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Suprarégionalisation de la Grande Région

Suprarégionalisation de la Grande Région

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De Jean-Pierre Cour

Les espaces frontaliers sont souvent présentés comme les laboratoires de l’intégration européenne. Au-delà des discours et des symboles, quelle signification peut recouvrir la notion de „région transfrontalière“? Ici Estelle Evrard, chercheuses en géographie politique à l’Université du Luxembourg tente de donner une réponse sur cette question de savoir si la suprarégionalisation pourrait être une réponse pour la Grande Région transfrontalière qui est la nôtre composée de la Wallonie, du Luxembourg, de la région Lorraine au sein du Grand Est, de la Sarre et de la Rhénanie-Palatinat.

Elle répond ici prudemment par la négative mais souligne l’importance de la clarification des enjeux des régions frontalières au croisement des questions sur la régionalisation, la gouvernance et la territorialité. Selon elle, pour cela, il faut que se déterminent très vite les acteurs concernés et les nouveaux agencements que ces derniers doivent inventer. Elle complète que pour créer cette „suprarégion“ les Etats qui la composent devront nécessairement être plus souples concernant leurs pouvoirs régaliens tout en acceptant des régions plus fortes qui acceptent tous deux un peu plus de fédéralisme. Dans les années qui viennent, ces questions seront sûrement sur la table et au cœur des débats. C’est aussi ce que rappelle Jean Peyronie (directeur général de la Mission opérationnelle transfrontalière) dans sa préface où, citant Hannah Arendt, il dit: «La table qui tout à la fois sépare et rassemble les convives.»

Estelle Evrard est titulaire d’un master en droit européen et d’un doctorat en géographie. L’intégration européenne constitue le fil conducteur de son parcours et son travail porte sur la place et le rôle des territoires dans la construction européenne, sur les espaces frontaliers et sur la gouvernance territoriale. Dans son ouvrage, Estelle Evrard définit la Grande Région comme une construction identitaire, territoriale et institutionnelle se perpétuant dans le temps. Du coup, cet ouvrage identifie et questionne les spécificités de ce processus dans le contexte transfrontalier. Le livre de 260 pages est étayé par une analyse sur le concept de „territorialité transfrontalière et d’institution supranationale“ issue du sommet de 2009. Cette problématique est explorée ici par le cas emblématique de la Grande Région qui a initié une stratégie de long terme visant à créer la fameuse et assez controversée „région métropolitaine polycentrique transfrontalière“ en 2008. Il est à constater que la Grande Région transfrontalière est l’un des espaces frontaliers les plus anciens (1971) concentrant le plus grand nombre de travailleurs frontaliers d’Europe.

Petite politique étrangère

Force est de constater que la coopération institutionnelle en Grande Région fait face à l’absence d’un cadre juridique structuré et accepté par tous. Selon la formule, la coopération transfrontalière est „une petite politique étrangère“ dont les modes de régulation en constantes négociations reposent en fait sur des habitudes de travail communes établies entre personnes qui se connaissent et se rencontrent régulièrement. Ici, le contact humain est en première ligne. Il en résulte une coopération dépendant de l’engagement constant des partenaires.

C’est pourquoi, l’ouvrage pêche par l’absence d’analyse des actions de structures transfrontalières œuvrant à pallier l’absence et/ou la volatilité des contacts institutionnels dont la sphère politique est dépendante. On pense ici, par exemple au Comité économique et social de la Grande Région ou à l’IGR (Institut de la Grande Région), qui regroupe des acteurs du quotidien actifs et passionnés par le fait frontalier. Ici, l’auteur fait la part belle au GETC (Groupement européen de coopération territoriale) de droit luxembourgeois qui comprend deux membres, le Conseil régional Grand Est et le ministère du Développement durable et des infrastructures (MDDI) du Grand-Duché de Luxembourg.

Sans minorer le travail du GETC, cette institution n’est pas non plus l’alpha et l’oméga du futur transfrontalier au sein de cet espace. Il faut en effet tenir compte des entrepreneurs privés, des employés navetteurs, de la frilosité des Etats, etc. Alors, la Grande Région transfrontalière devra-t-elle accéder un jour à une sorte de „suprarégionalisation transfrontalière“? C’est une hypothèse qui est loin d’être écrite dans le marbre et dépend de ce que les Etats membres voudront bien lui accorder dans le futur, mais surtout d’une gouvernance encore à inventer qui soit à la hauteur des enjeux.