Vendredi et samedi prochain sera présenté, lors des fameuses Assises culturelles, un plan de développement culturel pour le Luxembourg. Petit rappel: pour éviter que ce plan ne devienne un champ de bataille politique et pour s’assurer que sa réalisation soit poursuivie peu importe le résultat des élections en octobre prochain, l’on avait externalisé sa mise sur pied en laissant Jo Kox s’atteler à la tâche. Lors d’une série en quatre parties, nous reviendrons en amont sur quelques défis (la professionnalisation du secteur, la problématique des centres culturels périphériques et le lien entre la culture et l’éducation) pour finir, lundi prochain, avec un bilan extensif de ce qui aura eu lieu.
L’un des enjeux majeurs du plan culturel sera l’acheminement du milieu culturel vers une professionnalisation accrue. Or, si des artistes nationaux réussissent à décrocher des expositions monographiques à l’étranger, si des productions théâtrales impliquent la coprésence de grands noms étrangers et d’acteurs ou dramaturges luxembourgeois, si le pavillon luxembourgeois à la Biennale de l’architecture est l’un des rares à susciter l’engouement critique et si le Luxembourg connaît enfin une présence structurée et massive à la Frankfurter Buchmesse – bref, si tous les signes indiquent que quelque chose est – enfin – en train de se faire, il n’en reste pas moins que les moyens et les structures pour atteindre cette professionnalisation manquent encore et toujours. Nous profitions d’une conférence de presse organisée par la Theater Federatioun mercredi dernier et pendant laquelle la fédération exposa bon nombre de revendications pour analyser ce qu’il reste à accomplir pour optimiser le chemin vers un secteur culturel professionnalisé.
Le complexe d’infériorité
«C’est pas mal du tout … pour une production luxembourgeoise.» C’est la phrase à éviter à tout point, surtout si vous êtes en présence des artistes locaux en question. C’est surtout un cliché qui a la dent dure, et qui condense à lui tout seul le complexe d’infériorité dont souffre le milieu culturel du Luxembourg depuis ses premiers pas (d’amateur), complexe qui paraît surtout dû à sa situation géographique, qui le positionne entre deux mastodontes de la culture – la France et l’Allemagne. Car le milieu artistique luxembourgeois n’a pas à se cacher derrière de telles affirmations. Et c’est une mission réelle pour les journalistes culturels que d’affirmer que telle ou telle pièce de théâtre, album, bouquin, tableau ou installation vaut le coup ou non – à condition d’instaurer un cadre de référence qui vaut pour l’œuvre en elle-même, et non pas pour sa qualité en tant que production luxembourgeoise.
Nora Koenig et Peggy Wurth, qui sont en charge de l’Aspro (Association luxembourgeoise des professionnels du spectacle vivant) confirment que de telles assertions réduisent à néant toute tentative vers une professionnalisation que le Luxembourg vise depuis un certain temps. «Quand j’étais à Recklinghausen pour les adieux de Frank Hoffmann, l’on me demandait si je faisais moi aussi partie de cette petite troupe d’acteurs amateurs en provenance du Luxembourg. Ce sont précisément ces clichés-là qu’il faut combattre. J’ai l’impression qu’on se situe à un point de pivotement. Et que le moment est venu d’en finir avec certaines idées fixes», explique Nora Koenig.
Aux crochets de l’Etat?
Pourtant, la survie au Luxembourg en tant qu’artiste reste très loin d’être évidente, même si les structures de financement et de soutien qui existent au Luxembourg – l’on peut déposer des dossiers auprès du Fonds culturel national (le Focuna), auprès du ministère de la Culture, auprès de l’Oeuvre de secours de la Grande-Duchesse Charlotte – sont souvent bien plus alléchantes que celles que l’on peut trouver à l’étranger. C’est ce qui nous confirma Georges Goerens, le chanteur de Seed To Tree, dans une interview récente, au cours de laquelle il nous confia que ses amis en provenance d’Allemagne éprouvaient bien plus de difficultés à s’assurer des soutiens financiers étatiques que ses collègues locaux.
Le problème, estimait le jeune homme avec une grande lucidité d’analyse, est que la qualité de vie telle que permettent de la soutenir des boulots classiques (le fonctionnariat en premier lieu) est telle que bon nombre d’artistes deviennent par défaut des amateurs – et exercent leur passion et leur talent à côté d’un travail rémunéré qui leur fait endosser le rôle quelque peu schizo de quelqu’un qui n’aime pas vraiment son travail premier, auquel il préfère son job, secondaire, d’artiste.
Alors, entre le cynisme d’un Michel Welter (den Atelier) qui avait eu l’affront de dire, lors des toutes premières Assises culturelles, que l’on se dirigeait de plus en plus vers une culture d’assistés, où des artistes médiocres parviennent à tenir la barre grâce à des subventions trop généreuses et accordées au premier venu, et les plaintes desdits artistes, qui constatent un manque de structures opératoires, l’on peut se demander où se situe le problème.
Si les affirmations d’un Michel Welter sont à analyser avec la précaution nécessaire – Serge Tonnar n’avait fait qu’une bouchée du jeune homme en lui disant que sans les artistes, la scène de l’Atelier serait bien vide –, surtout venant de la part de gens dont le salaire, précisément, est assuré, il n’en est pas moins qu’il faut trouver un équilibre entre subvention et autonomie artistique – car tous sont d’accord que personne ne gagne à avoir un artiste qui vit aux crochets du Luxembourg. De façon plus problématique, notre ministère de la Culture paraît investir plus dans le versant «Nation branding» que dans la fortification structurelle d’un secteur qui en aurait besoin – en témoignent les 1,2 millions versés dans le déménagement du pavillon luxembourgeois à l’intérieur de l’Arsenale. Xavier Bettel avait admis non sans fierté qu’il s’agissait de donner «une vitrine» vénitienne au grand-duché.
Vers une lente professionnalisation
L’un des enjeux majeurs est le suivant: le Luxembourg se situe à une étape intermédiaire, les productions artistiques étant, du fait d’une professionnalisation des acteurs culturels – nombreux sont ceux qui ont fait leurs preuves et, surtout, des études, à l’étranger alors qu’il y a peu de temps encore, surtout dans le milieu théâtral, comme nous l’explique Carole Lorang, présidente de la Theater Federatioun, les gens s’étonnaient qu’on puisse vouloir aller à l’étranger pour étudier … du théâtre? Il y aurait donc, d’un côté, un secteur qui fait ses preuves, où les artistes de qualité et de renom pullulent et, de l’autre côté, des structures surannées, qu’il est urgent de revoir pour les adapter à l’évolution du milieu culturel.
C’est pour cette raison que la Theater Federatioun, mercredi dernier, s’insurgeait contre le fait qu’il n’y a pas, à l’heure actuelle, de véritable politique culturelle et qu’en politique, les postes de la culture paraissent quantité négligeable. En amont des Assises culturelles donc, la fédération a fait connaître ses revendications qui, pris ensemble, indiquent très précisément les lacunes actuelles tout comme elles font part du peu de choses qu’il faudrait changer, structurellement, pour assurer que le milieu théâtral puisse poursuivre une professionnalisation qui est déjà en pleine progression. Énumérons, parmi ces revendications, les suivantes:
- Création de postes. Constatant que les petits théâtres (le TOL, le Centaure et le Kasemattentheater) ne bénéficient pas d’une aide spécifique pour assurer leur fonctionnement, que les directeurs de ces théâtres deviennent des femmes et hommes à tout faire (direction artistique, mise en scène, diffusion, négociation de contrats) et que le fardeau administratif est devenu de plus en plus difficile à porter, la fédération veut que ces petits théâtres bénéficient à l’avenir d’un poste administratif à temps plein. Puisque ces petits théâtres ont de véritables rôles formateurs – ils voient passer les jeunes talents d’aujourd’hui et de demain, qu’ils contribuent à former –, il est crucial qu’un tel poste soit créé afin de leur procurer du temps à investir autrement que dans des déboires administratifs. Cela facilitera aussi à de tels théâtres des tournées à l’étranger.
- Un régime fiscal plus adapté à l’artiste indépendant. Comme l’explique Peggy Wurth, il faut que des changements soient faits au niveau du régime fiscal des artistes indépendants, celui-ci évoluant dans une «indépendance de façade», dont découle un paradoxe assez vexant. Car si les relations qui le lient à une structure de production prennent la forme d’un rapport employé-salarié, c’est néanmoins l’artiste qui doit payer les charges patronales. Un artiste qui touche 2.000 euros peut immédiatement déduire de cette somme quelque 500 euros de charges sociales et patronales. Il est absurde qu’on déclare que l’intermittent du spectacle doit être assisté à cause de la fragilité de son statut économique si c’est pour le pénaliser en retour en lui faisant payer de telles charges – raison pour laquelle la Theater Federatioun préconise qu’on assiste les artistes dans le paiement de ces charges. Notons qu’une telle revendication pourrait bénéficier à l’ensemble des artistes du pays. Par ailleurs, comme la TVA à payer sur les prestations artistiques est de 17% – alors que, dans des pays comme la France, elle peut avoisiner les 2% – une belle part de l’argent disponible est immédiatement perdue. Là encore, cette TVA devrait être revue à la baisse – au vu des budgets, cela ne pénaliserait qu’assez peu l’Etat luxembourgeois.
- Création d’un bureau d’information et d’un poste de médiateur culturel. Constatant encore que ni les directeurs artistiques ni les artistes intermittents ne disposent normalement de connaissances juridiques développées, il paraît important qu’un bureau d’information et de ressources juridiques soit créé. Par ailleurs, si la plateforme Kulturama, où les artistes peuvent désormais créer un profil afin d’augmenter leurs chances d’être invités dans des écoles, constitue un énorme pas dans la consolidation entre la culture et l’éducation, la Theater Federatioun propose, comme cela est souvent le cas en France, de revaloriser les moyens financiers qui permettent aux théâtres municipaux et aux centres culturels d’embaucher un médiateur culturel permanent, qui promeuve la culture.
- Procurer du temps et de l’espace. Enfin, il est de prime importance de procurer plus de temps aux artistes, dont on néglige souvent le temps investi dans la recherche, dans le montage d’un dossier, dans la recherche de producteurs. Du début à la fin, de la conception à la production à la diffusion, un projet a souvent besoin de plus d’un an. Pour donner plus de temps aux artistes, la Theater Federatioun plaide tout d’abord pour la mise en place d’aides à projets pluriannuels, mais aussi et avant tout pour un soutien accru aux résidences artistiques. Puisque celles-ci font encore largement défaut au Luxembourg, il faudrait créer un «dispositif de soutien incitatif», qui permettrait aux lieux culturels d’accueillir des artistes sans attendu de production. Car la création n’est que le versant visible de tout un processus artistique dont bien des étapes, qui prennent pas mal de temps, restent invisibles – et qu’on oublie.
Des déséquilibres flagrants
Il y a aussi pas mal de différences entre les différents secteurs, différences dont il faut tenir compte et qui expliquent aussi pourquoi le secteur de la musique, par exemple, bénéficie déjà d’un bureau d’export alors que la plupart des autres n’en disposent pas. C’est là quelque chose à quoi le plan de développement culturel va définitivement remédier avec la création d’un Luxembourg Arts Council. Mais, comme l’indique le communiqué de presse de la Theater Federatioun, même à l’intérieur d’un seul et même secteur, des différences structurelles peuvent exister. Ainsi, comme l’indique le communiqué de presse, «si le Trois C-L – Centre de création chorégraphique luxembourgeois représente une structure idéale de soutien à la création chorégraphique émergente, dans la mesure où il propose – en complément d’aide à la création – un accompagnement artistique ainsi qu’une mise à disposition d’expertises juridiques, financières et de diffusion, éléments indispensables à l’artiste émergent, une telle structure n’existe pas encore dans le champ théâtral.»
Pour Carole Lorang, de tels décalages sont dus au fait que chaque discipline, historiquement, a connu des évolutions différentes – le théâtre, par exemple, a pris un lent cheminement de l’amateurat vers une semi-professionnalisation. L’on peut aussi penser que, à la suite d’un manque de cohésion dans la politique culturelle, ce fut le secteur le mieux organisé ou celui qui clama le plus haut et fort ses besoins à susciter une réaction pécuniaire de la part du ministère.
Qui plus est, tous les secteurs ne sont pas autoorganisés de la même façon: si le milieu littéraire n’a plus de LSV (l’équivalent de l’Aspro), il lui reste la Fédération des éditeurs, qui est en train de se restructurer afin de s’organiser à la façon de la Theater Federatioun. Ian De Toffoli, qui en fait partie, admet que les choses n’en sont toutefois pas encore là. Il garde cependant bon espoir que le plan culturel, outre le changement concernant le régime fiscal des artistes indépendants, aboutira à la création d’une structure qui favorisera l’export de notre culture et accroîtra les possibilités de développement pour les artistes (notamment à travers des résidences). «Il y a peu de temps, Ulrike Ostermeyer, qui travaille pour un bureau d’expertise en matières littéraires et éditoriales, vint au Luxembourg pour s’entretenir avec les éditeurs du pays. Elle constata à quel point nous manque toute expérience au niveau international. Si nous nous débrouillons sur un plan local, il nous faudra apprendre, pour franchir le pas vers une véritable professionnalisation (et donc une visibilité sur le marché international), comment faire partie des réseaux de distribution, comment vendre des licences, comment promouvoir des traductions, comment réussir à ce que des agents s’intéressent à nos auteurs. Il ne suffit pourtant pas de créer simplement de nouvelles structures administratives pour que la professionnalisation s’ensuive – encore faut-il des gens qui disposent de temps pour travailler dans le milieu. Pour voyager, créer des réseaux, faire connaître notre littérature. Si cela implique de créer un poste, eh bien, il faudra que le ministère de la Culture s’en charge», estime De Toffoli.
Le défi est de taille – si chaque secteur a d’autres besoins et si la création de structures ne suffira pas si nous ne nous donnons pas les moyens (humains et économiques) pour les exploiter, il n’en reste pas moins que la passion et l’envie de changer des choses traverse unanimement le milieu culturel du pays. Ministère, la balle est dans ton camp.
Es gibt die Kultur auch im Kleinen, in den Dörfern quer durchs Land. Der Cube in Marnach ist eine solche Stätte. Es müssen nicht immer unbedingt grosse, kostspielige Kulturtempel sein in denen die Kunst zelebriert wird. In dieser Hinsicht, taucht unweigerlich das Bild vom aufgeblasenen Frosch auf. Wir brauchen uns nicht zu verstecken, ein bisschen mehr Bescheidenheit würde jedoch nicht schaden. Also lassen wir bitte die Kirche im Dorf. Es gibt Wichtigeres!
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Mit besten Grüßen
Hier sieht man dann wieder das die Kulturdiskussion nicht öffentlich zugänglich ist. Dieser Artikel ist nur für Premiummembers einsehbar....