Cela fait un mois maintenant que les électeurs luxembourgeois ont écouté leur surmoi plutôt que leur ça, cet „innerer Schweinehund” qui, de l’Allemagne à la France, de Rome à Vienne et de Brasilia à Washington, s’est défoulé dans les isoloirs, en votant qui pour la peste brune, qui pour le choléra tout aussi brun caca.
De Paul Rauchs
Eh oui, les Luxembourgeois attrapent des maladies infantiles quand leurs voisins risquent de succomber à des maladies honteuses. Ils sont en effet de grands enfants, lisant beaucoup Asterix et élisant encore plus de pirates. Or, on sait que chez Goscinny et Uderzo les pirates ont la fâcheuse tendance de s’autosaboter.
Les Luxembourgeois ont-ils alors le 14 octobre dernier saboté leurs vaisseaux politiques? C’est oublier que chez les Gaulois, tout se termine par un festin, et que, contrairement à leurs cousins romains et gaulois, les Luxembourgeois déçus par le système ont préféré voter pour un parti sans idées, „d’Piraten“, plutôt que pour un parti avec de mauvaises idées, l’ADR. Et par la même occasion, ils ont exprimé leur amitié avec une partie de leurs ancêtres, les Gaulois, prouvant ainsi leur attachement au français, au plurilinguisme et au privilège de pouvoir acheter croissants, baguettes et beaujolais en VO.
La question identitaire, le repli frileux sur le cocooning de l’entre-soi, les surenchères sur notre dialecte ont fait long feu et le calamiteux référendum semble bien loin. Jean Asselborn, le Don Quichotte qui se bat chez nous et les autres pour un accueil généreux des réfugiés, l’homme à la clef qui ouvre, a récolté plus de dix fois plus de voix que Kartheiser, l’homme à la clef qui ferme.
Pour avoir ignoré cela et pour avoir oublié que les Luxembourgeois sont avant tout conservateurs, les sondeurs se sont lourdement trompés. Les plus malins d’entre eux ont d’ailleurs changé de bord avant les élections, n’est pas Monsieur Margue?
Ce n’est donc pas un hasard que le plus grand gagnant, le parti des Verts, et ce qui reste malgré tout le plus grand parti, le CSV, professent des valeurs conservatrices pour le premier, voire parfois même passéistes pour le second.
Les vases communicants
Les vases communicants semblent d’ailleurs avoir fonctionné entre les deux camps. Quant à la vase, au féminin, les identitaires se sont embués dedans pour ne pas avoir compris que la question de l’être va de pair avec celle de l’avoir: en d’autres termes, quand on a peur de ne plus rien avoir, on est angoissé de ne plus être.
La misère économique entraîne la peur identitaire et c’est fort logique finalement qu’au Luxembourg la croissance économique a entraîné la décroissance des populistes. Chez les riches, auquel le système électoral réserve encore le privilège de voter, les questions identitaires posées par les populistes ont été déposées par les électeurs.
Au „mir wëlle bleiwen, wat mer waren“ ils ont répondu par un tonitruant „mir wëllen halen, wat mer hunn“. „To be or not to be, that’s no more the question … but tis nobler in the mind to have.“ * L’identité a donc fait pschitt, la bourse reste plus importante que la vie et les couilles se sont cachées sagement dans les bourses.
Comme chez les Gaulois, le destin s’est fait festin. Et tous ceux qui connaissent leur Freud du bout du doigt savent qu’il s’agit bien cette fois-ci du festin totémique**, au cours duquel la horde primitive dévore le père qu’elle vient de tuer.
Il y a cinq ans, elle s’est contentée d’envoyer le père en exil à Bruxelles, le mois dernier elle l’a achevé pour de bon. Oh certes, Claude Wiseler tient plus du gendre (plus tellement idéal) que du père, mais il ne doutait pas de père-sonnifier et père-enniser la longue lignée des patriarches du CSV.
Le renvoi du CSV en opposition est devenu un maintien, et du coup l’accident de l’Histoire est devenu un astérisque de l’histoire. L’usurpation du pouvoir par une bande de „malfrats“ n’est plus désormais un fait divers, mais un fait avéré. Ce n’est plus une révolte, Sire; c’est une révolution, Messieurs, Dames! Et je n’en veux pour preuve que cette révolution a commencé déjà à manger non pas ses enfants, mais, comme nous venons de le voir, ses pères. Les pères du PCS, mais aussi le père Giberyen de l’ADR qui vient d’annoncer sa future retraite. Et jusqu’aux caciques du POSL dont certains éternel(le)(s) réclament une nouvelle fois les têtes. Comme quoi, l’écriture inclusive pour les un(e)(s) signifie sinécure exclusive pour les autres. Décidément, on n’en sort plus de ces histoires de mises à mort et de festin. Mais attention : parti socialiste ne veut pas encore dire socialistes partis.
On semble l’avoir compris à Dudelange et dans les quelques rares fiefs socialistes épargnés. Les camarades auraient tort de sacrifier à la camarde et d’aller bouder et expier dans l’opposition. Ils ne l’ont pas fait ces dernières décennies quand c’était opportun, et il leur serait difficile aujourd’hui d’expliquer aux Genossen comme aux électeurs qu’ils refusent maintenant aux Verts et au parti démocratique ce qu’ils ont accordé hier de bonne grâce aux chrétiens sociaux.
Le Luxembourg ne veut plus de vieux père
Car comme Fillon en France, Wiseler a perdu des élections données imperdables. Mais si Fillon, le filou, a perdu par cupidité, Wiseler n’a pas perdu pour autant par stupidité, mais par le jeu stupide du mikado. Le Luxembourg de Bettel n’est plus celui des Werner, Santer et Juncker. Et si en Autriche, des affiches proclamaient il y a peu encore que le Juncker nouveau était arrivé, il s’agissait alors d’un vin Heurigen. Depuis, au Luxembourg, on a mis du vin dans son eau bénite. L’Eglise a été séparée de l’Etat, et même le CSV n’est pas mécontent que d’autres aient déplacé le clocher loin du centre du village.
Mais ce CSV qui affirmait avoir un plan pour le pays, en a-t-il un maintenant pour lui-même ? Un plan B comme plus Bon à rien ou un plan C comme Consensuel qui a remplacé il y a bien longtemps déjà le plan C comme Chrétien? Son plan W comme Wiseler sera-t-il celui de Wilmes qui s’est déjà dit prêt à assumer ses responsabilités et se voit aux fourneaux pour apprêter le père déchu?
Il pense avoir les dents assez longues pour digérer ce père qui n’en a pas voulu être un, préférant être un pair parmi ses pairs plutôt qu’un père de la nation. Mais ni les jeunes loups de la politique ni les vieux briscards de sondeurs n’ont vu que le Luxembourg désormais ne veut plus de vieux père, mais un grand frère, non pas un big brother qui les surveillait comme Juncker, mais un good fellow qui vous veut du bien et vous donne des biens comme Bettel, un frère Noël qui vous décroche les étoiles comme Schneider, une queen mum qui garde vos enfants dans des maisons-relais comme Corinne Cahen et un gran’pa à la François Bausch qui vous fait jouer comme autrefois avec des trams et des trains électriques. Ne vous ai-je pas dit que les Luxos sont des grands enfants qui sont (peut-être) devenus enfin adultes?
* William Shakespeare, „Hamlet“, 1603
** Sigmund Freud, „Totem und Tabu“, 1913
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