On se rappelle encore les deux concerts, l’un plus saisissant que l’autre, que donna le génial Nils Frahm à la Philharmonie, en 2018 et en 2019, un an avant que la musique live ne soit mise en sourdine, avec des répercussions assez désastreuses pour l’industrie, en mal d’argent, les musiciens et musiciennes, en mal d’engagements (et, conséquemment, d’argent) et les spectateurs, en mal de ces sensations que seul un concert en live peut procurer, ce dont Frahm avait témoigné en octobre 2019, quelques mois à peine avant que les salles de concert ne ferment boutique pendant une période bien trop prolongée.
Sorte pendant islandais de Frahm, avec qui il partage maints traits stylistiques – les deux ont d’ailleurs déjà collaboré –, à commencer par leur amour commun pour des compositions minimalistes touchantes et leur passion pour cet entrelacs de sons organiques et de pulsations électroniques qui, dans la Philharmonie, se disséminaient sous les voûtes de la salle en transformant les corps des spectateurs en corps de résonance d’une musique sensible et intense, Ólafur Arnalds était attendu, qui commençait son set avec „Loom“, l’incipit de son récent „Some Kind of Peace“, un album oscillant entre des compositions électroniques apaisées, maîtrisées et envoûtantes et des morceaux plus organiques, où le piano et les instruments à cordes prennent le dessus.
Chez Arnalds, l’espace scénique, de toute beauté, est moins sombre, moins solitaire que chez Frahm: là où ce dernier se démenait seul au milieu d’instruments et de machines organiques comme une sorte de sorcier manipulant touches et pédales, s’acharnant sur tel bouton de sa table de mixage de la main gauche en plaquant des accords de la droite, Arnalds se fait accompagner du batteur Christian Tschugnall et d’un quatuor à cordes – avec Pétur Björnsson (violon), Sólveig Vaka Eyþórsdóttir (violon), Karl James Pestka (alto) et Unnur Jónsdóttir (cello).
Eux tous l’accompagnent avec une retenue et une précision impressionnantes, la perfection du son permettant d’entendre le moindre grincement des cordes alors que la scénographie, avec ses tubes de néon qui confèrent une atmosphère tantôt intimiste, tantôt cinématographique, toujours chaleureuse au concert, immergeait le spectateur dans une musique qu’il serait trop banal de comparer à la beauté des paysages du pays natal de son compositeur.
Une contrainte transformée en esthétique
Autour de ce qu’on pourrait appeler son QG – un piano à queue qu’il entoure d’amplificateurs, de synthés et autres pédales à effet –, deux pianos mécaniques placés à gauche et à droite égrènent leurs mélodies comme s’ils étaient joués par des musiciens ou des musiciennes fantômes, métaphore parfaite du mariage entre sons organiques et recours aux multiples possibles de notre ère digitale.
Il y a quelques années, nous raconte Arnalds au beau milieu du concert, il vécut un véritable blocage compositionnel, lié à deux choses: tout d’abord, plongé dans son studio pour écrire, il se rendit compte que confiné de la sorte, lui manquait l’expérience du monde, expérience sans laquelle il n’y avait plus d’inspiration, plus rien sur quoi écrire. Y remédier fut facile: il sortit.
Mais avec l’expérience du monde vient aussi l’exposition à ses dangers: à la suite des séquelles d’un accident de voiture, il se trouva dans l’impossibilité physique de continuer à jouer du piano. N’étant pas du genre à résigner, il fonda un groupe de techno mais, quelque peu lassé par une musique plus simpliste, il eut un moment d’illumination quand il vit, dans un aéroport, un de ces pianos mécaniques qui jouaient d’eux-mêmes de petites mélodies un peu bêtes. Un ami lui écrit un programme qui lui permit de jouer du piano d’une main tout en se faisant accompagner par ces deux pianos mécaniques, achetés pour l’occasion. „A présent, je suis guéri. Mais l’idée est restée“, explique Arnalds, pointant vers les deux pianos avec un sourire espiègle avant de se replonger dans sa musique.
Et si, au milieu du concert, il y eut, quand il enchaîna ses compositions pour piano solo, quelques minimes longueurs, ce fut, au final, un très beau concert, avec un presque parfait équilibre entre les miniatures pour piano (dont le très beau „Saman“) ou les titres à l’instrumentation plus opulente, parfois très dansants, comme „Ypsilon“ ou „Undir“ (même si le public restait statique, immunisé aurait-on dit contre toute rythmique un peu dansante du fait de se trouver dans une Philharmonie et non pas, disons, à l’Atelier ou à la Rockhal), et qui donnait envie de suggérer aux programmateurs de la Philharmonie de ne pas hésiter à l’étoffer un peu, leur cycle urbain.
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