Frank Horvat (1928-2020) est né en Italie de parents juifs originaires d’Europe centrale. En 1939, la guerre contraint la mère et ses deux enfants à se réfugier en Suisse. Frank Horvat y passe son adolescence, et c’est à Milan, en 1950, qu’il décide de devenir photoreporter. Il publie dans des magazines italiens et suisses. Sa rencontre avec Henri Cartier-Bresson, qui prône l’instant saisi sur le vif, sera déterminante. Frank Horvat s’équipe d’un Leica et entreprend un voyage de deux ans en Asie, où effectivement, il captera des moments particuliers, comme un journal de bord, un regard intime sur les êtres, en s’attardant sur les relations entre les hommes et les femmes. Il photographie, la nuit, les quartiers particuliers de Lahore où des fumeurs d’opium se retrouvent, des cérémonies musulmanes, il témoigne de la misère à Calcutta, ramène des images de capture d’éléphants, ceci avec beaucoup de douceur et une distance raisonnable, qui font que nous ne sommes ni voyeurs, ni intrus. Nous saisissons, à la manière d’un récit initiatique, ce qui fait l’universel par-delà les mondes. Ces photos rencontrent un vif succès et sont publiées dans la presse internationale, l’une d’elle fera partie de la célèbre exposition „The Family of Man“, au MoMa, à New York, en 1955.
Un monde filmique
De retour d’Asie et fort de ce parcours photographique, à la manière d’un road-movie, d’un travail à l’américaine – n’oublions pas que les plasticiens par la suite s’inspirèrent beaucoup de ce genre de photoreportages – Frank Horvat travaille à Paris pour le mensuel Réalités. Pour une commande, il photographie à Pigalle le milieu du proxénétisme. De nuit comme de jour, de loin, parfois planqué derrière le volant de sa voiture, en noir et blanc. Il offre ses visions, comme dans un long travelling. L’univers de Frank Horvat, exigeant par ses témoignages empreints de sensibilité, les trouées de lumière, offrent au spectateur un monde à demi-rêvé, filmique. Ses voyages sont à la lisière du rêve et de la réalité, peut-être à cause de l’incarnation des êtres, qui surgissent, de leurs traces à la fois fugitives – intimes, saisies sur le vif – et à jamais fixées sur le papier. Puis, influencé par Baudelaire et sa manière d’appréhender la ville, il parcourt Paris, et à l’aide d’un nouveau téléobjectif, photographie les paysages urbains, en soulignant les lignes qui les structurent. Il s’attarde sur le graphisme des enseignes, l’architecture des toits.
Aimant la nuit, il parvient à s’immiscer dans les coulisses d’une boîte de strip-tease et renverse le cliché, faisant des spectateurs des êtres solitaires, perdus, des voyeurs, et les femmes, les maîtres du spectacle. Frank Horvat sait créer une trame romanesque, une atmosphère de lumière et d’histoire, un monde où l’image triomphe par la beauté et la vérité.
L’appel du large
Par l’intermédiaire de William Klein, Frank Horvat rencontre, en 1957, le directeur artistique de Jardin des Modes. Celui-ci lui propose de transposer son style dans l’univers de la mode. Effectivement, c’est un apport considérable. Les mannequins abandonnent un maquillage excessif, des poses conventionnelles, leur studio, pour des extérieurs, des bars, où, par exemple, participant à une scène de la vie quotidienne, les femmes évoluent dans des robes luxueuses, ce qui contraste et ajoute à la féérie d’un tel apparat. Les mannequins, comme les strip-teaseuses, deviennent les figures clés de la scène, et les tenues sont là pour souligner leur beauté. Ce sont à la fois des portraits de femmes et des images de mode. Le style reportage de Frank Horvat fait fureur et il poursuit son aventure dans les pages des magazines Elle et Jours de France. Il quittera l’agence Magnum, qui apprécie mal son mélange des genres, et travaillera à l’international, pour des revues prestigieuses comme Harper’s Bazaar, aux côtés de photographes célèbre, tels Hiro et Richard Avedon.
Une photo ne dit pas seulement ce que son auteur voudrait, mais aussi ce qu’il dit sans le vouloir
Mais Frank Horvat ne se satisfait pas de l’univers de la mode, son journal de bord nécessite d’autres horizons. Le magazine allemand Revue lui donne cette opportunité en lui commandant un reportage sur douze villes non européennes. Frank Horvat embarque pour un tour du monde de dix-huit mois. Et, toujours ses thèmes de prédilection, les relations entre les êtres, les échanges de regard, une sensibilité intuitive et fine, mènent la quête aux images. Dans une sorte d’ivresse de la découverte. „Une photo ne dit pas seulement ce que son auteur voudrait, mais aussi ce qu’il dit sans le vouloir“, écrit Frank Horvat. Et encore: „À aucun moment je n’ai su démêler tout à fait la curiosité visuelle du désir amoureux, la crainte de la photographie manquée de l’angoisse des occasions perdues.“
À la manière d’un Baudelaire, le photographe nous donne à voir la solitude des êtres et la mélancolie du monde.
Info
Frank Horvat, Paris, le monde, la mode
Jusqu’au 17 septembre 2023
Jeu de Paume
1, place de la Concorde
75001 Paris
www.jeudepaume.org
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können