Le Front national a réuni son congrès ce week-end à Lille, pour dresser l’état des lieux après la défaite de Marine Le Pen à l’élection présidentielle de l’an dernier, et réfléchir aux moyens de rebondir au terme de longs mois moroses, marqués par différentes défections. Le mouvement d’extrême droite, soucieux de sortir de son isolement, devrait s’appeler à l’avenir le «Rassemblement national».
De notre correspondant Bernard Brigouleix, Paris
Un congrès est traditionnellement, pour un parti politique, surtout s’il est important et que sa réunion survient après une défaite électorale, l’occasion d’une grande explication, d’une mise à jour souvent controversée, parfois franchement pénible même, mais toujours utile. Le Front national de Marine Le Pen ne devait pas échapper à cette règle de base. Mais les circonstances lui auront donné, ce week-end à Lille, une dimension singulière.
D’abord parce que la déconvenue enregistrée par le FN lors de l’élection présidentielle de l’an dernier avait quelque chose de particulier, et de paradoxal. Particulier en ce que la défaite a été ressentie, à l’intérieur comme à l’extérieur des rangs du mouvement d’extrême droite, comme celle de sa présidente: après avoir fait une campagne classique mais plutôt réussie, du moins dans sa logique et son registre, Marine Le Pen, et elle seule, en a perdu tout le bénéfice en quelques dizaines de minutes assez pitoyables lors du débat télévisé de l’entre-deux-tours face à un Emmanuel Macron qui n’a même pas eu besoin d’être spécialement brillant pour réduire en bouillie le discours de son adversaire.
Quelque chose de paradoxal, aussi: ce cuisant échec du second tour l’était, à tout prendre, bien moins que celui de son père Jean-Marie arrivé lui aussi second face à Jacques Chirac en 2002. Et avoir porté le courant nationaliste et anti-européen à quelque 34 pour cent des voix – avec plus de dix millions et demi de suffrages! – aurait pu, après tout, sembler à Mme Le Pen un résultat déjà flatteur, dût-il sembler au contraire fort préoccupant à l’essentiel du corps électoral français.
Des lendemains décevants
Autre circonstance politique qui allait donner au congrès du FN de samedi et dimanche à Lille un retentissement particulier: le parti, à l’évidence, s’essouffle et tend à se désagréger un peu. Sans doute convient-il de ne rien exagérer.
Surtout dans un contexte où des mouvements plus anciens, plus riches et plus structurés que lui, comme la droite classique des Républicains, et surtout le Parti socialiste en plein «combat des chefs» pour se trouver un nouveau Premier secrétaire en attendant une très hypothétique recomposition lors de son congrès du mois prochain, connaissent eux aussi les affres du macronisme triomphant … Mais enfin, le Front national, à l’évidence, se cherche à la fois une image, un avenir, et dans l’immédiat une solidité mise à mal par des lendemains électoraux décevants pour lui.
Il y a eu, en septembre dernier, le départ de Florian Filippot, très proche et assez brillant conseiller de Marine Le Pen – «J’avais eu pour lui un véritable coup de foudre intellectuel», avouera-t-elle – qui, las de la guérilla des entourages frontistes, et peut-être aussi, déçu d’avoir à nouveau manqué la députation aux élections du printemps précédent, a quitté le FN pour fonder son propre mouvement, «Les Patriotes». Lequel, sans constituer une scission de masse, a détaché de la mouvance lepéniste quelques milliers de militants et d’intellectuels.
Il y a eu, aussi, nombre de départs nettement moins médiatisés, mais, au total, au moins aussi redoutables: ceux d’élus inconnus au plan national, mais qui ont quitté de parti par millier des dernières années, et en particulier ces derniers mois. Quelques parlementaires, mais surtout des conseillers municipaux, départementaux, régionaux: plus du quart des élus locaux, selon une enquête détaillée réalisée par le quotidien Le Parisien. Certes, tous les partis connaissent, à l’usage, cette forme d’érosion, parfois compensée plus ou moins par des ralliements; mais aucun n’arrive, et de loin, à une telle hémorragie.
A quoi s’ajoute, pour Marine Le Pen, la complexité de ses rapports familiaux. Son père Jean-Marie publie ces jours-ci le premier tome de mémoires qui ne touchent pas encore la période contemporaine, mais lui donnent, et donnent à de nombreux commentateurs politiques, l’occasion de revenir sur les relations exécrables qui existent désormais entre sa fille et lui. Quant à sa nièce Marion Maréchal Le Pen, ex-benjamine fort médiatique de l’Assemblée nationale, elle a trouvé le moyen, après avoir effectué une ostensible reconversion dans le privé, d’aller prendre la parole devant un congrès ultra-conservateur des Républicains américains … et une meute de journalistes.
Rupture freudienne avec Jean-Marie
Et un récent sondage lui accordait sensiblement plus de chances qu’à sa tante d’occuper bientôt le devant de la scène publique. C’est évidemment à ce show de la jeune Marion outre-Atlantique que répondait l’incitation de l’ultra-conservateur américain Steve Bannon, ex-collaborateur de Donald Trump, au congrès de Lille, devant lequel il s’est livré à un numéro réactionnaire très décomplexé qui a manifestement séduit son auditoire, en particulier lorsqu’il a fait huer les médias.
Autant de raisons pourtant, globalement, qui imposaient à Marine Le Pen d’opérer, à l’occasion du congrès de Lille, bien davantage qu’une opération politico-médiatique de routine, la seule (petite) lueur bienveillante pour elle étant constituée par les propos d’un élu LR en vue, l’ancien ministre sarkoziste Thierry Mariani, suggérant hier un «rapprochement» entre la droite classique et le FN, «qui est en train d’évoluer» selon lui.
C’est à cet aggiornamento que la présidente frontiste, réélue sans surprise à l’unanimité par les délégués, et qui avait au préalable veillé à ce que son père ne dispose plus désormais du titre de «président d’honneur» du FN, s’est livrée dans son long discours.
L’étape des élections européennes
Avec une conviction qu’elle ne pouvait évidemment pas exprimer telle quelle: le Front national doit se renouveler profondément, avec l’espoir d’accéder au pouvoir, ou s’enliser dans une éternelle contestation radicale de principe, si chère à Jean-Marie Le Pen, virulente et à l’occasion populaire, mais définitivement vouée, au mieux à une opposition forte, au pire à la marginalisation.
Telle était bien la motivation première – outre la rupture quasi-freudienne avec le père – du changement de nom qu’elle a proposé aux délégués, et à laquelle les militants devraient donner leur accord le Front national deviendra le Rassemblement national. Beaucoup de bruit pour rien? Mais, dans l’esprit de Mme Le Pen, un «front» sent l’opposition, l’adversité, la guerre, tandis qu’un «rassemblement» … rassemble, au moins en principe – et elle est désormais convaincue qu’il serait tout à fait vain d’espérer arriver un jour au pouvoir sans partage: au » tout ou rien» paternel a manifestement succédé une stratégie d’alliances.
Le problème étant pour Marine Le Pen d’offrir un visage politiquement plus présentable à la droite non extrême sans pour autant faire fuir les militants du nationalisme dur. Et pour développer cette stratégie de conquête, la présidente du mouvement estime qu’il faut à ce dernier «disposer de davantage de cadres, produire plus de contenus de haute tenue, et mettre en place une organisation rénovée avec des pratiques plus collégiales».
Une première étape majeure, aux yeux de Mme Le Pen, pourrait être constituée par les prochaines élections européennes – surtout à considérer ce qui se passe actuellement dans plusieurs pays de l’Union, y compris en Italie. «Emmanuel Macron, qui tente d’usurper la modernité, nage à contre-sens, et la victoire des peuples et des nations d’Europe est un des objectifs de ces élections européennes», a-t-elle assuré, avant d’ajouter: » Deux s’y feront face. Celui de l’UE, défendue par M. Macron avec MM. Juppé et Cohn-Bendit, et le nôtre, celui que présentera la grande coalition des nationaux.»
On en voit donc bien l’ambition: celle de fédérer, électoralement, l’hostilité à l’Europe, sur fond de poussée populiste dans différents pays de l’Union, dont la France, et de Brexit. Le problème pour elle est que, «rassemblement» ou pas, il ne lui sera pas facile de convaincre la droite eurosceptique de franchir le pas; et encore bien plus, probablement, l’autre grand pan de l’électorat français qui se définit également comme anti-système et anti-européen: l’extrême gauche mélenchoniste. Elle aussi, semble-t-il, en (relative) difficulté dans l’opinion, et elle aussi amèrement déçue par l’élection présidentielle de l’an dernier, mais point résignée pour autant, à ce jour, à mêler ses suffrages à ceux de l’extrême droite lepéniste.
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