La révolte des étudiants italiens contre les prix élevés des logements n’a pas épargné Venise. La Sérénissime est aussi une ville universitaire, et la Ca’ Foscari qui l’abrite est nichée dans un quartier charmant encore suffisamment éloigné de la place Saint-Marc pour être épargné par le tourisme de masse. Alors, lorsque, ce 17 mai, à une étudiante de la ville qui se plaignait de devoir payer 700 euros une modique chambre, le bourgmestre de la ville, Luigi Brugnaro lui a rétorqué que si elle s’était fait ainsi berner, elle ne méritait pas d’avoir un diplôme universitaire, le syndicat d’étudiant UDU a vu rouge. „Si à Venise le coût de la vie est aussi élevé, c’est la faute de qui l’administre avec inertie, la vendant morceau après morceau et en l’appauvrissant en services de base“, a-t-il répondu dans un communiqué mordant.
Venise a un problème immobilier, lié au tourisme de masse qui draine trente millions de touristes par an dans une ville qui compte 50.000 habitants. La location à court terme rapporte bien plus que la location aux étudiants, mais aussi aux travailleurs. Elle donne plus de flexibilité à qui a hérité d’un logement dans la ville. La ville qui perdu plus de la moitié de sa population depuis les années 70, ne réussit pas à inverser la tendance. Pas même à endiguer le tourisme.
Le choix de la durabilité
L’introduction d’une taxe d’entrée à l’automne dernier s’est révélée être un fiasco. Le prix, entre 3 et 10 euros, en fonction de la saison touristique, n’était absolument pas dissuasif. Et surtout, le paiement de la taxe a conduit à des mesures de contrôle qui ont irrité les habitants dont la circulation dans les rues étroites de leur ville est déjà rendue pénible par les flux de touristes.
L’interdiction des navires de croisière depuis 2019 a certes dégagé le paysage de leurs grandes carcasses, libéré l’air de leurs pollutions et l’architecture de leurs vagues. Mais, cela n’a fait que repousser le problème plus loin et n’a pas empêché les touristes de rejoindre la spectaculaire ville.
Il y a une unanimité autour de la nécessité de trouver une solution pour un tourisme durable. Mais la définition du terme durable divise davantage. En mars 2022, fut créée, sous le patronage du gouvernement italien, la fondation „Venezia Capitale mondiale della sostenibilità“, dont l’objectif de mettre sur pied un plan d’interventions pour „la croissance économique, environnementale, technologique et durable de Venise“ ressemble au mariage de la carpe et du lapin. Le statu quo, c’est l’enrichissement par une gastronomie omniprésente qui n’a d’italienne que les noms de ses plats et des locations tous azimuts qui ne font que multiplier les flux. Bloquer l’ouverture de nouveaux hôtels, taxer davantage les locations de court terme et détaxer au contraire les locations à plus long terme, font partie des solutions avancées pour éviter que le tourisme de masse n’éloigne aussi les touristes que Venise cherche à conserver, ceux qui relèvent au tourisme culturel.
Impliquer les citoyens
A l’université, on réfléchit, d’une manière moins verticale, aux moyens d’opérer une conversion en douceur au tourisme culturel, plutôt qu’à opposer deux manières de voyager. Cette conversion s’opère au départ des habitants de la ville et en les impliquant. „Les mesures prises pour limiter les flux posent des questions qui imposent des réponses qui ne sont pas neutres. Or, la communauté n’est pas associée à la réflexion et doit se positionner sur un sujet qui implique des mécanismes complexes“, explique Diego Calaon. Ce 15 mai, au quatrième étage de la Ca’ Bottacin, cet archéologue discute avec une douzaine d’autres chercheurs des formes que prendra leur projet interdisciplinaire visant à proposer des modèles de développement durable et construire autour d’eux de nouvelles narrations capables d’affronter le défi du changement climatique et de la transformation digitale. D’une durée de trois ans, le projet appartient à un programme plus large financé par le Plan national de la reprise et de la résilience, déclinaison nationale du programme européen „Next Generation“ mis sur pied après la crise du Covid. Crise qui avait d’ailleurs offert une trêve du tourisme à Venise, qui s’était vue tout à coup regagner par la nature.
„Il ne s’agit pas de donner une recette toute faite, mais d’impliquer les communautés pour partir du patrimoine comme élément de traitement qui fasse émerger de nouveaux comportements, des attentions envers le patrimoine et le changement climatique qui a des conséquences sur le patrimoine“, explique Monica Calcagno, professeur en management, en charge de chapeauter le projet. „La manière dont nous vivons la ville, la consommons, l’expérimentons est liée à des traditions, des habitudes d’usage, une manière d’être, et nous cherchons à rendre ces pratiques conscientes.“
Le monde a changé, la manière dont les citoyens considèrent les biens culturels également
Les citoyens sont ainsi directement impliqués et sensibilisés. Cet après-midi-là, une chercheuse en sciences environnementales propose de les impliquer en leur demandant de suivre et documenter l’état de dégradation des biens culturels. Ce faisant, ils se font les ambassadeurs du patrimoine local, mais aussi des citoyens conscients de l’enjeu climatique.
Mais c’est aussi une autre manière de considérer le touriste que défend ce projet. Ce dernier, qui veut faire du patrimoine culturel et paysager une ressource de citoyenneté active, entend aussi renoncer à „la séparation conflictuelle entre citadin et touriste“. Il s’agit de passer de la conception d’un touriste qui est géré comme un poids à déplacer d’un côté à l’autre de la ville, à une autre où le touriste est un citoyen temporaire qui peut rester que quelques heures ou quelques jours, et qu’il s’agit d’associer à ces enjeux. „Ce modèle de tourisme plus participatif peut être valorisé avec des outils digitaux“, avance Marina Buzzone, professeure de philologie. „Il est vrai que le digital peut éloigner, mais nous cherchons à utiliser les compétences développées à l’université pour approcher les touristes en tenant compte des diverses catégories de tourismes et de besoins.“
„Le monde a changé, la manière dont les citoyens considèrent les biens culturels également“, complète Diego Calaon. „Les uns les voient comme quelque chose à protéger, d’autres comme un investissement, un troisième comme une représentation esthétique. Travailler avec ces différentes approches permet d’avoir une image plus complexe que celle qui simplifie une tension entre deux groupes.“
„Mes collègues archéologues peuvent me critiquer du fait que je m’occupe de tourisme, mais s’intéresser aux ressources archéologiques dans un contexte de tourisme de masse et de réchauffement climatique s’inscrit dans la droite lignée de mes prédécesseurs des années 60-70 qui s’intéressaient à ces ressources dans un contexte industriel“, poursuit l’archéologue. Le projet qui débute montre que le défi du développement durable relève de nombreux domaines de connaissance, pour qui veut avoir une approche plus complexe et donc plus réelle que celle mise en œuvre par le monde politique.
Zu Demaart
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können