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L’Oedipe, c’est complexe

L’Oedipe, c’est complexe

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Von Paul Rauchs

Chassez le naturel … et le paternel revient au galop! Au moment où l’extrême droite pense crier victoire un peu partout dans le vieux monde abonné depuis plus ou moins de décennies à la „démocratie“ comme l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, la Hongrie, voire les Etats-Unis, etc., le Front national panse ses plaies en France.

Mais panser n’est pas penser, comme le prouve la malheureuse tentative de donner un nouveau nom au parti fondé par Jean-Marie Le Pen. „Rassemblement national“, le nom ne trompe personne et Le Monde nous rappelle à bon escient que cette appellation a été contrôlée et utilisée par les fascistes de Tixier-Vignancourt, candidat de l’extrême droite contre De Gaulle en 1965, avec comme directeur de campagne un certain Jean-Marie Le Pen qui, deux décennies plus tard, présenta des listes „Rassemblement national“ aux élections législatives.

Chassez le naturel, vous dis-je …! Nomen est omen, et aucun sujet ne peut faire abstraction de la tyrannie du signifiant de son patronyme. Au moment où Le Pen père publie ses mémoires, Le Pen fille cherche à gommer la mémoire de son parti. Mais on ne tente pas impunément d’échapper à son destin et son histoire, comme en témoigne cette histoire juive: en pleine période d’occupation de la France par les Allemands d’Hitler, alors que le régime de Vichy traquait les juifs, le dénommé Katzmann, Français d’origine juive, voulait échapper aux horreurs de la déportation en francisant son nom, exactement comme Marine Le Pen, aujourd’hui, veut dédiaboliser le passé de son parti.

L’employé de l’Etat civil, bonne pâte (?), lui proposa alors la traduction pure et simple: Katzmann = chat l’homme. Va donc pour Shalom: la messe fut dite, fût-ce à l’intérieur même de la synagogue.

Hergé, le génial démiurge de Tintin, collabo, antisémite, colonialiste, j’en passe et des sbires, ne s’en tira guère mieux. On se souvient qu’après la guerre, son éditeur l’enjoignit de mettre ses albums aux canons du politiquement correct. Et Blumenstein, le méchant patron du cargo „Peary“, fripouille mondialiste avant l’heure, au nez aussi crochu que son patronyme, qui voulait empêcher Tintin et Haddock d’accéder aux richesses de „L’Etoile mystérieuse“, devait donc changer de nom dans les versions expurgées. Il s’appela alors … Bohlwinkel, nom israélite s’il en est. Chassez le naturel, l’inconscient facho revient au galop. Il est vrai que Hergé, dans ses albums de la maturité, accéda, on ne sait par quelle grâce, à la rédemption. Mais ça c’est une autre histoire qui relève plus de l’ésotérisme tibétain que de la réalité rexiste bruxelloise.

L’histoire des Labtacides

Il est donc écrit qu’on ne fuira jamais son destin, la mythologie grecque et son oracle en témoignent encore aujourd’hui. Souvenez-vous de l’histoire des Labtacides. Le patronyme de cette prestigieuse lignée se termine en cide et il est vrai que, de génération en génération, la malédiction divine fait s’entretuer ses enfants. Quand l’oracle prédit au roi Laïos de Thèbes qu’il mourra par la main de son fils, il perce les chevilles à son nouveau-né et l’accroche à un arbre.

L’histoire est connue: le fils Oedipe (littéralement celui qui boîte) est sauvé, il tue sans le savoir son père, épouse sa mère, lui fait des enfants, se crève les yeux quand il apprend l’horreur de son forfait et se fait guider dorénavant par sa fille Antigone qui, bien des années plus tard, brave les lois des hommes pour enterrer son frère qui a trahi la cité.

L’histoire de la famille Le Pen, du patriarche Jean-Marie à sa petite-fille Marion, en passant par sa fille Marine et son ex-épouse Pierrette qui posa, on s’en souvient, comme soubrette dans le magazine Playboy, est en quelque sorte un remake, version digest et people, de la tragédie des Labtacides. Il est vrai que si la politique des Le Pen est aussi boîteuse que la démarche d’Oedipe, Le Pen n’est que borgne et aveuglé là où Oedipe est aveugle par sagesse. La tentative de renomination du Front national est un complexe d’Oedipe à l’envers. Quand Oedipe a tué sans le savoir et sans le vouloir son père, Marine Le Pen, en voulant tuer le père, le réhabilite sans le vouloir et sans le savoir.

En reprenant au paternel l’ancienne dénomination Rassemblement national, elle lui rend hommage, à l’insu de son propre gré, comme dirait l’autre, prouvant par là même que les gênes du Front sont bien toujours celles de son géniteur. Eh oui, le nom du père est plus fort que le non au père!

Le Rassemblement national ne trompera donc que ceux qui veulent bien être trompés et trempés dans les eaux glauques et saumâtres de la fachosphère. Et ceux des vieux militants qui ne sont pas dupes de cette supercherie n’ont qu’à aller se faire voir ailleurs. Comme dirait Lacan qui s’y connaît en matière de Nom-du-Père: les non-dupes errent. Mais la langue a la mémoire longue et elle punit ceux qui veulent la dévoyer et la forcer à creuser sa propre tombe, exactement comme les nazis faisaient creuser à leurs victimes leurs propres tombes. Espérons donc que tous ceux qui ont des oreilles pour vouloir entendre vont s’apercevoir que Rassemblement national rime et allitère avec ressentiment national.

ADR et Wee2050

Au Luxembourg aussi, cette histoire devrait servir d’exemple, et plus particulièrement à tous ceux qui, à l’ADR et autres (?) Wee2050, se sentant exclus de la langue française et, dans une moindre mesure, de l’idiome allemand, aiment trop se servir du dialecte luxembourgeois pour en exclure les autres. Les Le Pen, Welter, Keup et autres Kartheiser, dont la langue de vipère fourchue fourche régulièrement sur leurs interprétations identitaires ne font in fine qu’instrumentaliser la langue jusqu’à ce que sa mort s’en suive. Mais gageons que le parler de Molière et de Michel Rodange saura résister à ces baisers de Judas, ne serait-ce que par la plume des Houellebecq et autres Helminger.