Headlines

ThéâtreDismantle capitalism, overthrow the patriarchy: „The Writer“ d’Ella Hickson dans une mise en scène de Claire Thill

Théâtre / Dismantle capitalism, overthrow the patriarchy: „The Writer“ d’Ella Hickson dans une mise en scène de Claire Thill
Déconstruire les vieilles formes usées et patriarcales du théâtre narratif … (C) Jeannine Unsen Photography | studionine

Jetzt weiterlesen! !

Für 0.99 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

„Démanteler le capitalisme, renverser le patriarcat“ – c’est à rien de moins que cela que devrait servir le théâtre contemporain, selon l’autrice au centre de la pièce d’Ella Hickson. Parce que les choses sont moins évidentes et moins binaires, Ella Hickson fragmente et met en abyme „The Writer“ pour en faire une recherche de formes de jeu nouvelles – formes qui se frottent constamment aux vieux codes dominants, incarnés par des mâles peu prêts à laisser la moindre parcelle de leur terrain de jeu.

Ça commence à la fin d’une représentation, alors que les lumières se sont rallumées. Une jeune femme (Jenny Beacraft) s’apprête à quitter la salle quand un homme (Daron Yates) l’interpelle. Il veut savoir ce qu’elle a pensé de la pièce, elle prétend qu’elle a un métro à prendre, puis se résigne à entrer dans le jeu du type, à qui elle balance qu’elle a bien vu que le metteur en scène avait rajouté une scène de viol qui ne figurait pas dans le texte, que les personnages féminins, dans la pièce, portaient tous des accoutrements sexy sans aucune justification ni sémantique ni esthétique et qu’en général, cette sorte de théâtre était aux antipodes de la manière dont elle le voyait, le théâtre, qui devrait „démanteler le capitalisme et renverser le patriarcat“ plutôt que de contribuer au système en vigueur, de le renforcer même en confirmant aux spectateurs et spectatrices que la vision du monde tel qu’ils le connaissent se perpétue sans fin et un peu partout, avec l’homme blanc du côté des oppresseurs et la femme dans le camp de l’opprimée.

L’homme, qui voit cela comme un jeu, se montre enthousiaste et lui propose de produire une pièce dans son théâtre – car c’est à la mode, ces femmes en colère, n’est-ce pas, c’est un petit renouveau, un souffle d’air frais au milieu de ces haleines putrides d’hommes vaniteux. Alors que leur conversation se poursuit, l’on constate que les deux se sont déjà rencontrés – lui ne s’en souvient évidemment pas, qui l’avait traînée dans un pub, encouragée puis engagée pour écrire une pièce (l’histoire de la domination mâle se répète) avant d’essayer de l’embrasser, puis de la baiser.

Lui s’en souvient tout d’un coup – tu les portais différemment, tes cheveux, s’explique-t-il son oubli – comme d’une anecdote plaisante, ne comprend vraiment pas pourquoi elle n’a pas saisi l’offre. Et elle de lui asséner: parce que vous, les hommes, quand on vous engage pour un tel job, vous ne vous posez jamais la question, après, si on vous a demandé d’écrire un texte parce que vous avez du talent ou qu’on estimait simplement que vous êtes „fuckable“ (un terme-leitmotiv qui reviendra par ailleurs quasiment toutes les cinq minutes au cours de la pièce).

Plutôt que de continuer dans cette veine pamphlétaire, avec des dialogues comme un coup de poing, sorte de dégueulis verbal un peu évident, parfois, dans sa distribution axiologique (Daron Yates est sublimement con, dans ces rôles mâles, mais aussi un peu manichéen), „The Writer“ se mue alors en pièce métathéâtrale: la scène est interrompue, l’on apprend qu’il s’agissait de répétitions ouvertes et une âpre négociation s’entame entre l’autrice – incarnée ici, pour brouiller encore plus les pistes, par la metteure en scène Claire Thill – et le metteur en scène (Philip Alfons Heitmann) au cours d’une séance de question-réponse où l’on constate encore à quel point les hommes, sans même s’en rendre compte, jouent toutes les cartes de leur pouvoir – „mansplaining“, temps de parole qu’ils s’octroient lors d’un débat de loin supérieur à celui accordé aux femmes, et j’en passe.

Jusqu’à ce qu’une jeune actrice noire (Céline Camara), installée dans la salle, au milieu du public, leur demande du tac au tac pourquoi, alors que l’actrice principale est blanche, l’affiche de la pièce représente une femme noire, faisant enfin taire le vaniteux metteur en scène, qui doit se faire expliquer ce qu’est que le „tokenism“ – car évidemment, toute cette nouvelle terminologie le dépasse, puisque non seulement elle ne le concerne pas, mais qu’en outre, elle cherche à dénoncer, voire à mettre fin à ses privilèges à lui.

À partir de là, „The Writer“, au lieu de se contenter d’un simple va-et-vient entre pièce et commentaire de pièce, se fragmente et enchaîne les muées, Ella Hickson – et Claire Thill avec elle – déjouant les codes patriarcaux inhérents au théâtre, multipliant de nouvelles façons d’écrire et de vivre le théâtre en faisant fi des structures narratives qui garantissent des succès commerciaux – car ces codes narratifs sont intimement liés à une vision patriarcale, néolibérale, du monde – mais qui dévoient l’essence de l’écriture en ce qu’elle est censée exprimer de vrai.

Trouver des formes nouvelles

… pour proposer un langage théâtral nouveau
… pour proposer un langage théâtral nouveau (C) Jeannine Unsen Photography | studionine

Ainsi, l’autrice, à un moment, évoque une scène textuellement forte, mais qui, une fois représentée, parce qu’elle implique de l’eau et une femme revêtue d’un t-shirt blanc, perd de sa force à cause du „male gaze“ omniprésent dans le public là où l’écriture a l’avantage de se passer de l’immédiateté du regard – quand on lit et on écrit un texte, on tâte dans le noir, et notre regard reste toujours tourné vers l’intérieur de nos fantasmes personnels.

Les trois micro-pièces qui s’enchaînent seront autant de déclinaisons de l’analyse des lignes de force masculines qui traversent le monde théâtral et ses représentations genrées+: lors de la première, une autrice rechigne à signer le contrat d’adaptation filmique de son œuvre alors que son petit ami, gentil et naïf, ne comprend pas ce qui la retient d’empocher les 40.000 livres.

Lors de la deuxième, une chorégraphie sensuelle, imaginée par Sayoko Onishi et accompagnée par la musique de Damiano Picci et l’artiste vidéo Anne Braun, montre une scène de séduction entre deux femmes, interrompue à nouveau par le metteur en scène cynique qui dira à l’autrice (Claire Thill) qu’elle finira bien par revenir à quelque chose de plus conventionnel, avec un personnage mâle et un arc narratif propre – car tout ce courant féministe finirait par tarir et ce que tout auteur craint le plus, c’est l’insignifiance … – cynisme qu’il affiche avec légèreté avant de lui enjoindre de la finir, cette pièce, mais de la finir comme il faut.

Ce que l’autrice refusera de faire, finissant sur une scène de soap-opéra déconstruit, un peu comme du „Twin Peaks“ en plus queer, avec deux amantes qui décident de recourir, pour faire l’amour, à des „prosthetics“ (bref, un gode), tout cela sous le regard aussi muet qu’inquiétant d’un voyeur mâle en bord de tableau.

Dans la scénographie ingénieuse de Marie-Luce Theis, qui nous fait constamment voir l’envers du décor, Claire Thill enchaîne les métalepses et brouille les pistes ontologiques dans une pièce certes pamphlétaire, mais qui parvient à enrober cet aspect de suffisamment de couches de fiction et de mises en abyme pour éviter de trop verser dans un manichéisme ostentatoire. Servi par un sens du dialogue précis et convaincant, des acteurs convaincants – si Claire Thill déteint quelque peu par rapport au trio d’acteurs britanniques, l’on comprend pourtant que son implication était nécessaire – et une mise en scène inventive quoique par moments un peu brouillonne, „The Writer“ réussit à éviter à la fois les écueils de la pièce en pièces postmoderne et de l’œuvre trop ostentatoirement pamphlétaire.

Dernières représentations: aujourd’hui, demain et samedi au Théâtre des Capucins à 20.00 heures