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UE: vers la dystopie?

UE: vers la dystopie?
(Alain Rischard/editpress)

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En 1516, donc il y a cinq siècles très exactement, paraissait à Louvain l’un des livres les plus lus de tous les temps: Utopia. Son auteur, le juriste anglais Thomas More, avait, par opposition à la société de son temps, imaginé l’île Nulle-Part.

L’aimable lecteur trouvera dans son dictionnaire mille références à cette fiction politique géniale. Retenons ici que les gens devaient vivre heureux en Utopia, car ils étaient tous rigoureusement égaux, ne possédaient rien mais disposaient du nécessaire, travaillaient pour tous, vouaient leurs loisirs aux belles lettres et aux arts, ne pratiquaient pas la chasse, n’avaient pas d’oisifs comme des nobles à nourrir, pratiquaient l’euthanasie par humanité, et ne s’imposaient aucune divinité, etc. More, qui s’amusait bien, expliqua que les futurs époux devaient se voir nus avant le mariage: cela évitait, paraît-il, beaucoup de déceptions.

A l’heureuse Utopia s’opposent évidemment les nombreuses Dystopia de la fiction et de la réalité. Parmi les fictions dystopiques les plus célèbres, on peut relire Le meilleur des Mondes (Aldous Huxley, 1932), 1984 (George Orwell, 1949), Fahrenheit 451 (Ray Bradbury, 1953), La Planète des singes (Pierre Boulle, 1963).

Mais entrons dans le domaine du réel. Les dystopies majeures du 20e siècle dépassent en horreur l’imagination la plus fertile; et pourtant, toutes avaient l’air d’utopies à leurs débuts. Le fascisme, le stalinisme, le nazisme séduisaient de grandes nations comme l’Italie et l’Espagne, la Russie, l’Allemagne et l’Autriche. Ailleurs en Europe, ils inspiraient des régimes autoritaires; le penser démocratique rétrécissait comme une peau de chagrin. On acceptait la soumission inconditionnelle à l’Etat appelé à devenir la source du salut public et du bien-être collectif. L’individu s’effaçait, au besoin se sacrifiait. Hitler parvenait sans peine à mobiliser le pays de Goethe et de Beethoven jusqu’aux ruines finales, Staline, cette brute froide, régnait sans partage jusqu’à sa mort.

L’Europe, ou plutôt cette construction politico-économique qui se nomme „Union européenne“ est elle aujourd’hui plus proche d’Utopia ou de Dystopia? Question bien difficile. Après la guerre, les conditions semblaient réunies pour construire Utopia sur les ruines du Vieux Continent. Les peuples exigeaient la paix, ils voulaient le bien-être moral et matériel, quelques grands hommes politiques les firent avancer dans la bonne direction.

Mais aujourd’hui? – Quand on observe les forces politiques, économiques et culturelles centrifuges qui font trembler les murs de la maison communautaire, quand on constate que les intérêts de la haute finance l’emportent sur les considérations politiques et sociales (cf. l’austérité, la tragédie grecque), quand on assiste, impuissant, aux complicités des dirigeants avec les géostratèges guerriers qui mettent l’Orient à feu et à sang, l’interrogation est permise: y a-t-il mutation en cours? La bonne utopie européenne est-elle en train de muter? Est-ce une dystopie qui émergera, à la suite des contraintes économiques et sécuritaires imposées d’en haut, par des instances soustraites au contrôle démocratique?

Il faut le craindre, cinq siècles après Thomas More.