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LuxFilmFestAssassine ton porc: „Mon crime“ de François Ozon, le film d’ouverture

LuxFilmFest / Assassine ton porc: „Mon crime“ de François Ozon, le film d’ouverture
Nadia Tereszkiewicz, qui a récemment reçu le César du Meilleur espoir féminin, joue le rôle de Madeleine Verdier, une jeune actrice accusée d’un crime qu’elle n’a pas commis (C) September Films

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En guise de film d’ouverture, le LuxFilmFest a choisi une comédie légère au message féministe, qui s’inscrit dans la lignée de „Promising Young Women“. De ce film d’ouverture de l’édition 2020, il reprend l’idée d’un récit de revanche féminine tout en la plongeant dans un long-métrage moins sombre, dont on retiendra surtout des performances d’acteurs et d’actrices qui s’en donnent à cœur joie.

Madeleine Verdier (Nadia Tereszkiewicz), jeune actrice dont chacun souligne à longueur de journée le peu de talent, vit assez pauvrement en colloc avec Pauline Mauléon (Rebecca Marder), une jeune avocate toute aussi démunie. Les deux femmes peinant à payer leur loyer, leur proprio passe régulièrement leur dire qu’il les met à la rue. Un (pas si) beau jour, elle rentre à l’appart, sous le choc: elle vient de passer un entretien avec un producteur graveleux qui a essayé de lui vendre un rôle de soubrette en lui offrant une somme assez importante, en récompense de quoi elle accepterait de lui payer des visites dans sa résidence secondaire.

Face à son refus, l’homme s’emporte, qu’elle est obligée de mordre afin de bien lui faire comprendre qu’elle ne deviendra pas son jouet sexuel. Digérant les événements, éconduisant ensuite son amoureux, qui lui annonce vouloir se marier avec une laideronne pour sauver l’empire de son père qui périclite, et pour leur épargner la misère, elle se retrouvera vite face à un flic lui annonçant la mort du producteur véreux tout en cherchant à lui faire porter le chapeau. Après tout, elle était la dernière à avoir vu vivante la victime et en ces temps – l’action du film se situe en 1935 –, les homicides perpétués par des femmes commencent à faire peur aux hommes si habitués à ce que ce soient les féminicides qui fassent les unes des journaux.

Madeleine étant la victime idéale – elle est jeune, pauvre et, surtout, elle est femme –, il sera de peu d’importance que les choses coincent un peu, côté reconstitution du crime: ainsi, le motif du meurtre serait le vol d’argent, puisque Madeleine était pauvre. Or, cet argent n’a jamais été retrouvé chez elle. La reconstitution du crime par des enquêteurs tenaces dans leur volonté de faire coïncider la réalité avec leurs fantasmes misogynes, se fera alors au pluriel et en noir et blanc, le juge d’instruction multipliant les hypothèses farfelues, permettant à Ozon de pasticher les films muets de l’époque à force d’analepses hyperboliques avec une délectation partagée par le public.

Devant l’injustice criante de l’accusation, Madeleine recourra au soutien de sa meilleure amie Pauline, les deux amies échafaudant un plan aussi ingénieux que simple: face à l’adversité, plutôt que de se rétracter, elle assumera, elle revendiquera fièrement ce crime en le faisant sien, en le transformant en parangon de la lutte féminine contre la violence masculine. (C’est un procédé similaire à celui qui fut à l’œuvre quand la communauté gay s’appropria le terme queer, à l’origine une insulte, pour le vider de son contenu injurieux, comme l’explique Judith Butler.) Qu’elle ne l’ait jamais commis, ce crime, devient un détail bien futile.

„Promising Young Killers“

Si le film fait écho à „Promising Young Women“, fabuleux film d’ouverture féministe de la maudite édition 2020 du LuxFilmFest, le ton du nouvel Ozon, adapté librement d’une pièce de théâtre, est bien moins virulent, où le massacre des porcs façon Weinstein se fait dans la joie et la bonne humeur et où la sororité, à peine teintée par des rivalités et un amour homosexuel à sens unique, devient l’expression de la déconstruction des codes d’une société on ne peut plus patriarcale: alors que le droit de vote aux femmes est déjà une réalité en Allemagne, des journalistes français s’inquiètent des corrélations éventuelles entre cette extension du droit de vote et l’élection de Hitler.

Évidemment, toutes ces maniganceries se font à coups de ficelles narratives tellement grossières qu’elles s’appuient parfois sur de lourds clins d’œil en direction des personnes visées … – évidemment, tout ça n’est pas sérieux, ce qui donne aux acteurs l’occasion de s’en donner à cœur joie. Au-delà du convaincant duo Tereszkiewicz-Marder, ce sont les rôles secondaires qui convainquent: tenus, outre une Isabelle Huppert qui, à peine qu’on a apprécié son jeu en tant que syndicaliste dans le film éponyme de Jean-Pierre Salomé, se métamorphose ici en starlette vieillissante du film muet, par une ribambelle de comédiens masculins qui se plaisent à jouer de parfaits imbéciles – que ce soit Fabrice Lucchini en juge d’instruction aussi incompétent que stupide, Dany Boon en mielleux architecte marseillais ou encore André Dussollier en tant que magnat du pneu au bord de la faillite –, les personnages masculins en prennent tous pour leur grade.

Pour tous ceux qui s’étaient habitués au rythme des films de Woody Allen et qui déplorent secrètement qu’on n’en voie plus dans les salles, François Ozon est, de façon presque ironique au vu du sujet dont traite le film, en quelque sorte là pour le remplacer. Non seulement il imite son rythme stakhanoviste d’un film annuel – son dernier, „Peter von Kant“, avait ouvert la Berlinale 2022, celui d’avant, le peu réussi „Tout s’est bien passé“, était en compétition à Cannes en 2021 –, mais après le déjà très allenesque „Tout s’est bien passé“, il reprend des pastiches génériques auquel le réalisateur new-yorkais nous avait habitués, en y adjoignant toutefois des sujets bien à lui et en accentuant une dimension méta- et autoréférentielle. Alors que son précédent „Peter von Kant“ était une réécriture libre de „Die bitteren Tränen der Petra von Kant“ de Fassbinder, on propose ici à Madeleine de jouer dans une production qui s’appellerait „Les larmes amères de Marie-Antoinette“, qui, sans ajouter beaucoup de profondeur au film, continue formellement son espièglerie ludique.

Bref, si ça ne va pas très loin et qu’on pourrait reprocher à Ozon de traiter un sujet grave – la misogynie du système judiciaire et les harcèlements sexuels dans l’industrie cinématographique – sans grande profondeur, cette comédie screw-ball assume à fond sa légèreté tout en racontant une histoire de revanche féministe loin de tout misérabilisme. En guise d’amuse-bouche d’un festival qui s’annonce politique, il y a pire.

Et les discours ?

Pas d’ouverture du festival sans les sempiternels discours qui, cette année-ci, se déroulèrent sans accrocs – Sam Tanson („déi gréng“) fut d’ailleurs la seule à revenir sur le regrettable choix, l’an dernier, de retirer de la programmation les productions russes, choix dont elle admit à demi-mot qu’il fut quelque peu malheureux – et en présence du Grand-Duc.

Si la bourgmestre Lydie Polfer rappela la triste nouvelle du décès d’Anise Koltz et si Sam Tanson évoqua un projet franco-germano-luxembourgeois de soutien de films ukrainiens dans un contexte où toutes les finances du pays vont aux efforts de guerre, de sorte qu’il ne reste plus rien pour la culture, tous soulignèrent une treizième édition qui va encore plus loin, avec pas moins de trois (co-)productions luxembourgeoises en compétition, une explosion du nombre de court-métrages locaux ayant forcé les organisateurs à en faire deux soirées distinctes ou encore une participation encore plus élevée des jeunes, avec 6.000 élèves motivés pour participer à des projections.

Bref, tout cela pour dire, comme le fit Lydie Polfer, que pour une fois, le chiffre treize devrait, croisons les doigts, porter bonheur.