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ForumObligez-nous! – lettre ouverte aux décideuses et décideurs politiques

Forum / Obligez-nous! – lettre ouverte aux décideuses et décideurs politiques
 Photo: dpa/ZB/Ralf Hirschberger

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Mesdames, Messieurs les ministres,

une nouvelle vague de la covid-19, et ce n’est pas du cinéma, inonde notre pays, l’Europe, le monde entier. Il y en aura d’autres, peut-être même des tsunamis, tant que la population mondiale ne sera pas correctement vaccinée. Au Luxembourg, grâce à un excellent système de santé avec son infrastructure moderne et efficace et ses soignantes et soignants motivés et compétents, l’urgence n’est pas (encore) médicale. Mais elle est sociologique et psychologique. La pandémie met à mal le vivre ensemble de la société en semant la zizanie jusqu’à l’intérieur même des entreprises, des partis, des cercles d’ami.e.s, des familles même. La polarisation de la société est devenue telle qu’on se croirait revenu aux pires pugilats de l’affaire Dreyfus et l’agressivité, pas seulement verbale, monte entre père et fille, sœur et frère, voisin et copine, amies et adversaires politiques. Samedi dernier, devant les menaces physiques des marcheurs blancs, deux de vos collègues du gouvernement, Xavier Bettel, homosexuel affiché, et Corinne Cahen, issue de la communauté juive, ont été mis sous protection policière, pour le dire avec un euphémisme. Et pour le dire aussi avec Brecht: „Der fruchtbare Schoss wird wieder furchtbarer.“ En cause, la „Gréitchefro“ toute simple: es-tu pour ou contre la vaccination? A laquelle Hamlet répondrait: „Etre pour ou ne plus être.“

Scientifiques et décideuses sont unanimes aujourd’hui à considérer que la vaccination est la seule issue à la crise actuelle. Si elle ne protège pas à 100% contre une infection, elle met à l’abri presque toujours d’une évolution grave, voire fatale de la maladie. La troisième injection, souvent critiquée, est la règle pour presque toutes les vaccinations. La technique ARN, à l’origine des vaccins Pfizer et Moderna, rend plus facile de futures adaptations à des mutations, inévitables aussi longtemps que toute la population mondiale ne sera pas complètement vaccinée. Car fermer les frontières ne sert à rien, sinon à „punir“ des pays, comme aujourd’hui l’Afrique du Sud, exemplaires en matière de transparence et de recherche. Isoler ces pays ne fera que les rendre plus pauvres et donc plus vulnérables à la propagation du virus qui frappera inévitablement les pays „riches“. Faire bénéficier le „Tiers Monde“ du vaccin n’est pas une question de générosité ni même de morale mais surtout d’égoïsme bien compris et de politique sanitaire efficace. Le monde vivra alors non pas sans le virus mais en équilibre avec lui. Ce sera, comme pour la grippe ou le tétanos, une paix armée avec le vaccin comme missile.

Mais en attendant, Mesdames, Messieurs les décideuses et responsables politiques, il faut faire en sorte que la population vivant au Luxembourg soit (quasi) entièrement vaccinée. Jusqu’à présent vous avez, avec les moyens du bord, pas trop mal géré la crise. On vous a certes reproché de réagir au lieu d’agir, (le plus) souvent trop tardivement. La communication n’a pas été parfaite, loin de là, mais il est trop tard pour y remédier. Vous avez décidé d’organiser une „Impfwoch“ et nous vous en félicitons. Bravo! Si malgré cela, et nous en avons bien peur, on ne sera pas parvenu au taux efficace de plus de 90% de vaccinés, vous devez vous rendre à l’évidence. Il faudra imposer l’obligation vaccinale! Une „Impfpflicht“ (à l’image de notre „Wahlpflicht“) sans „Impfzwang“, c’est-à-dire sans policiers qui traîneraient manu militari les récalcitrants devant l’injection tant redoutée. En France, pas moins de 11 (onze!) vaccins sont obligatoires. Au niveau du globe, certaines vaccinations sont devenues inutiles faute de combattants. La variole, par exemple, a disparu après plus d’un siècle de vaccination. Aux sceptiques qui ont peur que la vaccination pourrait affaiblir le système immunitaire, vous devez répondre, en écoutant les scientifiques, que c’est le contraire qui est vrai: le vaccin renforce le système immunitaire, exactement comme l’entraînement sportif fortifie et rend plus performant les muscles. Vous pouvez aussi leur répondre que si en dictature il y a des devoirs sans droits, en démocratie il n’y a pas de droits sans devoirs. Et que la liberté absolue n’existe pas: la liberté individuelle est tributaire de la chimie de notre cerveau et la liberté sociale s’arrête là où commence celle de l’autre.

Protéger les plus faibles

Le psychanalyste Jacques Lacan a dit que la médecine fonctionne parce que les thérapeutes incarnent des „sujets supposés savoir“. Aujourd’hui, marches blanches et réseaux sociaux aidant, les médecins sont considérés comme des sujets supposés ignorer et les politiciennes des sujets supposés mentir. Il faut donc commencer par restaurer la confiance. Mais qui dit confiance dit conscience et autorité. Et cette dernière ne s’oppose pas forcément à la liberté, comme nous l’a appris Hanna Arendt, qui a beaucoup réfléchi sur les totalitarismes. „L’autorité a le devoir de limiter la liberté afin de la protéger“, écrit-elle. Vous devez donc agir, Mesdames, Messieurs les décideurs, comme le jardinier qui coupe son olivier en hiver pour arrêter la prolifération anarchique des branches, afin de préserver la fertilité et, partant, la vie de son arbre. Mais Hanna Arendt a dit aussi, à propos du procès d’Eichmann: „Niemand hat das Recht zu gehorchen.“ Le Luxembourg reste, et c’est le moment de le répéter haut et fort, un Etat de droit, encadré par une Constitution qui servira utilement de guide et de garde-fou dans cette véritable quadrature du cercle. Les études d’opinion semblent montrer qu’une grande majorité de la population approuve l’obligation vaccinale contre la covid-19. Elle accepte de moins en moins qu’une minorité la prenne en otage en lui interdisant de facto de voir ses proches. Face à une minorité bruyante et de plus en plus violente, la majorité silencieuse veut sortir de son silence. Dans nombre de maisons de retraite, jusqu’à 10% des pensionnaires ne sont pas correctement vaccinés, souvent suite au refus de leurs familles, alors que les intéressé.es. ne sont même pas sous tutelle. En cas de cluster, comme c’est actuellement le cas, les co-pensionnaires vaccinés sont confinés dans leur chambre avec, comme on peut aisément imaginer, tout ce que cela entraîne comme gravissimes conséquences psycho-médicales. Dans les hôpitaux, des interventions commencent de nouveau à être reportées, des diagnostics et des traitements sont dangereusement repoussés, le personnel est au bord, voire parfois au-delà du burn-out.

Les nouvelles mesures que vous venez (heureusement) d’introduire avec l’énergie du désespoir interdisent pratiquement toute vie sociale aux non-vacciné.e.s, sauf celle d’aller travailler. Ces derniers se retrouvent alors dans une situation que les psychiatres appellent le double-lien: vous leur avez envoyé, Mesdames, Messieurs les décideurs, un message paradoxal, disant une chose et son contraire, de sorte que ces malheureux ne savent littéralement plus à quel saint se vouer. Vous leur signifiez, en somme, qu’ils et elles ne sont pas (encore) obligés de se faire vacciner, mais qu’ils sont en quelque sorte des pestiféré.e.s qui n’ont plus droit à aucune vie sociale de loisirs. Ce double-lien, en psychiatrie, engendre des psychoses, dans le cas qui nous occupe il démultiplie l’angoisse, la peur et l’agressivité qui en découle. La plupart des non-vaccinés, en leur for intérieur, se sentiront soulagés, parfois inconsciemment, et vous sauront gré de prendre à leur place la décision de se faire vacciner. Ils seront protégés et réadmis dans la communauté, sans devoir perdre la face. Souvenez-vous du tollé initial qu’ont provoqué, en leur temps, l’interdiction du tabac dans les lieux publics ou encore la limitation de la vitesse sur les routes. Les protestations sont retombées comme un feu de paille faisant place à un large consensus. La démocratie, à ma connaissance, n’en est pas sortie rabaissée, bien au contraire. Imposer les tests au travail, sans recourir jusqu’à l’obligation vaccinale, est un moindre mal. Mais c’est un mal quand-même, un mal qui discrimine encore une fois les travailleurs et salariées qui rendent le plus service à leur pays, en trimant dans des emplois (soignants, enseignants, caissières, hommes de ménage, etc.) peu propices au télétravail, sans parler même du coût de ces tests qui frappe évidemment plus fort la bourse du pauvre que celle du riche.

Mesdames, Messieurs les politiques, en décrétant l’obligation vaccinale, vous pouvez agir au lieu de réagir, reprendre la main face à la crise et endosser la posture de l’homme et de la femme d’Etat. Vous allez pouvoir prouver que l’Etat n’est pas un simple prestataire de services qui s’adresse à des usagers qui considèrent l’Etat comme un butin, pour reprendre l’expression du sulfureux juriste Carl Schmitt. Car l’Etat démocratique a pour objectif de s’opposer à la loi naturelle du „survival of the fittest“, découverte par Darwin. Loin de rogner cet Etat démocratique, vous allez, par l’obligation vaccinale, le fortifier, car vous allez protéger les plus faibles. En effet, ce sont bien eux, les plus faibles, tant sur le plan médical que sur le plan social, qui pâtissent en premier des conséquences de la crise. En ayant pris la liberté de voter pour vous, les citoyennes et électeurs vous ont conféré le droit (mais aussi le devoir!) de faire des lois qui, dans certains cas bien définis, restreignent leurs libertés avec „l“ minuscule. Pour préserver leur Liberté avec „L“ majuscule. Vous rendrez ainsi à vos électrices et à tous les habitants de ce pays leur dignité de citoyen majeur et vacciné.

Veuillez croire, Mesdames, Messieurs les ministres, en mes sentiments les plus distingués et surtout en ma solidarité avec vous dans ces moments de choix difficiles et décisifs.