembourgeois d’Annick Sinner fut traduit, ou plutôt réimaginé, par deux jeunes auteurs luxembourgeois: si Fernando Da Mota se chargea des versions portugaises et anglaises, Antoine Pohu fut à l’origine du texte français, les auteurs donnant chacun leur empreinte stylistique, voire sémantique, aux versions qu’ils proposent, celles-ci faisant alors non seulement hommage à la polyglossie inhérente du pays, mais encore à la patte stylistique de chacun des trois auteurs.
Si cet effort est fort louable, la différence entre les récits et styles occasionne quelques questions quant au public-cible: ainsi, si le récit luxembourgeois est bien plus accessible, linguistiquement plus simple et s’il paraît s’adresser, jusque dans la tonalité de sa narratrice, aux plus jeunes, la prose d’Antoine Pohu se veut plus complexe, à la fois plus elliptique, plus dense et plus poétique. Si cette diversité fait, pour l’auditeur et le flâneur adulte, tout l’intérêt du parcours, on demeure en droit de se demander si un enfant francophone saisira toutes les nuances du texte français ou si, au contraire, le promeneur adulte n’aurait pas aimé un récit luxembourgeois moins enfantin.
L’entreprise de réécriture féministe est fort louable – le portrait de Marguerite en chasseuse intrépide, puis en magicienne bienveillante tout autant que le portrait du mâle violent, désintéressé à la fois par son couple et sa famille, rappelle quelque peu les efforts de pastiche d’un Matt Groening dans „Disenchanted“, où le personnage de Bean bouscule à peu près tous les clichés inhérents aux princesses de contes.
Pourtant, on eut peut-être aimé qu’on déconstruisit, qu’on démythifiât, qu’on remixât encore un peu plus la légende, qu’on poussât plus loin la réécriture féministe. Ainsi, vers la fin, quand son mari meurt, Marguerite en éprouve du chagrin et tisse, à partir des résidus de feu son mari, une robe argentée afin de toujours pouvoir le porter près de son cœur. L’on se demande alors pourquoi elle n’est pas soulagée de s’être débarrassée de cet homme toxique, qui n’avait ni respect pour la nature, ni pour sa femme. Malgré ces minimes écueils, cette première flânerie tient ses promesses et donne assez envie de découvrir la suite des choses – le deuxième volet, en mai, sera écrit par Jean Bürlesk et Mandy Thiery et aura lieu à Obler à partir du 13 mai.
Ich finde es faszinierend, dass die ehemals schießwütige Gattin, die zur Magierin wurde, die Überreste Ihres weiterhin blutrünstigen Gattens zu einem silbernen Gewand webt, dass Sie sich wie eine zweite Haut anlegt, ich assoziiere damit transgender, in seinen vielfältigen Facetten, ich sehe hier nicht die trauernde Witwe, eher die/der Magier/In.