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Un monde immonde„Quand une démocratie est malade …“

Un monde immonde / „Quand une démocratie est malade …“
Il pleut de nouveau des bombes sur Gaza, des bombes aveugles, qui tuent aveuglément Photo: AFP/Mahmud Hams

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Je n’aspire pas à être expert de la marche du monde, mais je sens des choses. Je sens la dérive et le besoin de mettre des mots dessus. Ce seront des mots subjectifs, nécessairement intimes. Des mots inermes, qui, je le sens aussi, ne changeront rien. Mais je les écris.

07/05/23

Nous en sommes de nouveau là. Pour le dire avec Albert Camus: „Quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet, mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles.“ On pourrait remplacer fascisme par extrême droite. On pourrait aussi écrire: „Quand les gens se sentent déclassés et n’arrivent plus à joindre les deux bouts, l’extrême droite vient à leur chevet, mais ce n’est pas pour prendre de leurs nouvelles.“ L’extrême droite qui, en France, jure, dur comme fer, qu’avec le fascisme, elle n’a plus rien à faire, qu’elle s’est auto-dédiabolisée, que rien à voir avec Mussolini, Hitler, Franco et les autres. Et pourtant.

Ce n’est pas ce qu’on a vu dans les rues de Paris, hier. Cet escadron d’un demi-millier de néo-nazis, brandissant croix celtiques, portant cagoules noires et gants de combat coqués, gueulant leurs slogans immondes. Une manifestation autorisée par la préfecture, alors que les casserolades anti-Macron contre la retraite à 64 ans sont le plus souvent interdites. Pas de risque pour l’autorité, a estimé le préfet. Les gants de combat, les cagoules, les visages masqués, du simple folklore quoi.

Voilà donc que les nazillons s’emparent de la rue, paradent ouvertement. Ce n’est qu’une poignée d’ultras dira-t-on, le reste de l’extrême droite, celle qui roule pour Le Pen ou Zemmour, est rentré dans les rangs de la démocratie. Regardez Meloni en Italie, dira-t-on. Oui, je la regarde, et vois le zèle qu’elle met à rendre la vie impossible aux immigrés. Certes, elle n’a pas encore réussi à mettre en place ce qu’elle avait appelé de ses vœux, à savoir un „ blocus en mer Méditerranée“, ce qui lui a d’ailleurs valu des reproches de Gérard Darmanin, le ministre de l’Intérieur français, lui qui, avec son gouvernement, fait tout pour durcir les conditions d’arrivée des migrants en France. Signe que ce que l’ultra-droite beugle, en matière d’immigration, fait depuis longtemps partie de l’establishment.

Or, dans le cortège néo-nazi parisien, il y avait des proches, des très proches de Marine Le Pen. Mediapart, bien informé en la matière, a révélé que l’un d’eux pilotait la cellule financière de la campagne présidentielle du Rassemblement national. En 2017. Bien entendu, la candidate a pris ses distances. Cela gêne la normalisation qu’elle clame haut et fort. Sa marche inexorable vers l’Elysée se passerait bien de ces encombrantes affinités électives.

Ceci, alors qu’ailleurs en France, cette même extrême droite qui se veut dédiabolisée, continue bien entendu de montrer ses poings. Contre des élus qui osent installer dans leurs communes des centres d’accueils pour demandeurs d’asile, par exemple. On ne se contente plus d’organiser des manifs, on en est passé aux intimidations des maires, aux menaces de mort, et elles ne sont pas que verbales. Le feu a été mis à la maison d’un élu. Des habitants qui se mobilisent en faveur de l’accueil sont, eux aussi, pris à partie. Cela nous replonge dans la réalité de la montée du fascisme. D’un côté, les idées nauséabondes, de l’autre, de plus en plus, le gourdin. Avec, comme toujours, un bouc émissaire. Jadis, c’étaient les Juifs, maintenant ce sont les étrangers. Une stratégie de la peur, qui a poussé des communes à jeter l’éponge. Et certains élus, traumatisés, ont préféré démissionner. L’escalade a commencé, où s’arrêtera-t-elle?

10/05/23

Il pleut de nouveau des bombes sur Gaza. Des bombes aveugles. Qui tuent aveuglément. Des enfants, des femmes, des personnes âgées. Les missiles visaient des officiers du Jihad islamique. Des exécutions donc. Sans jugement. En démocratie, ça s’appelle assassinat. Assassinat aveugle. Parce que ce n’est pas un sniper qui prend les personnes à abattre dans son viseur. La bombe tombe dans les maisons. Celle qui a tué Tarek Az Aldin a déchiqueté également deux de ses enfants, Ali et Mayar. Ils avaient neuf et sept ans. Leur tort, vivre en famille, avec leur père. Un second missile a ravagé l’appartement de Khalil al-Bathini. Et assassiné sa fille de quatre ans, une autre de ses filles encore plus petite, alors qu’une troisième a les jambes broyées.

On n’attend donc même plus que les cibles soient isolées. Qu’importent les dégâts collatéraux. On, c’est-à-dire le gouvernement israélien. On décrète qui est à abattre et on passe à l’acte. Ravageant tout l’entourage. Détruisant. Réaction de Benjamin Netanyahou: „parfaite“, l’opération. Quelle immonde perfection! Les pertes qu’il juge „ proportionnelles“, encore un adjectif qui donne froid dans le dos, il les assume. Effacer des familles entières ne lui fait ni chaud ni froid. Netanyahou le dit ainsi: „Aujourd’hui, les ennemis d’Israël à Gaza et au-delà savent que même s’ils essaient de se cacher, nous pouvons et allons les atteindre à tout moment.“ Comment appelle-t-on déjà l’assassinat de civils en temps de guerre? Ailleurs, en Ukraine, ce sont des crimes de guerre.

Mais d’où donc Israël tire-t-il la légitimité de ses actes? La rhétorique officielle veut qu’il s’agit de se parer contre la menace que fait peser le „terrorisme“ palestinien sur le pays. Il s’agit donc de frappes préventives. On tue qui pourrait constituer une telle menace. Même si rien ne dit qu’il y aura passage à l’acte. C’est comme si l’on exécutait un lambda, jugé susceptible de commettre un crime. Superflus les tribunaux. Superflue la justice.

On dit aussi qu’il y a spirale de violence, que la violence répond à la violence. La preuve, les missiles tirés depuis Gaza. Et les morts en Israël. Qu’œil pour œil donc, dent pour dent. Sauf que, oui, sauf qu’Israël est une force occupante, et la Palestine un territoire occupé. Sauf que, donc, il y a agression d’un côté, résistance de l’autre. On aura beau taxer tout Palestinien qui résiste de „terroriste“, la résistance à l’occupant a de tout temps été plus légitime que l’occupation. Une résistance qui ne s’arrêtera – et avec elle la spirale de violence – que quand cessera l’occupation. On sait donc dans quel camp est la balle.

15/05/23

La Turquie n’en est pas encore à l’après Erdogan. Quel paradoxe: voilà un pays de 64 millions d’habitants faisant pâlir plus d’une démocratie occidentale, puisque neuf citoyens en âge de voter sur dix ont fait usage de leur droite de vote, un pays qui, cependant, n’est pas près de se débarrasser de l’autocratie. Et même s’il y aura un deuxième tour joué d’avance, l’AKP, le parti du président, et ses alliés, sont dès aujourd’hui assurés de la majorité absolue au parlement. Les sondages avaient osé croire à une victoire de Kemal Kiliçdaroglu. Las, Erdogan a tenu bon.

Cela dit, les deux coalitions comptent dans leurs rangs d’encombrants intrus. Kiliçdaroglu a beau se proclamer kémaliste, il ne s’est pas moins acoquiné avec une formation d’extrême droite, „Le bon parti“. Erdogan ne fait pas mieux avec, dans sa coalition, le MHP (Parti d’action nationaliste) au lourd passé fascisant, sinon fasciste. L’extrême droite donc, dans le rôle de faiseuse de rois. Des deux côtés. Un classique dans lequel les électeurs, craignant l’instabilité au cas où l’opposition à Erdogan l’emporterait, préfèrent miser sur la continuité qui, elle non plus, n’est pas rose. Le moins pire, face au pire. Le 28 mai prochain, au soir du second tour, Erdogan n’aura donc pas besoin de rendre les clés de son gigantesque palais aux mille chambres d’Ankara.

18/05/23

Deux ex-présidents de deux grandes démocraties auto-proclamées, les Etats-Unis et la France, aux portes de la prison, cela en dit long sur l’état d’érosion des élites politiques. Oh, de telles pointures, contrairement à de simples voleurs de pains, ne risquent pas de voir une cellule de l’intérieur. Parce qu’il y a la justice des riches, et celle des autres. Trump, qui, brigue de nouveau le mandat de président pour 2024, s’en tire avec ce qu’il sait faire le mieux: payer en cash. Condamné pour agression sexuelle, il devra mettre sur la table cinq millions de dollars, et le voilà blanchi. Cinq millions, c’est-à-dire de la menue monnaie pour le milliardaire qu’il est. Bon, il traîne d’autres casseroles qui vont de la fraude fiscale à l’incitation à l’insurrection, et ça risque de faire mal. Est-ce que cela l’empêchera pour autant d’être le candidat des Républicains dans la présidentielle à venir? Le média en ligne Vox donne la réponse: il y a un précédent. Eugene Victor Debs, en 1920. Un socialiste. Son délit. Avoir prononcé un discours contre l’engagement américain dans la Première Guerre mondiale. Cela lui a valu une peine de dix ans ferme. Sa campagne électorale, il l’a faite depuis sa cellule du pénitencier d’Atlanta.

L’autre ex, c’est Sarkozy. Lui aussi traîne, depuis des années, bon nombre de casseroles derrière lui. Pour l’une d’elles, le verdict est tombé hier: il a écopé d’une peine de trois ans de prison, dont un ferme. Pas si ferme que cela d’ailleurs, puisque, en VIP qu’il est, il pourra rester chez lui, à condition qu’il porte un bracelet électronique. C’est pour „corruption et trafic d’influence“ que l’ancien président a été condamné. A vrai dire, un premier jugement, un peu plus clément, lui avait valu, en décembre dernier, trois ans avec sursis, et il avait fait appel. Mal lui en a pris. Ne lui reste maintenant que le pourvoi en cassation.

Le symbole est fort, deux fois plutôt qu’une, parce qu’il dit aussi que la justice fonctionne, que face à elle, ex-président ou pas, Sarkozy est un citoyen comme un autre. Presque, en tout cas. Puisque lui non plus ne verra pas de l’intérieur les barreaux d’une cellule. A moins que les autres casseroles en veuillent autrement. L’ex-président est, entre autres, mis en examen pour „association de malfaiteurs“ et „corruption“ dans le scandale dit des „financements libyens“ où il lui est reproché d’avoir obtenu, en 2007, pour sa campagne électorale, un financement dit occulte de Mouammar Kadhafi, le „Guide de la Révolution“, qui, lui, on le sait, a fini assassiné à la va-vite en 2011, lors de l’intervention militaire de l’ONU en Libye. La France, dont Sarkozy était le président, avait fait du zèle à l’époque, pour qu’on en finisse avec Kadhafi. Etait-ce parce qu’il aurait pu parler, si on l’avait capturé vivant?

Sur l’auteur

Jean Portante est écrivain. Toutes les deux semaines, il publie ici des extraits de son journal intime commentant l’actualité avec un regard lucide et acerbe.

Jean Portante
Jean Portante Photo: Editpress/Hervé Montaigu