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LuxFilmFestOn n’est pas des animaux

LuxFilmFest / On n’est pas des animaux

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Présenté hors compétition au début du Luxembourg City Film Festival, „Animals“, le nouveau film du réalisateur belge Nabil Ben Yadir est en salles depuis mercredi dernier sur les écrans du Ciné Utopia. Un film de 90 minutes extraordinairement dérangeant, qui risque de marquer les esprits avec sa tentative de représentation naturaliste et réaliste de la violence – et qui ne manquera pas de susciter des discussions enflammées. Le film se concentre sur les dernières heures et l’assassinat d’un jeune homme – la première victime publiquement reconnue d’un meurtre à caractère homophobe en Belgique – ainsi que sur les premières heures du monstre, comme Ben Yadir le dit, d’un des auteurs responsables.

Le Tageblatt s’est entretenu avec le réalisateur sur ces motivations autour de son film, sur la manière dont il a approché le père du défunt Ihsane Jarfi et sur la manière dont la notion de cinéma peut être définie et pensée dans le contexte d’une histoire vraie aussi violente. Et bien évidemment, la conversation a aussi porté sur la moralité des mises en scène de la violence.

Tageblatt: Comment avez-vous formulé le pitch de votre film aux futurs producteurs et productrices?

Nabil Ben Yadir: L’avantage était que j’étais moi-même mon producteur. Donc je me suis parlé au miroir. J’ai dû me convaincre moi-même. C’est un film inpitchable en fait. On ramenait „Animals“ toujours à la réalité: c’est le dernier jour d’Ihsane Jarfi et le premier jour du monstre, de son assassin.

Vous avez suivi le procès, justement, des meurtriers d’Ihsane Jarfi. Est-ce que ce procès a confirmé votre volonté d’attaquer ce sujet et est-ce qu’il a nourri votre scénario par après?

C’est une phrase qu’un des meurtriers a dite lors du procès qui fut un moment déclencheur: „On est pas des animaux.“ D’où le titre. De là, je me suis dit, tiens, ça raconte quelque chose. Je pense que la violence commence avec l’absence de mots ou de mots justes. Et je pense que c’est une forme de la violence dans la société: l’appauvrissement du vocabulaire est une forme de violence. Après, je rencontrais également le père d’Ihsane pendant le procès. Et quand je lui ai dit que j’envisageais d’en faire un film mais que je n’en étais pas sûr, il m’a tout de suite encouragé et donné carte blanche, comme on dit. Et l’idée était: comment faire du cinéma avec une histoire aussi tragique.

Cette carte blanche était-elle sous forme de soutien de principe ou une collaboration dans la mesure d’un troisième co-scénariste à côté de vous et d’Antoine Cuypers?

Non, pas du tout. Vous savez, ce qu’il a vécu était frais et cela restait toujours aussi frais pour lui. C’était le procès qui nourrissait le scénario et les discussions avec Hassan, le père d’Ihsane, mais il n’entrait pas dans l’histoire, bien au contraire. L’idée était qu’Ihsane puisse continuer à vivre et que les gens puissent rentrer à l’intérieur d’une mise à mort. Sans mots, mais avec des images. Par contre, le poème que récite le personnage du père dans la première partie du film, c’est Hassan Jarfi lui-même qui l’a écrit.

Ce sont les images dans la deuxième partie, le triste cœur du film, qui vont définir le film a posteriori. Est-ce que vous pensez que ce seront ces tristes et violentes images aussi qui vont définir et justement continuer à faire vivre Ihsane Jarfi?

Ihsane est condamné à l’histoire qu’il a vécue. Quand vous parlez d’Ihsane Jarfi, vous parlez d’homophobie, vous parlez de crime et vous parlez de mise à mort. Et c’est une partie intégrante de son histoire et de sa mémoire. Il devient un symbole de par ce qu’il a vécu. Il devient ainsi un sujet politique et Ihsane en fait intégralement et viscéralement partie.

Cette idée suffisait-elle pour le travail sur le personnage avec le comédien d’Ihsane, Soufiane Chilah, avec qui vous avez collaboré déjà sur „Dode hoek“ („Angle mort“) en 2017?

L’idée est comment on continue à faire du cinéma sur une histoire réelle. Comment on aborde un personnage qui n’existe plus et qui n’était pas un personnage de la vie publique. Ce qu’il a vécu est exceptionnel et sensationnel au mauvais sens du terme, mais on essaie aussi d’avoir et de construire un Ihsane lumineux, avec un secret certes – mais il est important de montrer que les images de la violence ne définissent pas toute la vie de ce jeune homme. La radicalité de la narration et du propos, donc celui de raconter les dernières heures de sa vie, nous obligeait à raconter l’histoire en temps réel.

Dans la première et troisième partie, vous suivez Ihsane longuement. Vous êtes près et en même temps à distance. Il y a un côté très observateur. Par contre, dans la deuxième partie du film et avec l’idée de désesthétisation, vous donnez le contrôle d’image dans les mains des personnages. Est-ce que cette idée de désesthétisation vous ne déresponsabilise pas en tant que metteur en scène?

Non, parce que le film est monté. Et le monteur prend le rôle du metteur en scène. L’idée de l’utilisation des portables par les protagonistes est déjà une chose qui s’est passée dans la réalité et puis, dans la manière de découper le film – le côté observateur – c’était impossible avec cette violence-là. Ça ne peut être que du voyeurisme et non plus de l’observation. A partir du moment où on s’est mis ça en tête – le procédé de l’utilisation des portables par les protagonistes – cela nous permettait d’effleurer, je dis bien effleurer, un réalisme possible. Le fait est que les protagonistes s’approprient le sujet, le film, et font dégager le réalisateur pour reprendre le pouvoir. Il y a des gens qui disent que la première et troisième partie du film sont cinématographiques et que la partie du milieu est réaliste. Moi, je dis que c’est justement le contraire. C’est le cinéma du point zéro. Le cinéma qu’on ne peut pas voir. Le cinéma des réseaux sociaux et de YouTube, le cinéma accessible à tout le monde. C’est pour cela que la violence ne s’arrête pas. Et que les portables sont des armes. Des armes qui peuvent filmer et empêcher des injustices. Mais ces images peuvent augmenter la violence et la ramener à un point incompréhensible. L’idée n’est donc pas de me déresponsabiliser puisque je suis là et que je récupère le film. L’idée est de s’approcher d’un réalisme et de désesthétiser. Et ce qui dérange dans le trou noir de la deuxième partie, ce ne sont pas les coups, mais la longueur de la situation et la légèreté et la nonchalance, avec laquelle ils, les comédiens, la filment.

Est-ce que le père d’Ihsane Jarfi a vu le film?

Est-ce que vous pensez que ça serait normal qu’il puisse revoir l’assassinat de son fils? Il a vu des parties du film et refuse évidemment de revoir son fils assassiné. Par contre, il pense que le cinéma, qui est un art populaire et rassembleur, joue un rôle important quand il s’agit de parler de ces débats de société. Donc il utilise le film pour faire perdurer la mémoire d’Ihsane.