Faut-il aimer Shakespeare? Parce qu’il est mort il y a quatre cents ans, comme chacun sait maintenant à l’approche de la commémoration, et qu’il a laissé, même au plus commun des mortels, quelques petites phrases dont To be or not to be est la plus utile pour le small talk? – Mais non, il faut l’aimer pour mille raisons, dont la création de la plus riche des langues, oui, l’anglais est incroyablement riche, n’est pas la moindre.
Lu, l’autre jour, dans Financial Times, le plus droit au but lucratif des journaux britanniques: l’anglais est efficace (pour communiquer, travailler), le français est beau (pour briller, jouir); quelle méprise! L’auteur voulait décourager les candidats à l’apprentissage de ce petit concurrent qu’est encore le français. Il n’a sans doute pas réalisé qu’en subordonnant la beauté à l’efficacité, il trahissait … Shakespeare.
L’inventeur de l’anglais, du vrai, de ce trésor de mots, expressions, tournures, finesses grammaticales, c’est lui, Shakespeare, sans lui, Shakespeare, l’anglais n’aurait jamais pu devenir tellement parfait pour souffrir, sans trop de dommages, tant de violences, torsions, réductions et simplifications. Langue mondiale, l’anglais du type kitchen s’élèvera progressivement; Shakespeare reste en point de mire. Heureusement d’ailleurs, car l’anglais-ersatz est insuffisant et affreux.
Le grand homme vivait à l’insu des autres grands de son époque. Copernicus, Galilei, Michelangelo, Rembrandt, Monteverdi, Descartes, Ronsard avaient-ils entendu parler de Shakespeare? – Ç’aurait fait un beau tour de table, quand-même. – Mais voilà votre serviteur qui se met à rêver, chers lecteurs. Il fait le rêve de croiser, là, au bout de la la rue, LE Shakespeare de l’an 2016, le génie évidemment intellectuel, philosophe, politique, romancier, dramaturge, poète, capable de montrer notre monde tel qu’il est, en mettant en scène ses personnages historiques ou imaginaires, avec leurs vices et vertus, ambitions et moyens.
Ah! Ils en ont de la chance, les nains qui se prennent pour des géants. Shakespeare est bien mort il y a quatre siècles, sa place est prise par l’industrie de l’entertainment, alimentée par toutes sortes de collaborateurs, vocable voulant être compris, ici, dans son acception péjorative. Quel paradoxe: jamais l’humanité ne disposait d’autant de moyens techniques pour vivre et partager en temps réel les exploits des sciences et des arts; jamais elle ne paraissait aussi peu exigeante. Shakespeare s’entendrait dire, peut-être: „Trop long, votre King Lear, la cruauté c’est bien comme sujet, mais ramassez-ça, et surtout, simplifiez, simplifiez, simplifiez, tenez, un bon auteur arrive à tout dire en limitant le vocabulaire à mille mots, grand maximum.“
Will, you l’avez échappé belle, indeed. Un hasard bienveillant vous a fait naître au seizième et mourir au dix-septième siècle, juste après la Renaissance, après la redécouverte des grands textes anciens, grecs et romains, auxquels nous devons tout, ou presque, vos chefs-d’oeuvre compris.
Mais ne faut-il pas, envers et contre tout, croire en votre retour parmi nous, grâce à vos livres que le native english speaker désireux de grandir pourra bientôt lire et comprendre, à l’aide d’un traducteur Google?
Haha!
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