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Passion livres Dans „Vers la violence“, Blandine Rinkel raconte une enfance amputée de douceur

Passion livres  / Dans „Vers la violence“, Blandine Rinkel raconte une enfance amputée de douceur
Blandine Rinkel Photo: Richard Dumas

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Dans un „western familial“ plein de tension et d’ambivalence, l’autrice de „L’Abandon des prétentions“ (Fayard, 2017), dans lequel elle mettait en scène le doux personnage d’une mère proche de la sienne, explore cette fois la monstruosité d’un père, à la fois tyrannique et fascinant. Dans les yeux de Lou, la jeune narratrice livrée à l’appétit dévorant de Gérard, l’amour se confond longtemps avec la peur. Jusqu’à une tardive libération.

Dans un „western familial“ plein de tension et d’ambivalence, l’autrice de « L’Abandon des prétentions » (Fayard, 2017), dans lequel elle mettait en scène le doux personnage d’une mère proche de la sienne, explore cette fois la monstruosité d’un père, à la fois tyrannique et fascinant. Dans les yeux de Lou, la jeune narratrice livrée à l’appétit dévorant de Gérard, l’amour se confond longtemps avec la peur. Jusqu’à une tardive libération.

Un homme fantasque, excessif, mythomane, porté par une énergie débordante, adepte de la confrontation et de la manière forte. Tel est le portrait que Blandine Rinkel dresse de Gérard – son prénom, toujours, plutôt que „père“ ou „papa“. Une manière de mettre à distance celui qui, des années plus tard, continue de s’immiscer dans l’esprit et les sentiments de la jeune fille devenue jeune femme.

Dès les premières pages de „Vers la violence“, le malaise surgit, on saisit que la relation père-fille suit, comme le titre l’indique, une direction inquiétante. Lou a 6 ans et les jeux auxquels elle est initiée, en principe anodins, sont déjà sous-tendus par une menace que Blandine Rinkel parvient à faire courir tout au long du roman avec beaucoup de maîtrise et de finesse. L’autrice est toujours dans la nuance, la narratrice constamment tiraillée entre l’amour et la haine pour un père qui, plutôt que l’éduquer, cherche avant toute chose à l’endurcir. Mission à la fois effroyable et réussie: „Plus tard, je ne craindrai pas qu’on m’abaisse et j’excellerai à toutes les activités reposant sur un impératif de concentration. Plus tard, on dira de moi que je suis une terrible pince-sans-rire, une joueuse de poker spartiate et une infatigable travailleuse. Adulte, je tirerai de ces jeux d’enfant ma fièvre et mon parti, mais pour le moment, le premier de nous deux aura une tapette, alors j’essaye de ne pas être celle qui rira: je fixe Gérard avec toute l’intensité dont une fillette de 6 ans est capable et, en secret, oui en un terrible secret, je souhaite sa perte.“

Gérard est un policier. Là encore, aucune caricature. Un homme complexe, qui aime son métier, tout au moins le récit qu’il en fait, sans doute moins sa condition. Alors est-il vraiment ce flic de base ou plutôt ce prétendu agent secret qui parcourt le monde plus sûrement que les rues de sa ville pour lutter contre le crime? Difficile à dire, même longtemps après. Car „de cet homme dans l’homme, les seules traces dont je dispose“, confie Lou en cherchant à retracer le fil de sa propre histoire, „sont ses mensonges“. Des souvenirs d’invention et d’affabulation à la fois beaux et troublants, séduisants et inquiétants. A l’image de cet homme qui joue avec les forces et les fragilités de l’enfant, imposant la marque de l’emprise qu’il tente d’exercer sur sa fille comme sur sa femme. En jouant ou en hurlant, en inventant ou en contraignant. Partout, chez lui, dans son corps et ses volte-face, la violence est en germe. Violence des sentiments, violence des silences et des fantômes d’une autre vie, engloutie celle-là aussi. Mystère.

Comment percer l’enchantement de cet homme, de ce „sorcier de l’univers“, ainsi qu’il se fait passer aux yeux de sa fille? Qu’y a-t-il et qui y a-t-il derrière le délire d’histoires à dormir debout – ou plutôt d’histoires à ne plus dormir du tout – que Gérard ne cesse d’inventer pour Lou, à tous moments et en toutes circonstances? Quelle est la nature de ce „pacte d’imaginaires“ qui les rapproche et noue entre eux la promesse d’un espace-temps insensé qu’ils sont seuls à partager?

Blandine Rinkel<br />
„Vers la violence“<br />
Fayard, 2022<br />
376 p., 20 euros
Blandine Rinkel
„Vers la violence“
Fayard, 2022
376 p., 20 euros

Blandine Rinkel montre un personnage de Gérard prêt à toutes les inventions et à tous les dénis pour se protéger d’une insupportable réalité. Il s’agit surtout pour lui de ne pas reconnaître ses propres failles et d’entraîner sa fille, avec lui, „Vers la violence“. Un véritable „dressage“ dispensé par Gérard pour faire de Lou un „robuste guerrier“: „Très jeune, il me conseilla d’apprendre à me battre. Voulut m’inscrire à des clubs de judo, de karaté ou de boxe. M’initia à sa collection de petits soldats. M’apprit à nager à 2 ans. Plus tard, il m’incitait à manger de la viande de cheval comme une grande et m’encouragerait à mépriser celles de mes copines qui, par amour des animaux, s’en offusquaient. La guerre ne devait pas me faire peur. La douleur ne devait jamais être un obstacle.“

A cause de ce régime – alimentaire et paternel –, l’enfance est amputée de sa part d’innocence et de douceur. Le cheval mettra bien longtemps avant de devenir, pour Lou, autre chose qu’un steak sanguinolent partagé le mercredi avec son père. Un très long cheminement nécessaire à la jeune femme pour se démettre plutôt que se soumettre.

„Vers la violence“, c’est l’histoire douloureuse et joyeuse de ce dévoilement, que Blandine Rinkel, chanteuse et danseuse, membre inspirée du groupe Catastrophe, parvient à raconter dans un souffle. Au bout du chemin de Lou, la victoire déchirante et lumineuse de celle qui parvient à percevoir un père tel qu’il est, et non plus comme il se donne à voir. „Vers la violence“, malgré son titre, n’est pas une impasse. Même si la complexité se cache aussi au cœur de ce combat gagné par KO peu avant le retentissement du gong. Le père, expert en égoïsme et en cruauté, aura lui-même armé sa fille pour qu’elle parvienne à le combattre. Que la revanche est juste, que la revanche est amère.

Laurent Bonzon