Sitôt que l’on pense à Munch, nous voyons l’une de ses œuvres qui a tant marqué les esprits, „Le Cri“. Il existe cinq versions (entre 1893 et 1917) de ce visage tenu entre les mains, bouche ouverte sur un cri, les yeux exorbités, personnage sur un pont, avec en arrière-fond un ciel en volutes, menaçant. Œuvre traversée par la condition humaine, sa solitude, l’effroi de la mort. Dans les cycles que l’artiste propose, nature et vie sont étroitement mêlées. Les séries permettent de revenir sur les thèmes abordés, avec l’obsession de l’angoisse. Très tôt, Munch a connu des traumatismes. Sa mère meurt de la tuberculose en 1868, alors qu’il n’a que cinq ans. Sa tante maternelle l’élève. Sa sœur, Sophie, meurt en 1877 de la tuberculose également.
Edvard Munch est pratiquement un autodidacte. Dans l’enfance, sa tante maternelle peignait et l’a initié au dessin. Jeune homme, Munch fréquente quelques mois le Collège royal de dessin.
La liberté de peindre
Edvard Munch tient beaucoup à la notion de cycle et l’exposition s’attache à son travail, perçu dans sa globalité. Au lieu de voir une rupture dans son expressionnisme, nous constatons, dans la déclinaison des palettes et la façon de camper les personnages, une cohérence forte, un fil conducteur, celui d’un hymne à la vie, traversée de noirceur, d’épreuves et de beauté. Une initiation, en quelque sorte. Ses thèmes dominants sont l’amour, la mort, la solitude, mais aussi la mise à distance des personnages pour les contempler livrés à leur sort. Anticonformiste, il revendique sa liberté à peindre, écrit à ce propos dans son journal, en 1889: „Je ne peindrai plus d’intérieurs, et les gens en train de lire et les femmes à leur tricot. Je peindrai des êtres qui respirent, sentent, souffrent et aiment.“
Influencé par Van Gogh, Gauguin et Lautrec, découverts à Paris, Munch connaît le succès en 1892, en exposant à Berlin. Il noue de fortes relations avec les symbolistes. Il fréquente des cercles littéraires, se lie d’amitié avec l’écrivain suédois Strindberg, avec qui il travaillera.
La violence expressive, la puissance symbolique de son œuvre, feront de lui une figure exemplaire et controversée. Sa technique picturale et son art de la gravure marqueront le mouvement expressionniste. Munch influencera considérablement le milieu artistique germanique du début du XXe siècle.
Une puissance d’évocation universelle
Son œuvre a une puissance d’évocation universelle, même s’il peint des scènes intimes, se tournant vers les proches. „L’Enfant malade“ est la réminiscence de la maladie et de la mort précoce de sa sœur. Munch projette le sentiment humain, ses inquiétudes, sur la nature. Les volutes et les déformations vibratoires de l’espace donnent un sentiment d’oppression, de paysage fuyant, et en même temps d’une osmose, d’une fusion entre le cœur humain et ce que l’homme projette de doutes et de visions. Les personnages, des jeunes filles sur un pont, par exemple, font de celui-ci un lieu symbolique de passage, un moment en suspens. Questionnement, tantôt angoissé, tantôt évident et coloré, comme on peut le voir dans la reprise des séries, où Munch campe sur le tard des figures fortement structurées, dans un rayonnement de couleurs vives. Mais au plus fort de l’angoisse, les êtres humains sont présentés comme des morts en sursis, un carnaval auquel l’artiste ne participe pas. „Soirée sur l’avenue Karl Johan“ (1892, huile sur toile), en est l’exemple. Visages pâles, yeux exorbités, des passants nous font face, tandis qu’une silhouette s’éloigne, de dos – figure de l’artiste en solitaire.
Munch a connu dans sa jeunesse des relations amoureuses houleuses. Il représente la femme comme un vampire. Sa chevelure rousse l’emprisonne. Cette chevelure est le lien visible qui asservit l’homme. Du huis-clos d’une relation amoureuse anxiogène, il donne une version intitulée „La Mort de Marat“ (1907, huile sur toile), seule référence à une scène historique dans son œuvre. Il y évoque sa relation tumultueuse avec son ancienne compagne, Tulla Larsen. Celle-ci est présentée nue, de face, tandis que sur le lit, un homme gît, blessé à la main, rappelant que Munch, lors d’une dispute violente, s’est blessé à la main gauche par un tir de revolver. Imparable personnage féminin, dans sa toute-puissance, dans un décor resserré sur le couple.
Entre légèreté et gravité
Atteint d’une dépression en 1908, au sortir d’un séjour en clinique, Munch s’établit définitivement en Norvège. Sa palette s’est allégée. Et c’est ainsi que l’exposition se fait fort de ne pas scinder sa carrière en un avant et un après de la dépression. Car si les couleurs et les paysages se font plus vifs, plus lumineux, ils reprennent des séries et l’on peut voir la résonance entre l’avant et l’après, la préoccupation de la vie et de la mort, sans pour autant céder à l’effroi. Force remarquable des dernières toiles, dont un autoportrait qui rappelle la légèreté et la gravité de notre condition. Cet autoportrait (1940-1943, huile sur toile), représente un vieil homme, de face, les rayures de son pull ressemblant aux côtes d’un squelette, tandis que son ombre, projetée de profil, ces ombres si puissantes dans l’œuvre de Munch, semble méditer sur son destin. Magnifique toile qui condense toute une vie de travail.
Cette exposition nous dévoile l’œuvre d’Edvard Munch dans son intégralité et sa cohérence, dans une puissance tragique.
Infos
Edvard Munch, Un poème de vie, d’amour et de mort
Jusqu’au 22 janvier 2023
Au Musée d’Orsay (rue de Lille, F-75007 Paris)
www.musee-orsay.fr
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