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Rebelote

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Toutes sortes de roboticiens, mais surtout des mystiques de l’IA (= intelligence artificielle) tels que Ray Kurzweil, véritable pape de cette nouvelle foi au sens de néo-Eglise, n’arrêtent pas en ce moment de nous bassiner avec leurs prêches sur l’arrivée et le commencement, enfin, sur notre planète de l’ère de la singularité technologique, lire robotique et ses conséquences, cette nouvelle religion dont l’Evangile est cependant dépourvu de tout Rédempteur potentiel tel que celui que nous avons appris par nos origines chrétiennes.

De Dr. Nicolas Hoffmann*

Origines dont les politiques ne cessent pas non plus ces derniers temps de nous rebattre les oreilles, ces origines étant certes exactes, bien que seulement en partie, car nous avons aussi d’autres origines, nous le savons bien, plus anciennes et arrivées à la queuleuleu, pour ne mentionner que les Grecques, les Etrusques, tenez donc, les Romaines et bien évidemment les précédentes de celles-ci, plus d’autres encore plus lointaines que je veux bien avouer mal ou ne pas connaître …

Cette nouvelle croyance nous prédit pour très bientôt d’une part une élite restreinte de véritables élus avant la lettre, humains cyber-organiques et leurs lieutenants, devenus pratiquement les maîtres du monde et par conséquent seigneurs de ces autres humains, ordinaires comme ceux d’avant la Révolution française de 1789, et d’autre part une foule massive et massifiée, juste survivante et composée de serfs = esclaves à l’ancienne en toutes lettres, personnes autrefois normales, c’est vrai, mais dorénavant laissées pour compte de la société et vivant des existences minables, car dessaisis de leur travail par les robots.

Tout comme les existences de nos pauvres d’aujourd’hui, 2018, cette étendue de temps pendant laquelle règne pratiquement partout dans le monde l’ultra-libéralisme (je mets l’accent sur ultra) devenu ubiquitaire et sévissant même en Chine, appelée encore populaire, mais en fait, comprenne qui pourra, dictature véritablement communisto-capitaliste, en soulignant le dernier mot, la horde de serfs dont les membres auront ré-intégré leurs fonctions et statut anciens, continuera cependant de vivoter, probablement grâce à leur revenu universel inconditionnel enfin devenu réalité et lequel sera charitablement et équitablement, c’est le moins qu’on puisse espérer, réparti entre eux par leurs nouveaux propriétaires, seigneurs et maîtres. Bel avenir en perspective pour l’humanité, et Hauts-les-cœurs! (Je n’ai pas dit hauts de cœur …)

Pour ce qui est d’une première partie, peu nombreuse, d’entre ces nouveaux sous-hommes, ceux les plus forts, les plus déterminés, les plus intelligents et aussi les plus sages – indigence n’exclut point sagesse – parmi cette masse soumise au pouvoir des hommes-machines mettront certainement à profit leur temps devenu intégralement libre à développer au maximum leurs dons intellectuels et corporels rémanents, id est restés en place dans leurs corps et cerveaux non connectés et par conséquent non boostés par les ordinateurs, du branchement sur lesquels ils auront été exclus.

Ils se consacreront, à condition que cela ne leur soit pas interdit et que leur revenu inconditionnel y suffise, aux études de toutes espèces et matières y compris la réflexion sociale, philosophique et politique, aux arts de toutes diversités et azimuts, aux sciences de tout genre. Et probablement surtout celles qui s’appelleront alors „sciences ex-classiques ou sciences traditionnelles hors-IA, ou sciences pré-cyberhumaines“, comme vous voulez, avec toutes leurs branches et sous-branches que ces secteurs comportent.

Avec leurs milliards de milliards de synapses (= connexions entre cellules nerveuses) cérébrales potentielles ils feront alors peut-être preuve d’ingéniosité en inventant de tout nouveaux passe-temps, car contrairement à notre temps présent, leur temps libre à eux sera long, énormément. Il s’agira donc en fait de passe-temps, de passer-les-temps-vides ou encore de comblements-du-temps, quel que soit le nom qu’on appliquera à ces vastes laps de temps d’inactivité forcée. Et de nouvelles activités en matière de sports et loisirs verront éventuellement le jour que jusque-là personne n’aura encore jamais imaginées parmi les humains existants en ce moment tels que nous.

Sentiment d’impuissance

Pour la seconde partie de ceux de cette majorité de l’humanité non physiquement-connectée aux machines ordinatrices (comme j’ai désormais envie d’appeler en français correct les „computeurs“) la fraction plus nombreuse de ceux moins forts, d’abord au sens propre physique, mais aussi au sens psychique du mot, ceux moins doués, moins volontaires et aussi moins chanceux que la partie évoquée dans l’alinéa ci-dessus, mais qui méritent autant sinon encore plus de respect et de considération que les précédents, ce sera au petit bonheur la chance comme on disait autrefois ( c’est-à-dire en laissant faire la chance = le hasard) que leur destin s’accomplira.

J’espérerai de tout cœur – je l’ai déjà exprimé dans un Forum antérieur – pour eux que le fait de ne plus savoir quoi faire de leurs vies dés-oeuvrées et de leurs existences vaines, cet envahissant sentiment d’impuissance devant le vide, la vacuité et l’inutilité abyssales (qu’ aucune parmi les drogues actuellement connues n’arrivera à soulager) de leurs contenus de vie ne finisse pas de rapidement les plonger dans une dépression et un désespoir si profonds que fatigués de ce séjour au milieu de congénères ne présentant plus pour eux la moindre attraction, cela ne les amène à une acmé d’inanité telle que leur instinct de reproduction pourtant d’une force pulsionnelle réputée invincible, ne s’étiole lui aussi et finisse dans l’extinction de l’espèce.

Fin définitive alors dans l’éventail du vivant de l’espèce appelée homo sapiens. Et place à celle des humanordinés (néologisme!) augmentés. Nous ne pouvons évidemment pas savoir si la race de ces hommes-machines, ou machines-hommes, comme vous voulez, tiendra le coup, elle, longtemps avant de s’éteindre à son tour. Mais en toute hypothèse: „Brave New World“, comme dirait Aldous Huxley. A moins que ceci ne soit la solution inattendue mais définitive du problème de l’expansion exponentielle de la démographie mondiale et des énormes problèmes de subsistance qu’elle entraîne et qui commencent à se faire apercevoir dans les parties défavorisées du monde tout en restant non réglées jusqu’ici, car considérés insolubles, même par la force. Voir la Chine sous Mao!

J’arrête de mettre le lecteur à l’épreuve avec mon scepticisme pour en arriver finalement à une lecture passablement revigorante faite ces jours-ci dans un hors-série du Monde ayant pour titre „Dans la tête des robots“. Ce cahier dégonflera à coup sûr la bulle indue d’intérêt créée autour des cyberhumains par les fanas de l’IA comme Ray Kurzweil devenu directeur scientifique de Google et son maître à penser John McCarthy.

La prise de pas, je veux dire le dépassement de l’IA sur l’IH, prédite d’abord pour 2034, a été reportée vers 2045, dans 27 ans. Cette prédiction, à la fois moins précise et moins assurée que la précédente, ne m’en paraît cependant pas moins aléatoire et discutable que celle-là, et ce sont donc nos enfants, petits-enfants et leur suite qui verront ce qu’il en sera.

L’IA n’est pas de l’intelligence

En guise de conclusion je citerai, puisé dans ce hors-série récent auquel cela vaut vraiment la peine de consacrer plusieurs soirées de lecture, des extraits de l’article de Frédéric de Gombert intitulé „L’homme continue d’avoir le dernier mot“: Parler d’intelligence c’est donner l’illusion d’un ordinateur doté de compétences cognitives le conduisant vers l’autonomie. Or … l’IA n’est pas de l’intelligence. Aujourd’hui personne ne sait encore comment reproduire une IH. Et ce n’est pas en agrégeant des programmes spécialisés dans le jeu ou le classement d’images (exemple l’imagerie médicale) que nous y parviendrons … Bref l’IA n’est plus ni moins qu’une capacité d’analyse et de traitement extrêmement rapide de grandes masses de données dans un délai court.
Une capacité dépendante d’un contenu dispensé de près ou de loin par l’homme … par ex. Alpha-go (ayant battu le champion coréen de go, c’est encore moi qui précise) avait été nourri de milliers de parties jouées par des professionnels, afin d’apprendre le raisonnement humain (idem à propos de la partie d’échecs contre Kasparov et du jeu télévisé Jeopardy) … et les brillantes idées qui ont permis de réaliser ces programmes ont été générées par l’homme. Cqfd!

* L’auteur est directeur honoraire de la Commission européenne et ancien chef du service médical de l’institution.