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ForumConflans … Cui bono?: Il y aura un avant et un après Conflans

Forum / Conflans … Cui bono?: Il y aura un avant et un après Conflans
 Photo: AFP/Bertrand Guay

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Conflans-Sainte-Honorine est une commune française du département des Yvelines dont l’histoire était liée, jusqu’au 16 octobre 2020, plus à la batellerie qu’à la barbarie. La peste du terrorisme en a décidé autrement en assassinant  – par décapitation! – non seulement un professeur du collège du Bois d’Aulne âgé de 47 ans – Samuel Paty – mais encore, à travers lui, un symbole, qui est en même temps un droit inhérent à la condition humaine: celui de la liberté d’expression.

Nous savons que l’Histoire bégaie, mais c’est à chaque fois la même horreur qui saisit tout citoyen animé par les valeurs essentielles défendues par des générations d’hommes et de femmes, comme par exemple les philosophes du siècle des Lumières, qui avaient à cœur d’éclairer les peuples d’Europe avec la lumière de la raison et de la connaissance. Parmi eux, Voltaire, si souvent cité à l’occasion des attentats qui ensanglantèrent la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo en janvier 2015. Nos ancêtres des Lumières nous ont appris la tolérance, la liberté et l’humanisme. Qu’en est-il vraiment depuis quelques années? Charlie, l’Hyper Cacher, le Bataclan, la promenade des Anglais de Nice, etc. Et maintenant Conflans. Quousque tandem abutere patientia nostra? „Jusqu’à quand enfin abuseras-tu de notre patience?“: telle est la question que l’on aurait envie de poser au terrorisme prétendument islamique, mais en réalité islamiste, porteur d’une idéologie liberticide, si on l’avait devant nous. L’effroi et l’horreur sont pour l’instant nos seules réponses …

Quel a été le crime de ce professeur d’histoire géographie? Montrer des caricatures de Mahomet à ses élèves … Son assassinat, acte bestial qualifié d’„islamiste caractérisé“ par le président français, soulève une énième fois la question de la liberté d’expression et de pensée dans la société des hommes. Une liberté une fois encore bafouée par l’indicible et l’inimaginable. Il n’est pas anodin de souligner que ce meurtre a été perpétré contre un enseignant, car le propre de tout enseignement – qu’il soit d’ici ou d’ailleurs – est précisément d’éduquer au pluralisme et de forger l’esprit critique. C’est tout l’honneur de l’éducation nationale: préparer l’élève à devenir un citoyen ouvert à autrui et au monde, en un mot apprendre à cultiver l’altérité. C’est aussi toute sa noblesse. Fallait-il pour autant payer de sa vie un tel exercice de liberté?

Inviter à l’examen critique

La démarche de Samuel Paty a certainement été jugée dangereuse par son bourreau parce que contraire au dogmatisme. Un parangon d’intolérance ne peut que rejeter la critique ou le doute. Or la démarche de ce professeur sacrifié sur l’autel de la liberté d’expression est le fondement même de tout apprentissage humaniste: inviter au scepticisme (du grec ancien „skeptikos“, „qui examine“). Mais notons qu’il s’agit d’un scepticisme qui affirme avec conviction les valeurs qui le rendent possible et qui cherche, à travers le dialogue, à engager un cheminement, sinon vers une vérité absolue, du moins vers une meilleure compréhension des désaccords rationnels entre les êtres humains.

Tout sujet peut être abordé par un professeur désireux d’étonner, d’agiter, de remuer, d’inquiéter ses élèves – parfois même de les brusquer – pour les faire réfléchir. Le scepticisme possède une vertu pédagogique. Inviter au scepticisme c’est inviter à la défiance, à l’examen critique. Le scepticisme permet de remettre en cause des idées reçues ou couramment admises. Il s’exerce par rapport à des opinions, des valeurs et même des croyances. Il affirme qu’il ne peut pas y avoir de certitude unique aux réponses induites par les interrogations humaines. Il clarifie l’esprit et le déleste de ses fausses convictions. Il est un antidote à l’absolu et donc à toute forme d’obscurantisme. Les bourreaux de l’humanisme ont précisément en exécration l’expression libre de la raison individuelle. Chaque coeur libre et chaque esprit clairvoyant incarne pour eux l’impiété. L’impiété qu’il faut éliminer, même physiquement. Mais ne sont-ce pas eux les vrais impies? Eux qui se substituent à Dieu pour châtier des offenses qui ne concernent que Dieu? Eux qui prétendent parler au nom d’un Dieu de justice? Si Dieu est grand, il se fera justice lui-même, s’il l’estime nécessaire. Et s’il est juste, il exécrera ceux qui se servent de son nom pour tuer des gens qui ne font rien d’autre que de se servir de leur raison, de ce rayon lumineux qui est le plus beau cadeau que Dieu, s’il existe, a fait aux hommes.

Ne cédons pas à la peur

Le principe de l’enseignement est de faire réaliser à l’élève qu’il n’y a pas de dogme tout fait, que le „prêt-à-penser“ – surtout celui que l’on instrumentalise – est souvent pernicieux. L’homme de la pensée unique creuse sa propre servitude, mais faut-il pour autant creuser la tombe des autres? Il est aussi de lui faire comprendre que chaque être humain possède sa propre perception, déclinée selon le pouvoir de sa raison et de son libre arbitre. C’est à ce prix qu’on arrache les élèves au réflexe grégaire et qu’on leur permet de s’appartenir, en pleine conscience, à travers la réflexion. C’est à ce prix qu’on éveille en eux les principes de responsabilité, de solidarité, de tolérance, d’humanisme. L’écrivain et philosophe George Steiner a déclaré dans un entretien que „l’enseignement est la maladie de l’espoir nécessaire“. Essayons de conserver intact cet espoir, tout comme notre capacité à nous indigner. Ne cédons pas à la peur. Il en va de la dignité d’une profession, de la dignité humaine … Fluctuat nec mergitur!