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Le Venezuela, une autocratie?

Le Venezuela, une autocratie?
Foto: AFP

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Dans son discours de politique étrangère prononcé à la Chambre des députés le 13 mars dernier, Monsieur Jean Asselborn s’en est pris au Venezuela. «Ce pays”, a-t-il affirmé, «continue de se transformer en un régime autocratique sous Nicolas Maduro, qui depuis août dernier a monopolisé les trois pouvoirs constitutionnels. La situation humanitaire devient de plus en plus précaire. L’UE a soutenu des initiatives visant à établir un dialogue entre le gouvernement et l’opposition, et applique en même temps des sanctions pour faire pression.»

De Jean Feyder, ancien ambassadeur

Cette déclaration peut surprendre alors que des élections présidentielles – et aussi parlementaires –, se tiendront le 20 mai prochain.

Le président Maduro a invité l’ONU à venir observer ces élections. L’opposition est divisée. Alors que certains de ses membres veulent y prendre part et présenter des candidats, la majorité, sensible aux appels des Etats-Unis, a décidé de ne pas participer, estimant que les conditions de régularité ne seraient pas remplies. Elle n’avait pourtant pas cessé de réclamer la tenue de telles élections «au plus tôt» depuis plusieurs années.
En 2017, les Vénézuéliens ont été appelés aux urnes à pas moins de trois reprises. D’abord, pour mettre fin au conflit durable et paralysant entre le Parlement et la Cour supérieure de justice, Maduro a pris l’initiative, sur base de l’article 348 de la Constitution, donc en pleine légalité, d’organiser des élections à une Assemblée constituante.
Celles-ci se sont tenues fin juillet de l’année passée. L’opposition a dénoncé une opération «non démocratique». Elle a décidé de ne pas participer à ces élections et a fait tout pour les bloquer. Mais huit millions de Vénézuéliens ont été d’un autre avis et sont allés voter. L’article 349 donne à une telle Assemblée les pleins pouvoirs à l’égard du président et du Parlement. Sur quelle base juridique le Luxembourg et l’UE refusent-ils dès lors de reconnaître la légalité de cette Assemblée?

Victoire lors des élections régionales

En octobre dernier, des élections régionales ont eu lieu lors desquelles les adhérents de Maduro ont gagné 19 des 23 postes de gouverneurs devenus disponibles. Quelques-uns des partis d’opposition réunis au sein de la «Table de l’unité démocratique» (MUD) y ont participé, d’autres pas. Lors des élections municipales de décembre dernier, plus de 90% des postes de maire ont été remportés par la coalition chaviste. Neuf millions sont allés aux urnes, soit 47% des personnes habilitées à voter.

Comme Obama l’avait déjà fait, Donald Trump a fait déclarer le Venezuela comme étant une menace pour la sécurité des Etats-Unis et a imposé à ce pays des sanctions sévères surtout commerciales et financières.
«Nous avons plusieurs options pour le Venezuela y compris militaires», a-t-il déclaré le 11 août dernier.

C’est cette option que l’ancien secrétaire d’Etat Rex Tillerson n’a pas exclue dans un discours prononcé le 1er février dernier à l’université du Texas en se prononçant en faveur de la doctrine Monroe en précisant: «Si les choses se dégradent au point que le commando militaire arrive au constat qu’ils ne servent plus le peuple (au Venezuela), alors ils sauront arranger (manage) une solution de transition pacifique.» Au cours de son voyage qui a suivi dans plusieurs pays de l’Amérique latine, il a évoqué la possibilité d’un embargo sur le pétrole contre le Venezuela.

Ces menaces ne vont guère diminuer alors qu’entretemps, Tillerson a été remplacé par Mike Pompeo, considéré comme un faucon et que le poste de conseiller à la sécurité nationale a été confié à John Bolton, un autre faucon.

Comme l’a montré l’invasion de l’Irak, on peut douter que c’est l’état de la démocratie au Venezuela qui préoccupe les Etats-Unis. Le Venezuela dispose des réserves en pétrole les plus grandes au monde mais aussi d’autres ressources naturelles importantes.
La production et la commercialisation du pétrole sont aux mains de l’entreprise étatique pétrolière PDVSA.

Une grande partie de cette production est exportée aux Etats-Unis, mais entretemps la Chine est aussi devenue un important client. Les revenus du Venezuela dépendent à 96% des recettes des exportations de pétrole. La chute brutale du prix du pétrole a plongé le pays dans une crise profonde. C’est avant tout une politique de diversification économique durable qui fait défaut à ce pays. Il y a certainement aussi beaucoup de corruption. Une politique monétaire faible et peu transparente est à l’origine d’une inflation galopante.

Demandes pour l’arrêt des sanctions

Un appel vient d’être lancé par une bonne centaine d’organisations et de personnalités des Etats-Unis et du Canada pour demander l’arrêt des sanctions – considérées du reste comme illégales. Parmi elles, Noam Chomsky, Danny Glover, l’évêque Thomas J. Gumbleton, de l’archidiocèse de Detroit, et Jill Stein, du Parti des Verts. Cet appel est aussi soutenu par Alfred de Zayas, expert indépendant de l’ONU pour la promotion d’un ordre démocratique et équitable. Il est professeur de droit international et d’histoire à plusieurs universités, entre autres à l’Institut de hautes études internationales de Genève.

De Zayas a passé une semaine au Venezuela fin novembre dernier. Dans un entretien avec le magazine suisse Zeitgeschehen im Fokus, il a déclaré qu’il a pu se déplacer partout librement, qu’il n’a vu nulle part des enfants de la rue, ni même des mendiants.
Il a vu ici ou là des files de personnes attendant la vente de certains produits. Mais, les gens étaient de bonne humeur, il n’a pas remarqué une inquiétude comme la presse ne cesse de l’affirmer.

Pour lui, le Venezuela est un modèle social qui veut arriver à une distribution plus juste de la richesse dans le pays. Entretemps, deux millions de logements ont été remis à la population pauvre. Ainsi huit millions de personnes ont pu avoir accès à une maison abordable. Il y a également le soi-disant système des CLAP («Comité local de Abastecimiento y Producción» – comité local d’approvisionnement et de production) par lequel le gouvernement fait distribuer aux pauvres des paquets de vivres comprenant 28 différents produits. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas de «famine» au Venezuela, quoiqu’en disent les médias.

Malheureusement, des pénuries existent dans plusieurs secteurs et il est difficile de se procurer certains produits. Il y a surtout des problèmes pour la distribution à temps des produits importés – mais ceci relève essentiellement de la responsabilité du secteur privé, qui boycotte assez souvent la distribution et garde parfois les produits dans de grands entrepôts pour ne pas les livrer aux supermarchés mais au marché noir afin d’en retirer de plus grands profits.

Pour de Zayas il n’existe pas de «crise humanitaire» au Venezuela. Il met en garde devant l’usage d’une telle crise qui serait facile à instrumentaliser pour justifier une soi-disant «intervention humanitaire» ou pour viser un changement de régime («regime change») au besoin avec un appui militaire et sous prétexte que le gouvernement laisse la population mourir de faim. Il considère que bien des indications donnent à croire qu’au Venezuela une
pénurie est provoquée délibérément par l’opposition afin de susciter le mécontentement de la population à l’égard du gouvernement. Il est vrai qu’il existe des problèmes d’approvisionnement comme pour les médicaments.

Mais les raisons de cette situation ne sont expliquées nulle part. Il n’est dit nulle part que le secteur privé dispose des devises pour importer les médicaments nécessaires. Il n’est pas dit non plus qu’une gigantesque contrebande s’est développée pour les produits subventionnés – ainsi on peut acheter à Bogota de la farine ou du riz vénézuéliens subventionnés.

De Zayas demande l’arrêt des sanctions ainsi que de la campagne de désinformation en cours contre Maduro. Il faut avoir été sur place, dit-il, pour voir que ce n’est pas comme on le lit dans le New York Times.

Cette désinformation sur le Venezuela existe également en Europe. Les médias en France se distinguent également par une couverture très unilatérale sur le Venezuela. «L’Europe doit isoler Maduro» était le titre d’un appel dans le journal Le Monde. Thierry Deronne, un journaliste belge, qui travaille au Venezuela pour des médias publics alternatifs et que j’ai rencontré à Caracas en 2008, a écrit en août dernier: «Je vis depuis 23 ans au Venezuela et jamais je n’ai observé un tel délire, un tel déni de réalité sur le Venezuela.»