Pamphlet„Le cinéma doit être un monde de folie“

Pamphlet / „Le cinéma doit être un monde de folie“
Eric Neuhoff Photo: Samuel Kirszenbaum

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C’est sans doute parce qu’il aime passionnément le 7e art qu’Eric Neuhoff fulmine contre l’état calamiteux du cinéma français. Un âge de plomb aurait succédé à l’âge d’or des Renoir, Truffaut, Sautet, Malle, Gabin, Delon. Un point de vue intéressant en pleine crise des César.

Dans son dernier essai (1), tout le monde, ou presque, en prend pour son grade, en particulier Isabelle Huppert: „Elle est sexy comme une biscotte“. Même dans ce pamphlet acide, boursouflé d’idées fixes très parisiennes, la tendresse d’un amoureux déçu affleure. Qui aime bien châtie bien?

Selon vous, le basculement débute avec la mort de Truffaut et „Le Grand Bleu“. Vous regrettez le cinéma de votre jeunesse?

Eric Neuhoff: Je suis sûr que les films dans les années 60 et 70 étaient bien meilleurs qu’aujourd’hui. J’ai eu la chance ou la malchance d’être adolescent pendant une période où il y avait de très grands films à longueur d’année. „Le mépris“ de Jean-Luc Godard (1963) – le plus beau film du monde –, „Nos plus belles années“ de Sydney Pollack (1974), „Vincent, François, Paul et les autres“ de Claude Sautet (1974), les aventures de Doinel … sont impérissables.

Vous dénoncez le système de financement des films. Pour quelles raisons? 

Je regrette l’époque où c’était un producteur qui misait sa chemise sur un film et qui allait perdre toute sa fortune ou devenir milliardaire selon le succès ou l’échec du film. Aujourd’hui, la décision s’est disséminée entre tout un tas de commissions, des gens du CNC, des télévisions, des régions … La qualité devient complètement noyée dans la masse. Le metteur en scène, pour monter son projet, est obligé de convaincre beaucoup trop de gens. L’originalité, forcément, se dilue, des angles sont arrondis et on doit faire beaucoup trop de compromis. Ce qui arrange peut-être les gens du cinéma puisqu’il est plus facile aujourd’hui de monter un film qu’auparavant. Avant, c’étaient les banques qui prêtaient l’argent et pas l’Etat. Le producteur est pratiquement salarié sur un film. Tout le monde est là comme un petit fonctionnaire à attendre sa paie à la fin du mois. Alors que le cinéma doit être un monde de folie, de passion. Pour faire les films, il faut que ce soit une nécessité, une urgence et quelque chose qui tienne vraiment à cœur à ceux qui le font. Il faudrait centrer le pouvoir de décision et faire moins de films. On est peut-être en train d’assister à l’agonie d’un art en ce moment. Peut-être que les talents ne vont plus se réfugier dans ce domaine-là.

Catherine Deneuve trouve grâce à vos yeux …

Elle sort du lot. Sa filmographie est absolument étonnante. Sa supériorité est écrasante. Elle a réussi à faire semblant de porter à bout de bras ce qui reste du cinéma français en tournant dans un tas de premiers films. Quand on la voit apparaître sur l’écran, c’est tout un pan du cinéma qui vous vient à l’esprit. C’est une légende.

Vous taclez aussi les César.

Je ne parle pas tellement des résultats. Les Oscar sont plus professionnels, les textes mieux écrits, plus rythmés. La cérémonie des César est laborieuse, interminable, à l’instar d’une réunion de patronage, d’une fête de fin d’année dans une école communale. Ces professionnels du cinéma français nous infligent un pensum très amateur dans le mauvais sens du terme.
Votre regard sur le cinéma belge?
Je plains les Belges d’avoir les frères Dardenne comme génies officiels. J’en ai assez qu’on filme les pauvres comme si c’était des gens qui font la gueule tout le temps. C’est à la limite du mépris. Poelvoorde comme Luchini, par leur personnalité extravagante, réussissent à montrer que c’est un métier qui n’est pas comme les autres. Le drame pour les bons acteurs, c’est qu’ils sont obligés de tourner des films qui sont en dessous de leurs qualités.

Vous avez reçu le prix Renaudot de l’essai. Une surprise?

Oui! Le but du livre est de secouer ce plat de nouilles qu’est le milieu du cinéma, puis de remettre le cinéma, même français, un peu au centre des conversations. Il y a de moins en moins de films récents dont les gens se souviennent. Qui, aujourd’hui, parle d’une réplique ou d’une scène culte comme cela se produisait jadis, fréquemment? Maintenant c’est Netflix qui est le sujet de conversation. Même Scorsese s’y est soumis. J’imagine que le chèque est tentant.

Vos continuez à être critique de cinéma. Vous avez pensé à tout lâcher?

Oui, à certains moments. A chaque fois, le jour où j’ai failli rendre mon tablier, je suis tombé sur un film qui me redonnait confiance et c’était reparti pour un tour. „Hope and glory“ de John Boorman (1987) m’a réconcilié et j’ai continué.

Ecrivain et critique de cinéma au Figaro et au Masque et la Plume (France Inter).
(très) cher cinéma français, Eric Neuhoff, Ed. Albin Michel