El Edén porte bien mal son nom. Ses habitants vivent dans un enfer, soumis au règne des trafics et aux affrontements entre bandes rivales, dont personne ne sait précisément à qui elles obéissent et quels buts elles poursuivent. Aucun, sans doute, la logique de la terreur doit être suffisante. Elle dicte la régularité des crimes et de la répression, qui s’abat sur la population – jeunes et vieux, femmes et hommes – de manière aveugle. Lorsque le racket, le viol et les enlèvements ne suffisent plus aux gangs pour donner la mesure de leur puissance, les armes automatiques et les bazookas prennent le relais. Quels que soient les dégâts collatéraux.
Plusieurs années après une nuit de siège qui provoqua la quasi-destruction de la ville ainsi que des dizaines de victimes, deux rescapés, dont le narrateur, se retrouvent par hasard dans un bar de la cité où ils ont trouvé refuge. Le temps d’une nuit, Dario et le professeur boivent, fument, parcourent ensemble les chemins tortueux de leur mémoire, qui les conduisent à travers les rues d’El Edén et des événements dramatiques qui les hantent. „J’eus envie de lui expliquer que, dans une situation telle que celle qu’il avait vécue, comme celle que nous vivons tous et continuons de vivre dans cette région, dans ce pays, les raisonnements moraux n’avaient plus leur place, ou du moins qu’ils ne pouvaient pas être pris en compte de la même manière qu’à une époque normale, bien que personne ne sache ce qu’est ou a été une époque normale. (…) Que lorsque la mort nous cerne et que la violence détruit ce que nous pensions être stable, ou immuable, même la foi s’effondre, et à plus forte raison nos façons de voir le monde quotidien.“
A travers son roman très noir, la vision qu’Eduardo Antonio Parra donne de la société mexicaine, machiste, déboussolée, fataliste, écrasée par le poids de la violence criminelle, est terrifiante. Aucune lumière n’éclaire le tunnel de ces crimes incompréhensibles qui détruisent tout et prennent les vies comme un dû. La peur habite le centre de toutes les existences, s’invite constamment dans les relations familiales ou amoureuses. Traversant la zone de combats, en plein centre d’El Edén, échappant aux bandes rivales et aux balles perdues, Dario fait revivre à son compagnon de désespoir l’intensité de cette nuit interminable, où il partit à la recherche de son petit frère et de sa fiancée. La mémoire de l’un entraîne l’autre dans le dédale de ses propres souvenirs. Les rues se confondent, les histoires s’entremêlent, les peurs aussi. Dans le miroir de l’autre, chacun contemple sa vie détruite, ses ambitions ou ses amours perdues.
A travers ce roman tragique, Eduardo Antonio Parra montre à quel point une vie est facile à briser lorsque „la guerre met le monde sens dessus dessous“. Quelques centimètres plus loin, quelques secondes plus tôt, le hasard autant que l’arbitraire dictent leur loi.
Laurent Bonzon
Eduardo Antonio Parra
„El Edén“
Traduit de l’espagnol (Mexique) par François-Michel Durazzo
Editions Zulma, 2021
336 p., 21,80 €
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