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L’abolition de l’esclavage fête ses 130 ans au Brésil …

L’abolition de l’esclavage fête ses 130 ans au Brésil …

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Le 13 mai 1888, la princesse impériale Isabel signe la «Lei Aurea», la loi d’or décrétant officiellement la fin de l’esclavage au Brésil. Le Brésil est ainsi le dernier pays du continent américain à abolir l’esclavage. La commémoration de cette loi est largement débattue. Essayons de mieux comprendre la controverse autour du 13 mai en analysant le contexte historique de la «Lei Aurea» et ses réelles conséquences pour les anciens esclaves.

De Dominique Santana

L’esclavage tropical et sa longue route vers l’abolition

Depuis le XVIe siècle et jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’esclavage a joué un rôle essentiel sur l’ensemble du continent américain. Cette main d’œuvre esclave était un élément indispensable pour la croissance économique des grandes puissances coloniales de l’Europe. D’après l’historien Michael Zeuske, les Portugais étaient la référence mondiale pour la traite négrière transatlantique des esclaves issus du continent africain. Les historiens brésiliens estiment qu’entre le XVIe et le XIXe siècle, de 9,5 à 12 millions d’esclaves ont été transportés de l’Afrique vers les Amériques. Le Brésil seul a importé environ 4 millions d’esclaves, ce qui correspond à approximativement 40% de la totalité.
Initialement, les esclaves importés de l’Afrique vers le Brésil étaient exploités dans les plantations de canne à sucre des régions de Bahia et Pernambouco. Entre 70 et 100 esclaves travaillaient dans une plantation à canne de sucre, pendant les longues périodes de récolte 18 heures par jour. Les conditions de travail étaient tellement pénibles que la durée de vie d’un esclave à l’époque s’élevait à dix ans. Basé sur la main d’œuvre esclave dans les plantations à canne de sucre, Salvador de Bahia était devenu un centre économique de l’empire colonial portugais. Peu à peu, l’usage de l’esclavage s’est généralisé.

Une famille brésilienne et ses esclaves domestiques.
Photo de Revert Klumb (1860).

La crise de l’économie sucrière au XVIIIe siècle et le début de la «ruée vers l’or» avec la découverte de mines d’or dans la région de Minas Gerais, ont décalé le centre économique vers le sud-est. L’emploi de main d’œuvre esclave s’avérait extrêmement rentable dans les mines d’or et de diamant, et les esclaves originaires d’Afrique représentaient 50% de la population de Minas Gerais. A partir du XIXe siècle, les esclaves étaient essentiellement exploités dans les plantations de café au centre et sud-est du Brésil, notamment à São Paulo. De plus, l’usage urbain de main d’œuvre esclave s’est diversifié avec l’exil de la couronne portugaise fuyant les guerres napoléoniennes à Rio de Janeiro et l’indépendance du Brésil en 1822. Cette période est marquée par un changement de paradigme dans la relation entre «le maître et son esclave». Malgré l’existence d’une hiérarchie fortement définie, les deux extrémités se rapprochent en conséquence de leurs échanges quotidiens, ce qui accentue davantage le mythe du «métissage» brésilien.

La „Lei Aurea“, signée le 13 mai 1888, était composée d’uniquement deux articles: le premier prévoyant la libération des esclaves en territoire brésilien et le second l’abrogation de toute loi qui serait contraire à cette mesure.

Au cours du XIXe siècle, les puissances coloniales européennes, notamment anglaise, française, hollandaise et espagnole, s’adhèrent une par une à l’abolition de l’esclavage. En conséquence, la pression extérieure sur le Brésil, surtout britannique, devient de plus en plus intense. La traite négrière atlantique est interdite en 1831, mais au Brésil il a fallu attendre 1850 pour qu’elle soit officiellement abolie. Le Brésil essayait d’employer une stratégie d’extinction de l’esclavage graduelle et lente avec la «loi du ventre libre» de 1871, selon laquelle les nouveau-nés de mère esclave étaient libres. En pratique, le maître avait le choix entre l’acquisition d’indemnisations financières ou l’exploitation de l’enfant jusqu’à l’âge adulte. En 1885, la liberté est légalement accordée aux esclaves âgés de plus de 60 ans. En réalité, très peu d’esclaves ont pu profiter de cette loi. Enfin, le 13 mai 1888, l’esclavage au Brésil est aboli par la «Lei Aurea».

L’abolition de l’esclavage, signifie-t-elle également l’inclusion des anciens esclaves dans la société brésilienne?

Dans l’histoire officielle, la «Lei Aurea» du 13 mai 1888 est honorée comme un véritable symbole d’humanisme, un discours dans lequel la princesse Isabel occupe une place d’héroïne des esclaves libérés. Pour le «mouvement noir» s’engageant contre la discrimination et l’inégalité des afro-descendants, le 13 mai n’est point une date commémorative. Selon eux, la «Lei Aurea» n’aurait donné qu’une illusion de liberté aux esclaves libérés et causé nul changement significatif pour leur dignité. Au lendemain de cette loi anti-esclavagiste, les afro-brésiliens étaient déclarés libres, mais aucunes mesures politiques n’ont été entretenues en vue d’une inclusion sociale et économique de ces esclaves libérés dans la société brésilienne. Les autorités n’ont pas proposé d’indemnisation ou apporté du soutien aux 700.000 afro-brésiliens qui venaient d’être officiellement libérés des chaines de l’esclavage. Dépourvus de perspective et d’appui de l’Etat, certains esclaves libérés optaient finalement pour rester auprès de leurs maîtres, souvent sans rémunération digne de leur dur labeur. D’autres osaient parcourir le chemin inconnu de la liberté dans la marginalité de la société brésilienne.

Pour comprendre l’indifférence des autorités politiques face aux afro-brésiliens au lendemain de l’abolition de l’esclavage, il est nécessaire de creuser plus loin dans l’histoire. L’indépendance du Brésil au début du XIXe siècle a suscité la tentative de construction d’une identité brésilienne. Dans ce contexte s’est engendrée l’idéologie du «branqueamento», c’est-à-dire, du blanchiment de la population brésilienne, incitant par conséquent le recrutement de milliers d’immigrants européens. En fait, la tendance croissante d’abolir la traite négrière et l’esclavage sur l’ensemble du continent américain, ne faisait qu’alimenter cette stratégie de blanchiment brésilienne. L’immigration de masse européenne tout au long du XIXe siècle s’est donc déroulée dans le contexte d’une idéologie raciste de blanchiment de la population. Par ailleurs, l’immigration européenne était une alternative idéale à la main d’œuvre esclave menacée d’extinction. L’historien Jeffrey Lesser explique dans son livre sur l’invention de la brésilianité, que les migrants européens étaient perçus comme des agents de perfectionnement d’une nation imparfaite, souillée par l’histoire du colonialisme portugais et l’esclavage africain. Dans un Brésil soucieux de «blanchir» sa population et d’effacer les cicatrices de l’esclavage, il y avait peu de place pour les afro-descendants.

Affiche commémorative de l’abolition de l’esclavage au Brésil (1888)

Les partisans du «mouvement noir» perçoivent le 13 mai plutôt comme un symbole de lutte contre un racisme institutionnel et structurel du Brésil actuel. Comme alternative, ils proposent le 20 novembre: le «jour de la conscience nègre». Il s’agit de la date de décès de Zumbi de Palmares, dernier dirigeant du Quilombo de Palmares, décapité en 1695. Quilombo était le terme employé pour désigner une communauté d’esclaves fugitifs. Zumbi représente non seulement la longue lutte contre l’esclavage, mais aussi la rébellion des esclaves qui fut longtemps étouffée par le mythe de la «démocratie raciale». Dans son ouvrage «Maîtres et esclaves» de 1933, le sociologue et historien brésilien Gilberto Freyre scelle le mythe d’une miscégénation harmonieuse entre le Blanc, le Noir et l’Indien, donnant ainsi un caractère plus «humain» à l’esclavage brésilien. Cette utopie de métissage interracial pacifiste empêche une analyse critique de l’héritage des trois siècles et demi d’esclavage au Brésil.

Voici, pour conclure, une citation de Stefan Zweig, grand adepte de la mythologie freyrienne, tirée de son ouvrage «Le Brésil, terre d’avenir», qu’il a rédigé pendant son exil à Petrópolis, près de Rio de Janeiro:

«Die brasilianische Rasse, die durch einen dreihundertjährigen Negerimport in der Hautfarbe immer dunkler, immer afrikanischer zu werden drohte, hellt sich sichtbar wieder auf, und das europäische Element steigert im Gegensatz zu den primitiv herangewachsenen analphabetischen Sklaven das allgemeine Zivilisationsniveau.»

[La race brésilienne, menacée de devenir de plus en plus foncée, de plus en plus africaine, par les trois cents ans d’importation négrière, s’éclaircit visiblement, et l’élément européen, contrairement à la présence croissante et primitive d’esclaves analphabètes, augmente de façon générale le niveau de la civilisation.]