„Blind Willow, Sleeping Woman“, énième adaptation de l’œuvre de Haruki Murakami après „Burning“ ou encore „Drive My Car“, premier long-métrage du musicien Pierre Földes et unique film d’animation de la compétition, condense plusieurs nouvelles de Murakami pour raconter l’histoire de personnages pris dans le quotidien plus ou moins morose d’une entreprise financière tokyote et dont le quotidien changera après un tremblement de terre – alors que l’un traversera une séparation douloureuse doublée d’un licenciement angoissant, un autre se verra proposer de devenir le side-kick d’une grenouille qui, comme dans „Suzume“, long-métrage d’animation projeté en compétition à la Berlinale, doit affronter un terrible ver de terre potentiellement responsable de tremblements de terre futurs encore plus dévastateurs que celui que les personnages viennent déjà de subir.
Alors que les dernières adaptations de Murakami furent souvent solidement ancrées dans un naturalisme qui certes leur seyait bien, Földes est l’un des premiers à arriver à capturer le côté merveilleux de l’auteur japonais, grâce au recours au film d’animation, mais aussi grâce à une poésie narrative qui en fait un film touchant, qui réussit habilement à tresser puis à réunir ses divers fils narratifs.
„Maret“, deuxième long-métrage de Laura Schroeder après „Barrage“, présenté dans la sélection Forum de la Berlinale, raconte comment son personnage éponyme, une artiste reconvertie dans le monde de la publicité, perd tout d’un coup sa mémoire.
Alors que plusieurs critiques luxembourgeois·e·s n’ont pas manqué de relever que le film n’avait pas été programmé à la Berlinale, en faisant presque son écueil principal – comme si c’était là l’argument par excellence pour l’enfoncer – et qu’un de ces critiques n’a visiblement pas compris le film ou, tout du moins, les raisons pour lesquelles „Maret“ ne demande pas simplement à ses parents ou amis ce qui s’est passé dans son passé. Il est pourtant on ne peut plus clair que le personnage entretient des relations ambiguës avec ses parents et qu’il n’est même plus certain, passé un certain moment, qu’elle veuille vraiment savoir qui elle était. Cette même presse luxembourgeoise, qui visiblement se lit, s’imite et se met d’accord pour symboliquement lyncher un film pourtant intéressant pour des raisons qu’on n’a même pas envie de décortiquer, n’a pas vu que „Maret“ est une proposition festivalière intelligente, un peu longue, certes, où des questionnements éthiques sont enchâssés dans un film formellement maîtrisé, un film qui ose mettre dans son centre un personnage torturé, antipathique, dans des scènes parfois dérangeantes, souvent captivantes, Schroeder pratiquant précisément un cinéma postmoderne dont le Luxembourg, malheureusement, n’a pas l’habitude.
Autre film dont le personnage principal est peu loquace, „The Quiet Girl“ est adapté de „Foster“, de Claire Keegan – et le film de Colm Beiréad est à l’image de ce à quoi on est en droit de s’attendre quand on connaît le style sobre, minimaliste et poignant de l’autrice.
Couronné par le prix du public et en lice pour l’Oscar du meilleur long-métrage étranger, le film de Beiréad met au centre de son récit minimaliste une jeune fille dont les parents, démunis et indifférents, l’envoient vivre chez des parents éloignés, le temps que la mère accouche d’une nouvelle bouche à nourrir, ce dont le père, agressif et alcoolique, ne cesse de se plaindre.
Alors qu’elle passe son quotidien chez ce couple sans enfant, elle découvre une tragédie intime indicible – et un amour familial dont elle se doute, bien que son foyer familial le lui refusera à jamais. Raconté dans un dénuement impressionnant, „The Quiet Girl“ peut paraître formellement classique, aussi timide que son personnage principal – cela n’en fait pas moins un petit joyau dont le coup d’éclat émotionnel est, à cause de sa façade formelle, à retardement.
„Leonor Will Never Die“, la belle contribution philippine de Martika Ramirez Escobar, est une bouffée d’air frais dans un festival dont la compétition fut en général assez sombre – ce récit autour d’une mère vieillissante et démunie qui, retrouvant un vieux manuscrit du temps où elle écrivait encore des films d’action, s’immerge dans son vieux scénario jusqu’à ce qu’un téléviseur lui tombe sur la tête et la plonge à la fois dans un coma et dans le monde fictionnel de son film, est non seulement un plaisir pour tout narratologue qui se respecte – on pourrait écrire de longues pages sur l’utilisation, dans ce film, de la métalepse, cette figure de style qui consiste, entre autres, à voir des personnages passer d’un niveau ontologique à l’autre et donc à entrer dans un film ou à en sortir –, mais aussi un long-métrage touchant sur le deuil et la consolation illusoire que peut fournir la fiction.
Du burlesque au tragique
Deuxième métafilm de la compétition, „World War III“ de Houman Seyyedi, couronné par le Prix du jury jeune et le Prix international de la critique FIPRESCI (dont l’auteur de ces lignes fut partie), se situe cependant aux antipodes de „Leonor Will Never Die“.
Un homme sans le sou, qui a perdu sa femme et son enfant dans un tremblement de terre, cherche et trouve du boulot sur un chantier – lui incombe de construire un décor de film pour un long-métrage au centre duquel figurent les chambres à gaz et la maison du Führer.
Au départ, on lui propose de dormir dans lesdites chambres à gaz, mais, parce que l’acteur incarnant Hitler est soudainement indisponible, on lui propose de jouer le Führer, le délogeant pour l’occasion dans la maison du plus affreux des génocidaires. Shakib, amoureux d’une prostituée sourde-muette, lui montre sa nouvelle demeure sans préciser qu’il s’agit d’une maison en toc – et son amante de venir le rejoindre, croyant trouver en la demeure factice de Hitler un nouveau foyer.
Recourant à la métafiction pour parler du deuil, de la mort et de la perte, critiquant l’exploitation des crimes de la shoah par une industrie cinématographique dénuée de scrupules, faisant le portrait juste d’un personnage qui fait l’expérience amère d’une tragédie qui se répète, donnant une voix à ceux qui en sont dénués – les figurants et les anonymes, tous ceux que la société néolibérale considère insignifiants –, „World War III“ est une nouvelle preuve, après l’excellent „Leila’s Brothers“ de Saeed Roustayi, de la vitalité d’un cinéma iranien politique, critique, qui joue sur les formes et les genres.
Parlant de films sombres: dans „Autobiography“ de Makbul Moubarak, on a l’impression que le jour ne se lève jamais. Le film raconte l’histoire d’un jeune homme dont le père se retrouve en prison et qui, parce que leurs familles ont toujours travaillé ensemble, devient l’homme de main d’un général sans scrupules qui cherche par tous les moyens à gagner aux prochaines élections.
Terrible fable sur le pouvoir et la dictature, percutante allégorie sur la soumission et ses conséquences, „Autobiography“ souffre quelque peu d’un rythme lent, aux antipodes des enjeux de la narration, qui fait parfois perdre de vue l’urgence de son propos et sa construction narrative pourtant très intelligente.
Alors que les contributions sudaméricaines font désormais partie intégrante du festival, cette compétition en comporta trois, que nous n’évoquerons que brièvement, non pas qu’elle nous eussent déplu, mais simplement parce qu’on en a déjà parlé ici en longueur.
Alors que „1976“ de Manuela Martelli évoque les crimes de Pinochet dans un récit à la fois elliptique et touchant, où une femme retraitée est confrontée à des choix éthiques difficiles, „Kings of the World“ de Laura Mora, couronné par le 2030 Award by Luxembourg Aid & Development, raconte l’histoire d’une bande de jeunes qui quittent l’enfer urbain pour rejoindre, dans un beau et terrible road movie, un Eldorado improbable, leur parcours étant jalonné de rencontres étranges, de rivalités qui éclatent, mais aussi du constat que la Colombie rurale n’est pas plus accueillante que la jungle de la ville.
„I Have Electric Dreams“, enfin, retrace le quotidien d’une jeune fille dont les parents divorcent et qui, censée vivre chez sa mère, passe pourtant son quotidien avec son père, poète sauvage, écorché vif dont le train de vie hédoniste ne tardera pas à marquer sa fille qui l’accompagne dans la recherche d’un appartement.
Couronné par le Grand Prix – By Orange d’un jury international constitué d’Asghar Farhadi, Nadav Lapid, Agathe Roussel, Marie Jung et Niels Schneider, le long-métrage de Valentina Maurel convainc par sa façon nuancée de mettre en scène une relation toxique et touchante à la fois, où, comme dans les autres contributions sudaméricaines, le politique et le social imbibent et imprègnent la vie intime des personnages.
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